Amedeo MODIGLIANI



 

Ton devoir est de ne
jamais te consumer dans le sacrifice. Ton véritable devoir est de sauver ton rêve).

Modigliani, Lettre à Oscar Ghiglia

Amedeo Modigliani est né à Livourne le vendredi 12 juillet 1884. Son père, négociant en bois et charbon, venait d'être mis en faillite et une loi interdisait alors qu'on saisît ce qui se trouvait sur le lit d'une accouchée. D'où l'amoncellement d'objets précieux et de bijoux qui manqua coûter la vie à la mère et à l'enfant. Modigliani a toujours cherché là un signe qui aurait expliqué ses extravagances. Il se disait qu'il était né sous les auspices de la ruine. Que les choses matérielles avaient dès son premier souffle mis ses jours en danger, une veille de shabbat.

Sa mère, Eugenia Garsin est née à Marseille et lui parle parfois le français, lui raconte de la France. Les Garsin sont d'origine sefardim, c'est à dire descendant des élites juives émigrées d'Espagne, installées après l'Inquisition à Livourne et ayant fidèlement conservé langue et usages raffinés aussi bien que les coutumes des anciens temps. Les Garsin appartiennent à la grande tradition des lettrés israélites, commentateurs de livres sacrés, ou fondateurs d'école talmudique. La famille gardera toujours l'habitude des discussions philosophiques. Les grands-parents parlent le judéo-espagnol, langue de l'exode, de l'exil, du secret. Ainsi, lorsqu'il vient au monde, à l'heure où son père est déclaré failli, Amedeo est l'héritier de voyages, de fables et de vérités lointaines.

Sa mère avait jadis connu Flaminio Modigliani quand elle avait quinze ans. Il etait lui aussi issu d'une famille juive, originaire du village de ce nom, au sud de Rome. " A quinze ans dans notre monde une jeune fille se laissait marier….. " lui confie-t-elle un jour. Eugenia Garsin devait avoir, à quinze ans, en pensant à ce qui l'attendait, cette absence de regard, des yeux vagues, presque clos sur cet avenir vers lequel on la poussait et qu'elle ne voulait pas voir. Modigliani l'a peinte ainsi, après, dans sa vie d'adulte, chaque fois qu'il a peint une fillette à l'inquiétude paisible, aux angoisses silencieuses, le cou supportant une tête qui cède et s'incline…..

Eugenia après avoir connu la maison raffinée de son père Isaac, de son grand-père le voyageur, l'homme de Tunis et de Londres, trouva les Modigliani sévères et tristes. Chez elle, elle avait pris part à des discussions sur les textes sacrés; elle avait appris l'anglais, la philosophie, la littérature. Dans sa belle-famille livournaise, on lui imposa des règles strictes de respect du rituel, une forme de vie qu'elle jugea étroite, sans clarté et à laquelle elle ne s'habitua jamais.

Mettre en question les normes établies, c'est ce qu'elle veut avant tout enseigner à chacun de ses enfants. Amedeo voit rarement son père dont il n'oubliera jamais le regard hautain, le menton relevé, la barbe large et carrée. Plus il lui parait conformiste, plus il se jure de ne pas lui ressembler. Des femmes vivent à la maison. Il y a Laura et Gabriela, ses tantes et la Signora Nonnina (la grand-mère qui se dit descendante du philosophe Baruch Spinoza ). Ce que les trois sœurs se content sans prendre garde aux enfants qui jouent tout près est triste, si triste qu'Amedeo en est impressionné. Il n'est pas étonné d'apprendre vers 1915, alors qu'il est depuis longtemps installé à Paris, que sa tante Gabriela s'est suicidée. Elle s'est jetée du haut d'un escalier, à Rome. Il n'a pas connu les raisons de sa mort. Les femmes dans sa famille comptent pour lui. Il les sait mystérieuses et puissantes, issues des ombres, sans cesse allant et venant du monde des corps présents au monde des transparences. Le Nonno Isaac (le grand-père maternel)) est le seul homme adulte vivant dans la maison et il l'entraîne encore bambin dans des conversations sévères. Tous deux dévorent les livres, et Isaac, qui parle quatre langues, apprécie surtout l'histoire et la philosophie.

Quatrième et dernier enfant, Amedeo, que les siens surnomment affectueusement Dedo, a une jeunesse comblée, mais difficile. Difficile en raison de l'atmosphère sombre qui règne dans la vieille maison patricienne ensuite en raison des ennuis financiers qui contraignent son père à s'absenter pour de constants voyages et Eugénie à se dédier à l'enseignement ou à entreprendre divers travaux littéraires et des traductions. Ces ennuis n'empêchent cependant pas la poursuite des études de chacun, Emmanuel l'aîné devenant avocat et Umberto Ingénieur, tandis que leur sœur Margherita demeurera toujours au foyer et élèvera plus tard la fille d'Amedeo, Jeanne. A onze ans Amedeo n'est pas un brillant élève mais il aime les livres, les discussions philosophiques entre sa mère, ses tantes et leur cercle d'amis. Son ami Uberto qui a sept ans de plus que lui cite des classiques grecs et latins, Dante et les grands peintres du quattrocento. Amedeo a une obsession, une de ces idées fixes qu'on peut redouter comme étant la marque d'un caractère difficile : il veut faire du dessin. Il répète sans cesse à sa mère " je me sens peintre ". La précoce détermination de ce garçon s'affirme si bien qu'Eugénie finit même par accepter, avec regret, de le voir quitter définitivement le lycée.

De santé chétive Amedeo est tout d'abord atteint d'une pleurésie, puis à l'âge de quatorze an une typhoïde met ses jours en danger. Là il a connu sa mort, il l'a contemplée. Elle semblait logée en lui, paisible. Et ce calme qu'elle a toujours eu à l'attendre lui a donné plus tard cette hâte de réaliser un rêve d'existence qui menaçait de demeurer inachevé.

De son enfance Amedeo gardera des souvenirs de tourmente qui se conjuguent avec des images paisibles. En 1900, sa tante Laura donne des signes d'extravagance tels qu'on craint pour son équilibre mental. Amedeo tousse, ses poumons ont été atteints lors de sa fièvre typhoïde. Eugenia sa mère s'inquiète et décide de l'emmener vers le soleil. C'est le soir et c'est l'hiver. Ils partent vers les villes blanches. Ils visiteront Rome, Naples, Capri…Les musées.

De Rome il écrit à son ami Ghiglia " Peut-on être sculpteur après Michel-Ange ? Y a-t-il lieu de peindre, après Carpaccio, Leonardo, Véronèse ? Mais je sais que ma peur même est un stimulant. Je saurais découvrir des formes, poser à l'œil et au toucher des questions nouvelles. J'ai l'orgasme, mais l'orgasme qui précède la joie auquel succèdera l'activité vertigineuse, ininterrompue de l'intelligence.".

Le 7 mai 1902 il s'installe à Florence et s'inscrit à l'Ecole libre des nus. Il aime errer dans les rues inconnues de cette ville qui recèle, malgré ses allures commerçantes et bourgeoises, les Apocalypses chaque fois réinventées que sont les œuvres d'art. Il a alors 18 ans. Il n'attend que l'enfer ou le paradis. Les deux sans doute, avec la même violence. Puis un jour, au terme d'une promenade, il la voit. : La Carità de Tino de Caimano, géante de marbre, une jeune femme allaitant deux enfants. Son visage ovale est allongé à l'excès, coupé d'un nez droit, penché vers les petits qu'elle couve du regard de ses yeux clos, vides ou pleins déjà de la mort à venir. Ce n'est pas seulement une belle œuvre sculptée, une superbe figure allégorique, mais l'essence même de la femme. En la regardant il lui semble sentir le marbre prendre forme sous ses doigts. C'est là qu'il faut chercher la vérité : la tête, temple, siège sacré de la pensée, se trouve supportée par un cou souple et large et solide comme le corps d'une cariatide. Ce jour là il sait qu'il peindra et sculptera des cariatides et, dans ses portraits, le cou sera le dessin, à déchiffrer, de ces femmes puissantes. Il a toujours sans le savoir clairement, voulu atteindre à cette écriture du corps et cette volonté vient de lui être révélée.

En 1903 il quitte Florence et se rend à Venise, à Campielle Centopiere près de San Sebastiano. Là, il travaille dans un atelier, au bord du canal, juste en face de l'église. Le matin il va boire un café à la Trattoria où se rassemblent les portefaix, les gondoliers et les petits artisans de cette partie éloignée du centre. Croccolo le baronnet napolitain un peu ridicule dans son bel habit de drap, vient chercher les futurs artistes pour animer et partager ses fresques nocturnes. Ils vont en bande à la Giudecca, dans des lieux de rencontres qui leur paraissent appartenir au monde du danger et de la luxure où doit s'enraciner toute inspiration. Ils ont le sentiment de risquer leur vie et leur âme. Les filles sont belles et rouges à la lueur des chandelles, leurs seins presque nus. Dans cette torpeur bienfaisante que donne le haschisch il se laisse envelopper par les bras d'une femme dont le corps disparaît dans l'obscurité. Et lorsqu'il en distingue les formes, il est d'une couleur bistre, comme pétri de terre et de feu.

Un jour il se rend à Carrare. Le marbre brut qu'il y découvre l'émeut plus que les statues lisses. Le marbre est là, compact, plein d'aspérités, sans défense dans le silence de son intensité. Le désir le prend de heurter la pierre, de la prendre en enfonçant son ciseau dans sa chair jusqu'à ce qu'elle crie. Il veut aussi que ses traits parlent comme les mots de Dante. Qu'ils soient comme eux dangereux, irréfutables.

Sa mère lui rend visite à Venise. A ce moment là il sait déjà qu'il veut quitter l'Italie, chercher la France, chercher la vie. Il lui faut connaître Paris pour découvrir cette liberté du trait, cette folie maîtrisée, cette douleur riante. C'est là-bas que l'art se fait. Là-bas est l'audace, l'imagination, le nouveau. Il veut connaître le pays de Baudelaire, de Lautréamont, de Gauguin et de Cézanne. Il s'exalte à l'idée de vivre dans la capitale de cette France que sa mère a connue et aimée. Elle lui donne un peu d'argent pour partir, c'est la seule a soutenir son projet..

C'est le début de 1906. Pour tout bagage il emporte une photographie de sa mère et un livre qu'elle lui a offert. Il s'installe à Montmartre, dans le fameux "maquis" que les promoteurs défrichent déjà pour le bâtir. Bientôt délogé d'un atelier sans doute précaire, il doit aller d'une chambre d'hôtel à l'autre, car il donne à sa mère l'adresse du Bateau-Lavoir où il fait la connaissance de Picasso, de Braque, Salmon, Jacob et de bien d'autres. Amedeo a 22 ans, un beau visage de " Romain ", au dire des femmes. Si beau, si brun, si insolemment étranger, si arrogant dans ses habits négligés qui indiquent la subtile recherche. Il porte un costume de velours côtelé, un foulard rouge noué autour du cou, un chapeau noir à larges bords et est animé par le désir de devenir un grand sculpteur. Plein d'espoir et de talent, cultivé, il vient pour conquérir la France. Il a la conviction qu'il faut vivre vite et sans économie d'aucune sorte. Il a peut-être déjà le sentiment de sa fin….Des ombres l'escortent, celles des suicidés, des déraisonnables qui l'ont précédé dans sa famille. Il aime, tout en la craignant, l'idée que son sang est, dans la chimie mystérieuse de l'hérédité, porteur de menaces.

Ses poumons ne sont pas guéris. Il le sait. En apparence il fait comme s'il n'en était rien, mais son corps et sa mémoire ont peur. Et ils le poussent à se hâter, à signifier avec grandeur son existence. Dans son atelier les cartons s'entassent. Il ne cesse de travailler, de chercher la forme qui est en lui, qu'il porte, mais qu'il ne parvient jamais à saisir tout à fait. Elle lui échappe. Il lui semble qu'il la voit, vivante, lumineuse, à l'intérieur de lui, mais lorsqu'il veut la fixer sur le papier, ses yeux, clos, pour mieux la contempler, deviennent soudain aveugles. Il croit que la vérité est peut-être dans ce regard privé de vue. Il fera ainsi des portraits aux yeux vides ou fermés. Des yeux dont la lumière est intérieure au point qu'elle illumine le regard du dedans.

Longtemps le seul acquéreur de ses toiles est un aveugle : Léon Angeli. Celui-ci vient chez lui, colle son nez sur ses toiles encore fraîches et finit par acheter le tableau persuadé qu'à la longue il pourra bien en tirer quelque profit. Modigliani n'oubliera jamais ce regard trouble, cette vision imparfaite, cet œil clos sur la lumière et les couleurs. Il a peur de la manière qu'il a d'observer ces visages qu'il a peints et qu'il livre au regard de son œil mort. Peut-être est-ce à cause de lui que les yeux de ses portraits sont blancs, ouverts en dedans vers une lumière qu'il cherche sans cesse à définir ?

Au bout d'un peu plus d'un an de séjour parisien, Modigliani obtient un premier succès. Sept de ses œuvres sont présentes au salon d'automne qui s'ouvre du 1er au 22 octobre 1907 au Grand Palais. C'est particulièrement au cours de ces années que les artistes étrangers accourent en foule d'Allemagne, d'Europe centrale, des Etats-Unis attirés par l'animation de la capitale, par le renom grandissant du mouvement fauve qui est en passe de triompher. Leur légion nombreuse se réunit à Montparnasse au café du Dôme et obligera sous peu Matisse à ouvrir son Académie. Bien qu'il vive un peu à l'écart et se montre réservé, Modigliani se retrouve parfois avec la bande plus cohérente de Picasso, Max Jacob et leurs amis du Bateau-Lavoir, souvent accompagnés des poètes André Salmon et Guillaume Apollinaire.

L'œuvre de Modigliani à l'époque est encore assez rude, hésitante, à l'image de ses incertitudes et de son besoin d'affirmation, à mi-chemin entre Fauvisme et Expressionnisme, comme beaucoup d'autres à l'Epoque. Il répugne visiblement à faire appel à la couleur pure, aux fanfares éclatantes chères à ses amis, se cantonne encore volontiers dans les ocres et les tons sombres pour ses nus. Son exaltation foncière se révèle dans la secrète violence qui émane de sa peinture.

Lorsque Modigliani rencontre Paul Alexandre, celui-ci s'étonne de son talent et décide de lui acheter une toile, " la Juive ". Il l'a peinte en se rappelant le portrait d'une femme de Livourne qui venait rendre visite à sa mère et restait des heures, silencieuse et pensive, sur le sofa. Il avait admiré autrefois ce visage long comme l'ombre d'un couteau, ce visage où les joues creusées en dedans semblaient dévorer les paroles qui venaient aux lèvres. Le silence du regard était tumultueux. La bouche se fermait, rouge, sur les mots. Ces mots que jamais elle ne prononçait. Et le nez, aquilin, royal, était impératif comme une lame.

Au cours de l'été 1909 Modigliani retourne à Livourne pour quelques mois. Lorsqu'il regagne Paris il s'installe à Montparnasse, tour à tour à la Ruche, au 216 boulevard Raspail et au 16 rue du Saint-Gothard tout en conservant un atelier 39 passage de l'Elysée des Beaux Arts. Ensuite il travaille et réside pendant de longues périodes chez Brancusi, au 54, rue du Montparnasse. La fascination qu'exercent sur lui les arts d'Afrique et d'Océanie, ainsi que ses interminables discussions avec Brancusi lui communiquent l'énergie nécessaire pour alimenter sa soif de sculpture vers laquelle il se lance à corps perdu. Mais il s'épuise et ses poumons semblent se déchirer aux pierres qu'il attaque. Manifestement il s'est lancé dans cet art comme s'il était entré en religion, avec la même passion dévorante, le même désir d'absolu, le même besoin d'une véritable ascèse. Si Modigliani réussit à poursuivre un chemin solitaire vers une expression personnelle, c'est à la sculpture qu'il le doit. Brancusi s'intéresse aux dessins de cariatides que le Livournais multiplie. En Grèce les cariatides, qui doivent leur nom aux femmes de Caryes, en Laconie, soutiennent le toit des temples. Or Brancusi, qui apprécie l'art nègre, sait que le trône des chefs de tribus, en Côte d'Ivoire, comporte aussi des figures féminines, qui ont la même fonction de support, et le docteur Alexandre, collectionne des pièces d'art baoulé et yaouré, venues de cette région. Or, si Modigliani réussit de merveilleuses têtes, d'une grande pureté, il n'a pas cherché à rendre dans la pierre les figures toutes en sinuosité de ses dessins et ses toiles.

Modigliani s'habitue vite à la faune de Paris dont il fait désormais partie. Dans ce milieu de paumés il fait la connaissance du fonctionnaire de police Descave, grand amateur de peinture. Et de Zamaron qui emplit les bureaux de la Préfecture des peintures de Kisling, de Pascin ou de Severini et de Modigliani lui-même. Souvent, pour éviter un passage à tabac, pour s'acquitter d'une amende tous ces peintres laissent un tableau ou quelques dessins au lieu de l'argent qu'ils n'ont pas. Quant à Chéron, le marchand dont la galerie se trouve rue La Boétie, il a compris une chose avec certitude : qu'il est bon d'acheter des tableaux aux peintres inconnus. En quelques journées de travail, dans la cave qu'il a aménagée, ces crève-la-faim réalisent des toiles qu'il met ensuite en vente dans sa vitrine, ou qu'il garde parfois en réserve. Il a le temps d'attendre. Pour quelques sous, un repas, une bouteille de rhum qu'ils peuvent finir sans qu'il trouve à redire, le brave homme devient ainsi propriétaire d'un Soutine, d'un Utrillo, d'un Foujita, d'un Modigliani…..

En 1910 Amedeo voit arriver de sa Cracovie natale Moïse Kisling. Celui-ci n'a pas vingt ans, et son visage large aux yeux légèrement bridés est celui d'un enfant. Il est encore vêtu de la lévite et la redingote noire lui permet dès son entrée dans le monde parisien de ne pas passer inaperçu.

A Montmartre la mort est un peu partout, comme les filles.
Ô ! beaux corps de femmes qui enlacez
Comme les anneaux d'un reptile
….Beaux seins qui dressez vos pointes fleuries…..

Chez Modigliani des moments de colère s'alternent à des moments de déclamation poétique. On le regarde sans sympathie dans les cafés. Un jour, des gens tiennent des propos antisémites à la table voisine. Il réagit comme un fou. D'un bond il monte sur la table et les défie : - Je suis Modigliani, juif et je vous emmerde ! " Quelqu'un l'entraîne dehors. La fureur le prend parfois, il s'épuise. Et cependant son ami Cingria le décrit ainsi : " Modigliani avait un très beau visage où un peu de réserve luttait avec l'amusement. Il arrondissait bien ses phrases, parlait un très beau français. Il riait d'un petit rire sec, fumeux. Il ne flattait personne. Je n'ai jamais connu d'être plus entièrement dépourvu de snobisme. Malgré sa courtoisie (oui, une très grande courtoisie), il était obligé parfois de dire des choses dures. Il les disait sans défaillance. Pour Zadkine c'était alors un jeune dieu déguisé, ou bien un ouvrier endimanché. "

En 1907 il peint rue de Douai, au couvent des Oiseaux près de la place Pigalle, là où Matisse a crée son Académie. Il écrit à sa mère "Un garçon né à Rome de mère polonaise et de père italien se fait appeler Apollinaire. Il est employé de banque, écrit des poèmes et des articles de journaux. Grâce à lui j'ai vendu quelques toiles. Chaque fois qu'on me donne des sous pour mon travail, je redeviens Amedeo Modigliani, le fils de famille cultivé. Mon savoir-vivre les séduit tous…Je paie à boire, je fais la bombe….demain, ils m'inviteront à leur tour.

L'hiver se passe. Les amis sont là, Apollinaire, Salmon, Max Jacob. Ils se retrouvent au Lapin agile. Dans les verres, l'éther succède à l'absinthe et le flacon passe discrètement d'une main à l'autre. L'éther laisse son emprise glacée dans les gorges, au fond des poitrines. L'hiver brûle au-dehors. La cécité de la mort lui semble proche.

En 1909 il se retrouve à la cité Falguière. Les déménagements comptent peu. Il suffit d'entasser dans une charrette ses quelques habits, ses toiles, ses dessins et les sculptures qu'il a faites…..Il est habitué à ces déambulations dans Paris. Lipchitz et Brancusi l'encouragent à continuer. La peur est inscrite ici et là. Elle les regarde de toutes les facettes de ses yeux glissés dans les yeux de leurs modèles, de leurs portraits, de leurs autoportraits enfin. Et si leur vie était vécue en pure perte ? Pour oublier leur peur ils font la fête, il font la bombe, ils font l'amour.

Au cours de l'été 1912, sans doute épuisé par le travail de taille directe, très poussiéreux, et par une vie déréglée, Modigliani perd connaissance. C'est son ami Ortiz de Zarate qui le découvre inanimé sur le plancher de sa chambre et qui l'incite à se rendre à Livourne. Les amis se cotisent et lui achètent un billet de train. Une fois chez lui sa mère le serre dans ses bras sans rien dire. Ses cheveux blancs sont plus blancs, mais elle a toujours le port élégant, royal. Il remarque comme le nez aquilin donne à son visage lentement ridé une force d'effigie. Il retrouve avec bonheur Livourne, élégante et secrète sous le soleil blanc. Ses amis qu'il va retrouver le regardent étonnés. A-t-il changé à ce point ? Il se dit qu'il porte désormais en lui les traces d'un monde qu'ils ne connaissent pas. Ses amis lui trouvent un local assez vaste, près du marché, et des pierres, d'énormes pavés, des fragments de sa ville natale. Il travaille ainsi jour et nuit. Il tousse. Il faut faire vite. Des corps et des têtes prennent forme, d'étranges statues hiératiques, sortes de robustes et souples caryatides, de figures totems aux têtes oblongues qui semblent parfois lui parler à la tombée du jour. Non il n'est pas fou, mais il lui semble que des dallages de ses rues sortent des êtres qui autrefois étaient allés et venus dans Livourne. Quand vient le moment de rentrer à Paris et qu'il demande à ses amis du café Bardi où ranger ses œuvres, ils lui répondent de les flanquer dans le canal.

Un rire énorme s'est échappé de toutes leurs bouches. Il rit à son tour, il boit quelques verres, retourne vers le hangar, un flacon d'éther dans sa poche. Ses sculptures semblent avoir perdu de leur individualité combative, de leur présence agressive. Il les charrie une à une et va les jeter dans le canal. C'est ainsi que ses dieux basculent dans le monde des démons : un simple miroir d'eau les sépare.

Son frère Emanuele, sensible à sa solitude et à son désir de sculpter lui offre un voyage à Carrare. Dans ce feu de l'air de Carrare, ses poumons brûlent, son corps est en fièvre. Il sait qu'il faut abandonner la pierre. Il décide de rentrer à Paris. La pluie peut-être lui manque. A Paris il recommence à dessiner, et sur la toile à peindre. Avec cette arrière pensée permanente qu'elle est infiniment plus chère que le papier. Et son prix en fait à ses yeux un objet aussi rare, aussi précieux que le marbre d'Italie.

A Paris il y a les amis, la bande de copains. Il y a les terrasses des cafés. Parfois il donne ses dessins contre un verre de rouge. Parfois il se lève et récite des vers de Dante. Les femmes lui sourient. Les hommes parfois lui crient " Modigliani ! Finita la commedia ! ". Il y a les frères Libion de la Rotonde. Il y a les rires de Diego Rivera, les plaisanteries de Moïse Kisling, les rugissements de Chaïm Soutine. Il y a les ivresses éblouissantes de Maurice Utrillo, les découvertes tonitruantes de Picasso, les voix des Espagnols, des Italiens, des Polacks, il y a toutes les sonorités du monde. Le temps presse et lui échappe comme les passants. Il faut faire vite.

En 1914 il rencontre Béatrice Hasting. Béatrice est de feu et semblable pourtant, par son nom, à celle qui règne au paradis de Dante. Il brûle d'elle. Béatrice est la plus folle des femmes de Montparnasse. On connaît ses chapeaux voyants, ornés de fleurs, de fruits et de plumes multicolores. Avec Modigliani ils rivalisent d'extravagance. Il peut réciter Dante sous la pluie aux terrasses de cafés; il peut jeter des rouleaux de dessins à ses créanciers - bistrotiers et restaurateurs - il peut aller de table en table, proposant ses œuvres et lançant à l'éventuel acheteur éberlué " Modigliani ! Juif ! Cent sous ! " elle le dépasse de loin en excentricité. Journaliste et poète, Béatrice est une femme riche, si autoritaire qu'il s'est donné pour but de la soumettre à sa volonté. Leur amour a commencé par des fous rires, des déclarations incongrues, des élans de passion déchaînée et une fascination commune pour ce qui leur parait " grandiose ". Il s'est déroulé comme un opéra. Les yeux de Béatrice sont roux comme sa peau. L'amour avec Béatrice est roux comme la fureur.

Le 1er août : mobilisation générale. Paul Alexandre est enrôlé dans un bataillon d'infanterie. Celui qui avait recueilli ses premiers dessins disparaît ainsi, dans un bruit de bottes et de fusils, dans l'absurdité d'une mobilisation où défilent les soldats rigolards, où les filles agitent leurs mouchoirs rêvant au romanesque des retrouvailles avec un homme qui sentirait la boue et le fusil.

Modigliani prend de la cocaïne, du haschisch, du vin, du rhum, de l'éther, de l'absinthe. Quelque part, dans l'Est, ses amis se font massacrer. Le courrier d'Italie se fait rare.

Max Jacob lui présente un jour Paul Guillaume. A propos de lui Modigliani écrit à sa mère " Celui qui achète mes tableaux est Paul Guillaume, il Novo Pilota. Il expose les peintres dans sa galerie de la rue Miromesnil. Je fais partie maintenant de sa collection avec d'autres jeunes : Derain, Chirico, Picasso et même Matisse. "

Amedeo est jaloux de Béatrice, jaloux comme un fou. Il y a entre eux de violentes disputes. Béatrice crie, elle a la voix de plus en plus perçante et l'accent anglais, cet accent si délicieux lorsque la voix est douce lui fait mal soudain comme la lame d'un couteaux. Il la regarde avec des yeux qui l'inquiètent. Et ses yeux lui renvoient son image, modifiée - il sait qu'il ressemble à nonno Isaac, vers la fin de ses jours, atteint de neurasthénie. Il a le regard de tante Laura, qui continue de souffrir de persécution. C'est l'œil fixe, perdu, terrible, de tous ces morts trop jeunes, de son sang, qui le cernent.

Pour que tous sachent qu'il est courageux dans ces actes, il veut rejoindre le front. Il se présente comme volontaire. Le médecin qui l'examine a l'air fatigué, la mine grise et le déclare inapte. Poumons trop endommagés. Puisqu'il ne peut pas se battre avec les autres, il décide de sculpter à nouveau. L'important est de frapper ce qui résiste, de faire éclater la pierre et de se dire qu'il n'est d'autre ennemi que ce grand silence scellé dans le granit..

Un soir après une dispute avec Béatrice, ivre, à la lumière de la lune, il réussit à se faufiler à l'intérieur du cimetière de Montmartre où il aime errer. Le plaisir et la mort rôdent. Baudelaire le suit de son ombre. Et Mallarmé, Rimbaud, Lautréamont….et les autres, les morts anonymes le suivent de plus en plus nombreux, l'effleurent au détour d'une tombe. Il voit leurs yeux très blancs, leurs cous longs et blancs qui sont piliers de chair, leurs visages blancs, joues ovales, tête légèrement penchée vers l'épaule gauche, puis encore les yeux blancs. Jamais vides. Une fine pellicule glaireuse les recouvre. Cette nuit là il la termine dans une poubelle, au cœur des détritus. Des agents de police l'en ont extrait le matin suivant.

Sa rupture avec Béatrice aura été aussi violente que le bris volontaire d'une statue. Il se sont lancés des injures, il se haïssent désormais. L'Anglaise et l'Italien ont traduit dans leur français respectif les mots les plus colorés de leurs idiomes. Il apprend quelques mois plus tard que Béatrice à mis au monde une fille mort-née. Modigliani imagine le ventre de Béatrice saignant un enfant de boue écarlate, de pourpre, mort. Le ventre de Béatrice a saigné le vide.

Dès 1914 le spectacle d'un Modigliani sobre est de plus en plus rare. Il se met, pour vivre, à dessiner le portrait de tous ceux qui veulent bien poser; mais le franc qu'il a empoché pour un dessin, il va le boire aussitôt. Il a le vin mauvais, et devient souvent méchant. C'est alors le désespoir des bistrots. Ses amis habitués à ses excès, lui pardonnent; mais les patrons et les garçons de café, qui ne se recrutent pas d'ordinaire parmi les artistes le traitent comme un vulgaire ivrogne. Son ami le peintre Maurice Vlaminck disait de lui " Je l'ai vu ayant faim, je l'ai vu ivre, je l'ai vu riche de quelque argent, jamais je n'ai vu Modigliani manquer de grandeur et de générosité. Jamais je n'ai surpris chez lui le moindre sentiment bas. Je l'ai vu irascible, irrité d'être obligé de constater que la puissance de l'argent, qu'il méprisait tant, dominait parfois sa volonté et sa fierté. Je revois Modigliani assis à une table de café de la Rotonde. Je revois son pur profil de Romain, son regard autoritaire ; je revois aussi ses mains fines, des mains racées aux doigts nerveux, ces mains intelligentes, tracer d'un seul trait un dessin sans hésitation. "

Lorsqu'il rencontre le poète Zborowski, Modigliani remarque la finesse ovale de son visage, le silence attentif des yeux, cette sorte de tenue distante qui est la protection instinctive que les fragiles s'accordent à eux-mêmes. Zborowski devenu le marchand de Foutjita et de Soutine, invite Modigliani à peindre dans la plus grande pièce de l'appartement qu'il occupe, 3, rue Bara, sur la rive gauche. Hanka Zborowska, la femme du poète, sera l'un des modèles préférés du peintre, après sa rupture avec Béatrice.

Une amie du couple, la douce et raffinée Lunia Czekowska, pose aussi souvent pour Modigliani et lui inspire certaines de ses plus profondes investigations psychologiques. Zborowski pose fréquemment pour Modigliani, qui voit en lui plus le poète que le marchand. Il lui donne une figure allongée, éthérée, évocatrice de toutes les exaspérations romantiques. Ces portraits se trouvent aujourd'hui dans les musées les plus prestigieux du monde. La bonne entente de Modigliani et de Zborowski est un exemple frappant des liens presque familiaux qui, à l'époque, unissaient à Paris la plupart des artistes et des marchands de tableaux.

Lors du carnaval de 1917 il rencontre Jeanne Hébuterne alors étudiante chez Colarossi. Avec ses dix-neuf ans elle lui apporte tout ce dont il avait toujours rêvé, la fraîcheur, la grâce, l'amour, la confiance admirative, le dévouement inlassable. Elle accepte de quitter sa famille pour partager sa vie rayonnante, mais combien misérable et errante. Petite, avec des cheveux châtains foncés, des yeux sombres, une peau très claire (la " noix de coco " de la légende montparnassienne), Jeanne est venue habiter son désert.

En ce temps là Utrillo le rejoignait parfois à Montparnasse. Il s'échappait alors de la maison de santé de Villejuif où se succédaient ses délires éthyliques - il disait qu'il voyait alors des choses qu'il ne parvenait pas à peindre lorsqu'il était calme.

Modigliani se consume dans le feu de ses poumons déchirés. Il se consume dans l'amour qu'il prend. Il se consume dans les rouges, les cramoisis, les incarnats, les pourpres et le sombres de ses toiles. Toujours Il se répète la phrase " Ton devoir est de sauver ton rêve ".

Zborowski ne lui a pas menti. Il ne s'est pas trompé. Il lui apprend qu'il va enfin avoir une exposition individuelle, dans une vraie galerie. Arrive enfin le jour du vernissage : le 3 décembre 1917. L'exposition est superbe. Les amis sont là, présents. Jeanne timide, dans un coin, lui adresse de temps à autre des regards d'admiration. Soudain des agents de police font irruption dans la galerie. - Ordre d'enlever ça de la vitrine. Attentat à la pudeur….On n'expose pas des traînées pareilles dans des poses pareilles, pendant que nos enfants meurent au front. Les habitants des maisons alentour se sont plaint. Et les passants aussi, qui demeurent ailleurs….. Le silence tombe. Il fait nuit soudain. La galerie se vide. Ils rentrent rue de la Grande Chaumière et Amedeo bois du mauvais vin qui lui donne la nausée. Jeanne au fond de la pièce, debout, mains jointes, curieusement atrophiées comme des mains de pierre ou de peur, Jeanne est absorbée par une toile vierge. Ses yeux se vident de leur substance. L'iris en est gelé. La chair irradie une lumière rouge qui se heurte aux vitres de la verrière.

De plus en plus ses formes s'allongent, s'allongent comme si le corps devait toucher les cieux et s'enraciner dans la terre. Jeanne peint aussi. Chaque fois que Jeanne a fait un paysage, il y avait comme un mouvement en spirale des éléments attirés vers l'abîme.

Le mal d'Amedeo s'aggrave. Il lui arrive de boire tant et tant que Jeanne doit se charger de le mettre au lit comme un enfant. Dans ces moments là elle pleure tranquillement, doucement. Modigliani lui dit alors " Jeannette, tu es trop jolie pour moi et trop fraîche, et tu pleures des larmes de lait. Tu devrais rentrer chez tes parents. Tu n'es pas faites pour moi ". Elle sanglote sans bruit, près de lui, droite devant le lit où il est comme un gisant de plomb, en proie à l'alcool, au délire et à la fièvre.

Un jour elle lui apprend qu'elle est enceinte. C'est le mois de janvier. Ce froid de l'année 1918 ! Un être conçu par eux va venir au monde alors que tant d'hommes meurent. Comment laisser naître un enfant dans cet atelier mal commode alors que Modigliani lui-même est de plus en plus atteint par la tuberculose ? Finalement une décision est prise. Ils iront passer le reste de l'hiver à Nice. Il est convenu que la mère de Jeanne les accompagnera. A Nice ils s'installent 5, rue de France à l'hôtel Tarelli. L'hiver est doux, comparé à celui de Paris. Modigliani ne cesse de cracher le sang et il lui arrive de contempler avec terreur le ventre de Jeanne qui s'arrondit. Simone Thirioux une ancienne maîtresse lui fait parvenir une lettre par laquelle elle lui annonce qu'elle a mis au monde un enfant qui est peut-être le sien.

C'est à Nice qu'ils apprennent la signature de l'Armistice. Ils apprennent aussi qu'Apollinaire est mort, le 9 novembre, non de sa blessure à la tête, mais de la grippe espagnole qui a ravagé ses poumons gazés. A la maternité de Nice, Jeanne met au monde une petite fille le 29 novembre de cette année-là. Ils l'appellent Jeanne comme sa mère.

Le 7 juillet 1919 ils retrouvent Paris. L'après-guerre est perceptible partout. Demeurent les problèmes d'argent., de plus en plus difficiles à résoudre. Amedeo travaille sans cesse avec toujours Jeanne auprès de lui. Elle est comme une ombre protectrice contre toutes les agressions, même celle de la lumière qui lui est parfois intolérable. Et cependant il se sent seul dans l'attente d'une gloire qui ne vient pas. Seul dans la honte et la fureur de cette attente vaine. Il en est à constater parfois avec satisfaction les progrès que fait en lui la maladie. Avec lucidité, avec fatalisme, tout en rêvant parfois encore à quelque retour en Italie, il s'installe dans cette idée d'une mort proche.

Cette sorte de condamnation il la porte au fond de lui-même, à la manière de Van Gogh, mais en fidèle disciple de Nietzsche cette idée l'anime un peu et le soutient. Jamais il n'a autant travaillé qu'au cours de ces trois dernières années.

Dans cet adieu au monde qu'il veut laisser, il s'efforce d'étreindre ce qu'il a sous les yeux et au-delà même de ce qu'il voit, avec une passion accrue. Dans cette voie du renoncement il puise aussi un sentiment inattendu de liberté entière qui l'incite à relier passé et présent pour mieux se rapprocher d'une expression universelle. De ces multiples figures chaque fois plus allongées et sinueuses, à la manière de tiges flexibles à demi ployées, de corolles à peine ouvertes prêtes à se faner, de ces têtes qui basculent, de ces visages diaphanes avivés par les contrastes éclatants ou tendres des rouges, des orangés, des outremers, des lilas, des bleus légers ou des grisailles, émane un étrange sentiment de lassitude et de résignation. Ce même genre de mélopée lancinante sourd également des quelques paysages peints sur la côte d'Azur.

Le samedi 24 janvier 1920 Amedeo Modigliani s'éteint à l'hôpital de la Charité - 47 rue Jacob - pas loin de la Seine, pas loin de la Grande Chaumière où Jeanne immobile attend son retour. Comme le rapporte sa fille, pendant son transport à l'hôpital, Amedeo Modigliani aurait murmuré " Italia. Cara italia ". Lorsque Jeanne apprend sa mort, elle se réfugie chez ceux qui l'aiment. Pour ne pas retourner dans leur atelier, elle couche dans un hôtel, l'hôtel de Nice qui lui rappelle leur dernier voyage en quête de soleil. Puis elle se lève, va chez ses parents, les Hébuterrne, 8 rue Amyot. Sans cesse elle sait qu'il est mort. Et le vide l'attire. Dans cette chambre du cinquième étage, elle voit tourner le paysage à ses pieds, se penche. Et chute. Son corps est là, qui contient leur deuxième enfant.

La colonie d'artistes de Montparnasse, qui venait de se reformer au lendemain des années noires, fut bouleversée par cette tragédie. Retenu à Rome par ses fonctions de député à la Chambre italienne, Emmanuel Modigliani, averti de la mort de son frère, avait télégraphié à Kisling : " Enterrez-le comme un prince ". Et c'est bien comme un prince, celui de la jeunesse, que Modigliani fut conduit au Père-Lachaise suivi par un long cortège de poètes, d'écrivains et d'artistes qui n'avaient pas conscience que ces funérailles étaient celles de leur passé.

Le Montparnasse d'avant 14 allait s'enfoncer dans une brume légendaire. Rien au lendemain de la guerre n'était plus pareil. Les artistes qui avaient grelotté la misère dans leurs ateliers étaient en passe de devenir riches et célèbres. Il s'en est fallu de peu que Modigliani lui-même ne le devînt. Ses œuvres entreprirent une ascension brutale dès le lendemain de sa mort.

Fuyant les lieux de leurs souffrances, les pauvres hères de l'Ecole de Paris allaient imiter Picasso, bourgeoisement installé rue La Boétie, et Matisse fixé à Nice. Soutine passera la plupart de son temps à Céret et à Cagnes. A Montparnasse, lorsqu'il y séjournait, il évitait les cafés du carrefour Vavin envahis par les artistes juifs. Devenu snob, il affectait de ne comprendre que le français. Zadkine allait s'installer rue d'Assas, occupant à lui seul une cité d'artistes. Foujita, Derain auront leurs hôtels particuliers, Chagall se fixera bourgeoisement à Passy, loin, si loin, du quartier de sa jeunesse.

Seuls des anciens, demeurèrent à Montparnasse, ceux qui aimaient la fête : Kisling, Pascin, Mané-Katz…..Ils allaient servir de figuration folklorique, donnant un alibi artistique à ce qui n'était plus qu'une industrie du plaisir.

Le site a pour vocation de promouvoir la lecture. C'est pourquoi les résumés de livre, less biographies sont faites à partir d'extraits des ouvrages même que j'ai consultés et proposés à la lecture. Afin de mieux préserver le style de l'auteur et le mettre en évidence, je n'ai entrepris aucune réécriture. Internet fonctionnant un peu comme une immense bibliothèque mondiale, les ouvrages que j'ai trouvés dignes de lecture y sont donc proposés. J'espère que les auteurs n'y verront aucun inconvénient car ma véritable intention est de mieux les faire connaître du grand public. R.D.

Bibliographie

Modigliani, Clarisse Nicoïdki, Edition Plon Modigliani, par Christian Parisot, Edition Pierre Terrail

La vie quotidienne à Montparnasse à la grande Epoque, par Jean-Paul Crespelle, Edtitions Hachette

 

 

 

 

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