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Emile NELLIGAN

Soir d'hiver

Ah ! comme la neige a neigé !

Ma vitre est un jardin de givre

Ah ! comme la neige a neigé !

Qu'est-ce que le spasme de vivre

A la douleur que j'ai, que j'ai !

Tous les étangs gisent gelés.

Mon âme est noire :

Où vis-je ? Où vais-je ?

Tous ses espoirs gisent gelés :

Je suis la nouvelle Norvège

D'où les blonds ciels s'en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,

Au sinistre frisson des choses,

Pleurez oiseaux de février,

Pleurez mes peurs, pleurez mes roses,

Aux branches du genévrier. Ah ! comme la neige a neigé !

Ma vitre est un jardin de givre.

Ah ! comme la neige a neigé !

Qu'est-ce que le spasme de vivre

A tout l'ennui que j'ai, que j'ai !….



Kume Keiishirô


Écoutez, écoutez, ô ma pauvre âme ! Il pleure
Tout au loin dans la brume ! Une cloche ! Des sons
Gémissent sous le noir des nocturnes frissons,
Pendant qu'une tristesse immense nous effleure.

À quoi songiez-vous donc ? à quoi pensiez-vous tant ?...
Vous qui ne priez plus, ah ! serait-ce, pauvresse
Que vous compariez soudain votre détresse
À la cloche qui rêve aux angélus d'antan ?...

Comme elle vous geignez, funèbre et monotone,
Comme elle vous tintez dans les brouillards d'automne,
Plainte de quelque église exilée en la nuit,

Et qui regrette avec de sonores souffrances
Les fidèles quittant son enceinte qui luit,
Comme vous regrettez l'exil des Espérances.


MON ÂME
Mon âme a la candeur d'une chose étiolée,
D'une neige de février...
Ah! retournons au seuil de l'Enfance en allée,
Viens-t-en prier...
Ma chère, joins tes doigts et pleure et rêve et prie,
Comme tu faisais autrefois
Lorsqu'en ma chambre, aux soirs, vers la Vierge fleurie
Montait ta voix.
Ah! la fatalité d'être une âme candide
En ce monde menteur, flétri, blasé, pervers,
D'avoir une âme ainsi qu'une neige aux hivers
Que jamais ne souilla la volupté sordide!
D'avoir l'âme pareille à de la mousseline
Que manie une sœur novice de couvent,
Ou comme un luth empli des musiques du vent
Qui chante et qui frémit le soir sur la colline!
D'avoir une âme douce et mystiquement tendre,
Et cependant, toujours, de tous les maux souffrir,
Dans le regret de vivre et l'effroi de mourir,
Et d'espérer, de croire... et de toujours attendre!

AUTOMNE

Comme la lande est riche aux heures empourprées,
Quand les cadrans du ciel ont sonné les vesprées !
Quels longs effeuillements d'angélus par les chênes !
Quels suaves appels des chapelles prochaines !
Là-bas, groupes meuglants de grands boeufs aux yeux glauques
Vont menés par des gars aux bruyants soliloques.
La poussière déferle en avalanches grises
Pleines du chaud relent des vignes et des brises.
Un silence a plu dans les solitudes proches :
Des Sylphes ont cueilli le parfum mort des cloches.
Quelle mélancolie ! Octobre, octobre en voie !
Watteau ! que je vous aime, Autran, ô Millevoye !

Motifs poétiques

VIEUX PIANO

L'âme ne frémit plus chez ce vieil instrument ;
Son couvercle baissé lui donne un aspect sombre ;
Relégué du salon, il sommeille dans l'ombre
Ce misanthrope aigri de son isolement.
Je me souviens encor des nocturnes sans nombre
Que me jouait ma mère, et je songe, en pleurant,
À ces soirs d'autrefois - passés dans la pénombre,
Quand Liszt se disait triste et Beethoven mourant.
Ô vieux piano d'ébène, image de ma vie,
Comme toi du bonheur ma pauvre âme est ravie,
Il te manque une artiste, il me faut L'Idéal ;
Et pourtant là tu dors, ma seule joie au monde,
Qui donc fera renaître, ô détresse profonde,
De ton clavier funèbre un concert triomphal ?


 

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