Biographie

Ce 27 janvier 1756, une neige fine tombe sans discontinuer sur Salzbourg. Dans sa maison, située au 9 de la Getreidegasse, Léopold Mozart tourne comme un ours en cage : Anna Maria, son épouse est en train de mettre au monde leur septième enfant… C'est un garçon. Il s'appellera Wolfgang.

Des six autres, seule Maria Anna, surnommée Nannerl a survécu au manque d'hygiène et aux conditions sanitaires du temps. Lorsque son frère vient au monde elle a quatre an et demi.

Enfants et petits enfants de musiciens les deux jeunes Mozart vivent, dès leur plus jeune âge, entourés de musique. Léopold veille sur l'éducation de sa progéniture. Le père de Mozart était un homme très nettement porté sur la pédagogie. C'était un musicien doué et son école de violon lui valait une certaine notoriété. Fils d'artisans, intelligent, désireux de faire carrière, largement cultivé, il s'était considérablement élevé dans l'échelle sociale en accédant à la charge de compositeur et chef d'orchestre à la cour de Salzbourg, mais pas assez au regard des aspirations qu'il nourrissait pour lui-même. Tout son désir de pleine réalisation de son existence sociale se reporta donc sur ses enfants, avant tout sur son fils. L'éducation musicale de cet enfant prit le pas sur toute autre tâche, y compris sur son propre métier. Jouant aussi bien le rôle de père et d'ami, de maître et d'imprésario, il consacra sa vie à son fils. Et Wolfgang a eu la chance de grandir dans une famille qui lui a offert dès sa plus tendre enfance les sollicitations les plus actives précisément dans le domaine ou se développait son talent. A trois ans Wolfgang pianote sur le clavecin de sa sœur pour " chercher les notes qui s'aiment ". A six ans il montre fièrement à son père, fondant d'émotion, ses premières œuvres. Autant dire qu'il commence à composer avant même de savoir écrire. Mozart porte déjà la musique en lui. De tels dons ne peuvent rester inexploités. Dès 1762, la famille prend la route, Léopold veut " montrer un miracle au monde ".

Un premier séjour conduit les Mozart à Munich. Un second a pour but Vienne, capitale de l'Empire. Toute la cour impériale est réunie pour écouter les deux petits musiciens. C'est à Schönbrunn qu'une fillette de son âge aide Wolfgang qui vient de tomber à se relever. " Vous êtes bien gentille, lui dit-il en guise de remerciement, lorsque je serai grand je vous épouserai. " On ne saura jamais ce que l'archiduchesse Marie-Antoinette, future reine de France, pensa d'une aussi charmante demande en mariage.

Une lettre de Léopold à sa femme ne cache pas sa fierté : " Notre grand et puissant Wolfgang semble savoir à l'âge de sept ans tout ce qu'un homme acquiert à quarante ans ". De cours en palais, l'enfant suit son père sur les routes d'Europe. Dans les brumes londoniennes, Wolfgang rencontre, grâce à Jean Chrétien Bach, le charme ensoleillé de la musique italienne. Wolfgang n'a pas douze ans, et déjà il songe à écrire un opéra " La finta semplice ".

Le 11 décembre 1769, le père et le fils prennent la route de l'Italie. Dans les villes italiennes, chaque étape est couronnée de succès. De la musique italienne, Mozart connaît surtout les opéras à la mode, le Padre Martini va l'initier aux œuvres des vieux maîtres.

Les légendes qui entourent les dons musicaux extraordinaires de Mozart se multiplient ; on rapporte, par exemple, qu'il a écrit la totalité de la partition du Miserere d'Allegri, qu'il n'avait entendu que deux fois à la chapelle Sixtine au Vatican.

Le 10 octobre 1770, le pape le fait chevalier de l'Eperon d'or. Il reçoit la commande d'un opéra : Mitridate, ré di Ponte, Mozart en dirige lui-même (il n'a que 14 ans) 22 représentations en tenant la partie de clavecin. La famille connut pour un temps une certaine prospérité. Mais la célébrité des enfants prodiges s'usa rapidement lorsqu'ils grandirent. Et les grands de ce monde sont versatiles. Mozart va en faire la cruelle expérience. Léopold veut profiter des circonstances : pourquoi ne pas tenter d'obtenir pour son rejeton un poste stable à Milan. Mais ses demandes auprès de Ferdinand restent sans résultats. Leurs espoirs déçus, malgré le succès d'Ascanio in Alba, les Mozart quittent Milan sans avoir décroché la moindre commande. Les adieux de Mozart à Milan lui laissent un goût amer : l'inconstante Italie n'a rien fait pour retenir celui qu'elle fêtait hier encore. Wolfgang est confiné à Salzbourg. L'ex prodige a seulement 17 ans.

En 1778 Mozart part pour Paris accompagné par sa mère. Dans la capitale Wolfgang s'emploie à solliciter les gens en place, mais son impatience dès qu'il ne se sent pas apprécié à sa juste valeur ne plaide pas en sa faveur. Les mois passent sans perspective d'engagement. En juin sa mère tombe gravement malade. La détresse de Mozart est à son comble, lorsqu'il assiste, seul, sa mère mourante, au terme de quelques jours de maladie. Maria Anna Mozart est enterrée au cimetière Saint Eustache, à Paris. Le voyage de l'espérance tourne alors au cauchemar. Léopold dépose une supplique près de son prince archevêque, demande et obtient la réintégration de son fils en la Chapelle. Contraint et forcé Wolfgang quitte donc Paris. Il aura mis trois mois à accomplir le trajet Paris-Salzbourg manifestant sans cesse son déplaisir à rentrer. " Je vous jure sur mon honneur que je ne puis souffrir ni Salzbourg ni ses habitants ". C'est le 8 janvier 1779.

Au siècle des lumières un compositeur devait s'assurer une charge officielle auprès d'une cour. A cette époque, un musicien n'etait rien d'autre qu'un serviteur, dépendant du bon vouloir de ses maîtres. Et la biographie de Mozart illustre cet aspect de la vie de l'époque. Son destin est celui d'un individu bourgeois au service de la cour vers la fin de la période où presque partout en Europe le goût de la noblesse, puisqu'elle détient la force dirigeante, impose sa loi aux artistes de toutes origines sociales. Dans une grande " maison ", les musiciens étaient tout aussi indispensables que les confiseurs, les cuisiniers ou les valets de chambre, et ils occupaient normalement le même rang que ces derniers dans la hiérarchie des statuts à la cour. C'étaient des " courtisans " dans l'acception assez méprisante du terme.

Mais il y avait aussi des exceptions. Certains musiciens réussissaient grâce à leur talent exceptionnel à plaire si bien au public de la cour qu'ils jouissaient du prestige et de la célébrité dans les cercles les plus élevés. Dans ce cas-là ils pouvaient être traités quasiment d'égal à égal par les nobles de l'époque.

Léopold Mozart était alors au service de l'archevêque de Salzbourg qui était le prince gouvernant d'un petit Etat et ne se contenta pas d'élever le jeune Wolfgang dans l'esprit du goût musical de la cour, il s'efforça aussi d'adapter le comportement et la sensibilité de l'enfant aux normes de celle-ci. Certes l'œuvre de Wolfgang était marquée on ne peut plus profondément par le canon musical en vigueur dans la société aristocratique de cour à son époque - même si en vieillissant, il poursuivit l'élaboration de ce canon de façon tout à fait originale. Mais en ce qui concernait le comportement et la sensibilité, sa tentative de faire de Mozart un homme de monde échoua complètement. Wolfgang ne devint jamais un " homme du monde ", un gentleman du XVIIIè siècle et conserva sa vie durant le style et les allures d'un bourgeois tout à fait roturier. L'enfant espiègle commença très tôt à se moquer de ces airs et de ces manières qui ne lui convenaient pas.

Face à ce milieu, il resta résolument marginal, dans une attitude d'opposition croissante et de révolte qui s'exprimera, plus tard, par le choix de la comédie de Beaumarchais qui avait fait scandale à Paris, Les noces de Figaro. Il la choisit comme livret d'un de ses opéras, puis ce fut la composition du don Giovanni, nettement anti-aristocratique.

Au début de l'année 1779, Mozart se retrouve donc dans sa ville natale, sous le contrôle direct de son père et sous l'autorité de son ancien maître l'archevêque Colloredo qui semble indifférent à ses dons de musicien. Au cours de cette même année il compose son Idomeneo (opéra séria), dont le livret louait abondamment la bonté et la magnanimité du prince, conformément aux normes de l'opéra de cour sous le régime absolutiste.

Sur le plan institutionnel, la situation de règle à son époque était encore celle de l'artiste officiel, au service d'un maître. Mais la structure de sa personnalité était celle d'un homme qui veut suivre le cours de ses propres rêves. En 1781, quelques mois après la première représentation d'Idomeneo, Mozart rompt avec le prince-évêque. Il demande et obtient à grand peine son congé et c'est le sommet de sa révolte personnelle contre l'adaptation forcée au rang subalterne de serviteur d'un monarque absolu.

Il apparaît ainsi clairement que la révolte de Mozart était dirigée autant contre son père, bourgeois de cour, que contre le prince-évêque détenteur du pouvoir. Contrairement à son père, jamais il n'accepta au fond de son cœur sa position d'inférieur. Il ne s'accommoda jamais de voir traiter sa musique avec condescendance.

Mozart avait vécu près de vingt ans dans l'union la plus étroite avec son père. Tout au long de ces années, celui-ci l'avait dirigé. Il avait été son maître, son imprésario, son ami, son médecin, son guide de voyage, et son intermédiaire dans les rapports avec les autres. Vingt années durant, ce père avait travaillé " sur " son fils, presque comme un sculpteur sur sa statue : il avait modelé l' "enfant prodige " que Dieu dans sa bonté avait bien voulu lui accorder, comme il le disait souvent, et qui, sans son inlassable travail, ne serait peut-être pas devenu ce qu'il fut. Le pas que Wolfgang venait de franchir orientait désormais son avenir dans une nouvelle direction et il l'avait franchi sans prendre le conseil de son père. La crise atteste une force de caractère assez surprenante si l'on considère l'éducation qu'il avait reçue.

En Allemagne et en Italie, il y avait des dizaines de cours et de villes qui se disputaient entre elles les chances de prestige, et par conséquent aussi les musiciens. Mozart avait donc décidé qu'il gagnerait désormais sa vie comme " artiste indépendant " en vendant son talent de musicien et ses œuvres sur le marché public. Mozart s'installe donc à Vienne et commence à chercher des élèves pour donner des cours de piano, apparemment avec quelque succès. Comme le succès de sa musique à Vienne lui importait énormément, l'échec ultérieur dans cette même ville le toucha particulièrement au vif. L'incompréhension à laquelle il se heurta à la fin de sa vie dans les cercles viennois représentait pour lui une lourde perte de sens. Cette expérience fut, pour une grande part, décisive dans le sentiment de vide qui s'empara de lui et qui le priva du courage qu'il lui aurait fallu pour entreprendre encore de nouveaux efforts et lutter contre la maladie qui se déclarait.

En 1782 Mozart annonce à son père qu'il a décidé d'épouser Constanze Weber, sœur d'Aloysia Weber dont il avait été amoureux et lui demande sa compréhension et son accord. Pour Léopold, cette décision marque la fin de tous les espoirs. Dans le cercle familial, il semblait établi une fois pour toutes qu'on resterait ensemble, lorsque le jeune homme aurait enfin trouvé une prestigieuse charge. Peut-être le père nourrissait-il en secret l'espoir d'échapper à la prison de Salzbourg et de s'établir auprès de son fils. C'est pourquoi il essaya de dissuader Wolfgand de son projet, il menaça et refusa son accord. Le mariage fut célébré à la cathédrale Saint Etienne le 4 août 1782. La bénédiction de Léopold n'arriva, par courrier, que le lendemain. Léopold Mozart ne surmonta jamais tout à fait ce choc.

Deux des plus belles symphonies de Mozart " Haffner " et " Linz " datent de 1782 et 1783. Dès lors, sa productivité sort de l'ordinaire. Pourtant, malgré l'abondance des commandes et des concerts il se trouva lourdement endetté pendant de longues périodes à la fin de sa vie. Mais les histoires mélodramatiques sur sa pauvreté abjecte sont très exagérées. Son niveau de vie n'était pas non plus celui d'un indigent. Au plus forts de leurs difficultés financières, les Mozart, comme tous les bourgeois aisés de Vienne, avaient plusieurs domestiques à leur service, dont deux servantes à demeure, et un valet prénommé Joseph. Leurs difficultés financières provenaient moins d'un manque à gagner que d'un train de vie dispendieux. Lorsqu'il était en difficulté, Wolfgang n'éprouvait apparemment aucun scrupule à demander une aide financière à de riches amis. Périodiquement, il écrit à Michael Puchberg, banquier et franc-maçon pour lui demander des prêts (qu'il ne remboursera jamais). Et Puchberg accepte toujours, mais lui accorde généralement des sommes inférieures à celles qu'il demande. (A cet égard, le cours des autographes de Mozart est monté de façon exponentielle : une telle lettre adressée à Puchberg pouvait atteindre deux cent fois la somme demandée, environ deux siècles plus tard). Son indifférence à l'égard des problèmes d'argent et son incapacité à s'en débrouiller étaient aussi des restes de l'enfance, où son père, qui était un homme fort, très actif en affaires, réglait pour lui ce genre de difficultés.

En 1782, toutes les contingences matérielles sont oubliées : Mozart s'enthousiasme pour la musique de Jean-Sébastien Bach. La composition de son opéra l'Enlèvement au sérail suscite des réactions mitigées ou enthousiastes. " Trop de notes, mon cher Mozart " aurait dit Joseph II qui aurait dû, pourtant, se montrer sensible aux idées de tolérance et de générosité magnifiées par une partition brillante de tout l'éclat de la jeunesse, exaltant la liberté et l'amour. Le public, lui, ne se trompe pas et fait un triomphe à l'Enlèvement au sérail tout au long des seize reprises programmées en quelques mois.

En 1784 Mozart entre en maçonnerie, à la loge " la Bienfaisance " ; il est apprenti.

Le destin va s'acharner sur Wolfgang. Depuis quelques temps, déjà, Léopold était souffrant. Sa mort subite le 28 mai est pour son fils un choc profond. Une porte se ferme sur son passé. Il ne reverra jamais sa sœur. Salzbourg s'est éloigné pour toujours. Il faut pourtant continuer à travailler. C'est du mois d'août que date une page célèbre entre toutes, la 13e Sérénade KV 525, cette petite Musique de nuit ", destinée à un quatuor à cordes complété d'une contrebasse - un quintette d'une inimitable fraîcheur.

On a calculé qu'entre 1784 et 1788, Mozart a écrit ses œuvres à la cadence moyenne d'une tous les 18 jours. Etonnant ! mais ce qui l'est bien plus, c'est que sous la centaine d'ouvrages qui a vu le jour pendant cette période, à peu près quatre sur cinq pouvaient compter parmi ses chefs-d'œuvre.

En 1789. Constance est enceinte, pour la cinquième fois, et la situation financière du foyer toujours aussi désastreuse. L'enfant, une fille ne vit qu'une heure. Sur les six enfants de Mozart et Constance, deux seulement survécurent : Karl Thomas, qui fit carrière dans l'administration, et Franz Xaver Wolfgang, qui choisit la musique. Tous deux, célibataires, moururent sans descendance.

C'est à Prague qu'est crée son chef-d'œuvre lyrique, Don Giovanni, en 1787. Il est intéressant de noter que, lors de sa représentation à Vienne, l'ouvrage est monté sous le titre Die sprechende Statue, certainement pour rendre l'histoire sensationnelle ; l'apparition dramatique de la statue du Commandeur, soulignée par la sonorité menaçante des trombones, constitue un sommet frémissant de l'ouvrage. Le librettiste est Carlo da Ponte qui avait déjà écrit Le nozze de Figaro. Poète, libertin, aventurier, il avait déjà une carrière agitée à son actif. On l'avait vu tour à tour prêtre, impliqué dans diverses affaires de mœurs, accusé de corrompre la jeunesse, et enfin exilé de Venise pour une affaire d'adultère. En 1782 il avait débarqué à Vienne inconnu et sans le sou. Un an plus tard il décrochait, à force d'intrigues le poste de poète des théâtres impériaux, en dépit de son inexpérience totale de la scène. 6 On ne sait rien sur la façon dont Mozart et Da Ponte ont été amené à collaborer, mais on a de bonnes raisons de croire que la musique fut terminée pour l'essentiel en six semaines.

1791. Vient ensuite un épisode mystérieux de la vie de Mozart. Un étranger lui adresse une commande pour qu'il compose un requiem ; il s'agit d'un employé du comte Franz von Walzegg, qui a l'intention de faire jouer cette œuvre à la mémoire de sa femme en s'en attribuant la paternité. Mais Mozart ne parvient pas à achever la partition, qui sera terminée par son élève Franz Xavier Süssmayr et par Eybler.

La gloire posthume lui importait relativement peu, alors que la gloire immédiate était tout pour lui. Il avait lutté pour l'obtenir, en ayant pleinement conscience de sa propre valeur. Or, à la fin, même les représentants de ce cercle le plus proche l'abandonnèrent pour la plupart. Et il se retrouva de plus en plus seul.

Lui qui avait tant cherché à obtenir l'amour de ses contemporains, il éprouva, jeune comme il l'était encore à la fin de sa vie, le sentiment que personne ne l'aimait plus et qu'il ne s'aimait pas non plus lui-même. Il savait qu'il mourrait bientôt et il composa pour une bonne part le Requiem dans l'idée de sa propre mort.

En mars, il donna son dernier concert en public. Il y joua son ultime concerto pour piano, en si bémol majeur, K595, où comme souvent dans ses œuvres tardives, la nuance qui sépare le rire des larmes est d'une finesse incomparable.

Cette même année il composa La Clémence de Titus et la Flûte enchantée. Il se trouva des amateurs pour prétendre après la mort de Mozart, que la Clémence de Titus était le chef-d'œuvre du compositeur. Quant à la Flûte enchantée, il s'agissait d'un ouvrage bien différent, avec ses dialogues parlés, et son curieux mélange d'éléments maçonniques, ésotériques et comiques. Il relevait de la tradition allemande du Singspiel.

Alors que la Flûte enchantée se jouait à guichets fermés et promettait de supplanter l'Enlèvement au sérail dans la faveur du public, Mozart termina son tendre et crépusculaire concerto pour clarinette K622.

La cause exacte de la mort de Mozart, à l'âge de trente-cinq ans fait l'objet de nombreuses spéculations. Peu après sa mort, des mythes et des échos fantaisistes ont commencé à paraître dans la presse selon l'histoire la plus persistante, Mozart aurait été empoisonné par Salieri, malade de jalousie. Cette invention particulièrement morbide a circulé dans les journaux européens et l'histoire a pris des formes encore plus élaborées lorsqu'on a révélé que Salieri avait confessé son crime sur son lit de mort en 1825. Pouchkine a repris ce conte dans son drame Mozart et Salieri, que Rimski-Korsakov a mis en musique dans son opéra homonyme. Peter Shaffer a conçu autour de la rivalité Mozart-Salieri une pièce qui a connu un grand succès, Amadeus, crée à Londres en 1979 puis a New York en 1980. Elle a été portée à l'écran en 1984 par Milos Forman et a reçu un accueil exceptionnel.

La notion de meurtre dans la mort de Mozart a également séduit les nazis ; certains écrivains allemands aux convictions hitlériennes ont propagé une invention ingénieuse selon laquelle Mozart aurait été victime d'une double conspiration des francs-maçons et des Juifs, tous déterminés à enrayer l'épanouissement de la grandeur raciale germanique. Dans cette interprétation, les francs-maçons auraient été outragés que Mozart ait révélé leurs rites secrets dans la Flûte enchantée.

Les diagnostics modernes, toujours hasardeux, avancent l'hypothèse d'une fièvre rhumatismale récurrente, contractée probablement dans l'enfance.

Il est faux de prétendre que Mozart a été enterré dans la fosse commune ; son corps a été retiré de l'emplacement individuel où il avait été d'abord déposé parce que la famille avait négligé de payer les frais obligatoires. Constanze employa une bonne part de son temps dans les années qui suivirent à faire jouer et à publier la musique de Mozart. Elle mourut en 1842, âgée de 80 ans. A ce moment elle pouvait être assurée, que grâce en partie à ses efforts son mari avait sa place au panthéon des musiciens. Aujourd'hui en dépit de tous les bouleversements qu'à connu la musique, cette place est toujours la sienne.

On a écrit de Mozart que son besoin d'amour le rendait extrêmement vulnérable. Pendant de longues périodes la musique lui assura l'amour et l'admiration des autres. Lorsque le sentiment de n'être pas aimé devenait trop fort elle lui offrait un abri et un refuge. A la fin il ne pouvait plus ignorer son échec, son désir d'amour inassouvi, la perte de sens de son existence. Alors il renonça et mourut - apparemment méconnu, alors que le succès et la gloire l'attendaient au détour du chemin.

L'image de Mozart, telle qu'elle ressort de lettres, récits et autres témoignages, est difficilement conciliable avec la vision idéale que nous avons du génie. Mozart était un être simple, il se montrait parfois infantile dans les rapports personnels, assez sans gêne dans l'emploi de métaphores qui se rapportaient aux excréments anaux.

Le problème est de savoir comment un être qui éprouvait les pulsions animales d'un individu ordinaire a pu produire une musique dont ses auditeurs ont le sentiment qu'elle est exempte de toute animalité. On emploie, pour qualifier cette musique, des termes comme " profonde ", " sensible ", " noble " ou " mystérieuse " - elle semble faire partie d'un monde différent de celui de la vie courante et au regard duquel la seule évocation des aspects moins sublimes de la nature humaine semble une offense.

Dès qu'on essaie de se faire un portrait de Mozart, on découvre les contradictions de sa personnalité. Il est le créateur d'une musique dans son genre sublime, pure et sans tâche. Elle présente un aspect éminemment cathartique et semble s'élever au-dessus de tous les aspects animaux de la nature humaine. Elle témoigne manifestement d'une haute capacité de sublimation. Mais, en même temps, Mozart était capable de plaisanteries de la plus extrême grossièreté aux oreilles des générations ultérieures. Mais il faut dire aussi qu'à l'époque ce genre de plaisanterie faisaient partie des distractions habituelle de la vie des jeunes gens qu'il fréquentait. Son habitus donc, qui n'avait rien à voir avec la cour, était dans un rapport paradoxal avec son œuvre. Et ce paradoxe ne fut pas pour rien dans son échec social.

Mozart aspira sans cesse à retrouver l'éclat du prestige et de l'admiration dont, enfant, il avait bénéficié un certain temps. Jamais il ne cessa de travailler durement pour cet art. La formation qui lui avait été donnée l'avait aidé à acquérir la capacité de conserver la liberté de son inspiration musicale tout en créant une œuvre au goût de son temps, c'est-à-dire adaptée au canon de la couche sociale dominante. Même devenu " artiste indépendant ", Mozart restait prisonnier de cette structure. Son imagination s'exprimait sous la forme de combinaisons formelles qui s'inscrivaient certes dans le cadre du canon musical de l'époque, mais dépassaient de loin, à l'intérieur de ce canon, les combinaisons connues jusqu'alors. La spontanéité du flot de l'imagination transposé en musique reste chez lui pratiquement intacte. Bien souvent, les inventions musicales jaillissent de lui comme les rêves du sommeil. On racontait que, alors qu'il était en compagnie d'autres gens, il écoutait secrètement un morceau de musique qui prenait forme en lui. Il prenait alors congé brusquement et revenait quelque temps après, sa bonne humeur retrouvée ; entre temps, il avait composé une de ses œuvres. Il avait déclaré un jour, vers la fin de sa vie, qu'il lui était plus facile de composer que de s'en abstenir.

Depuis plus de deux siècles, le génie de Mozart est reconnu de façon universelle par les musiciens, professionnels ou amateurs, et par le grand public. Dans sa musique la simplicité souriante côtoie le drame sombre ; l'inspiration la plus élevée contraste avec des diversions joyeuses ; une méditation profonde alterne avec une humeur capricieuse ; la concentration religieuse est imprégnée de tendresse humaine.

Mozart écrit à son père en 1782 à propos de ses concertos pour piano : " Ces concertos se tiennent à égale distance de la musique facile et de la musique difficile : ils sont très brillants, plaisants à l'oreille et coulent de source, sans être trop rapides. Il y a des passages ici et là qui pourront satisfaire le connaisseur, mais ces passages sont écrits de façon à ce que l'auditeur ordinaire y prenne plaisir, sans qu'il sache pourquoi ".

Bibliographie

Norbert Elias : Mozart, Sociologie d'un génie - La librairie du XXe siècle - SEUIL
Michel Parouty : Mozart aimé des dieux, Découvertes Gallimard.
Encyclopédie Musicale
Mozart, Vie et œuvre, Neil Wenborn, CD livre Diapason

Oeuvre

Aucun musicien n'a été, autant que Mozart, victime d'incompréhensions et de contresens. Si les " grands " du XIXe siècle - Beethoven, Schubert, Schumann, Chopin et Wagner - surent reconnaître ce qu'ils devaient à leur devancier, le public romantique, un Berlioz en tête, ne voulut voir en Mozart que l'ordonnateur frivole des festivités galantes et désuètes de l'Ancien Régime musical. On ne retrouvait pas en lui le titanisme prométhéen dont s'enivrèrent les générations postérieures aux bouleversements initiaux du siècle.

Pourtant à partir du premier centenaire une certaine faveur lui revint, mais ce fut pour la pire des raisons. On fit de lui, pour l'opposer aux hardiesses alors scandaleuses des novateurs, le parangon (modèle, type) d'un académisme fade et béat : sa musique était présentée comme le point culminant de la perfection, au-delà duquel il ne pouvait y avoir que décadence. Ainsi s'instaura la légende, si difficile à extirper, de l'enfant prodige au profil de bonbonnière, de l'artiste recevant miraculeusement du Ciel ses mélodies suaves.

Il fallut attendre le début du XXe siècle pour que fussent révélés les aspects sombres, inquiétants, " démoniques " de son œuvre. Puis grâce aux admirables travaux de grands musicologues, le vrai visage de Mozart fut peu à peu retrouvé ; l'auditeur put enfin embrasser la totalité mozartienne et découvrir la déroutante variété des aspects de son œuvre. De plus, en dénonçant le mythe de la facilité et de l'inspiration, l'historien restitua au Maître sa qualité de travailleur acharné et de technicien accompli, scientifique, de l'art musical.

Aussi sommes-nous à même de le situer musicologiquement à sa juste place : place véritablement centrale. Car il s'épanouit et mûrit à tous les climats musicaux de l'Europe de la fin du XVIIIe siècle : l'Allemagne du Sud et du Nord, l'Italie, la France, de sorte qu'il put se rendre maître de tous les langages qui étaient alors en faveur ou en gestation. Mais son intérêt pour la technique musicale était si vif qu'il ne se contenta point de cela : il remonta le cours du temps, cherchant à capter les formes du passé qui pouvaient encore lui être accessibles. Ce fut donc un gigantesque travail de synthèse qu'il s'astreignit à réaliser, englobant tout à la fois tous les langages contemporains et antérieurs, et anticipant hardiment sur les recherches les plus audacieuses des compositeurs à venir.

L'actuel " retour à Mozart " n'est pas simplement de l'ordre artistique. Si Mozart aujourd'hui nous va si droit au cœur, c'est que nous découvrons en son œuvre, non pas en dépit, mais en fonction directe de sa limpidité, une grande profondeur de pensée. Et cette pensée ne porte pas seulement sur l'inanité des passions, l'amour et la fraternité humaine, mais elle s'attache surtout à des problèmes que, certes, l'on s'est posés de tout temps, mais que nous soulevons aujourd'hui d'une manière plus instante que jamais : qu'est ce que la mort ? quel est le sens de la vie ? De la réponse à ces questions dépendait pour lui la paix, la sérénité à quoi il aspira foncièrement depuis l'enfance. Mais son aspiration, toujours insatisfaite, le fit passer par des crises d'inquiétude et d'angoisse alternant avec des moments de paisible luminosité. Ces alternances, à mesure qu'il approchait de la mort, se précipitèrent et s'aggravèrent.

Aussi est-il fort impressionnant de voir un musicien, dont les œuvres tant de fois ont respiré le bonheur, manifester aussi, d'une manière si désolée, l'angoisse foncière qui ne le quittait pas.

Car, après la luminosité de La Flûte enchantée et de sa dernière Cantate maçonnique (K 623), nous assistons au tragique effondrement qu'exprime son Requiem interrompu. Il fut acculé, à l'heure de la mort, au désarroi, à la désespérance.

Les étapes de la vie musicale de Mozart

La vie privée de Mozart, comme nous l'avons vu précédemment, ne présente guère d'intérêt pour qui veut comprendre sa musique. Elle se réduit d'ailleurs à peu de chose : né à Salzbourg, il reste au service de la cour archiépiscopale de sa ville natale, jusqu'au moment où il se brouille violemment avec l'archevêque Colloredo, il se fixe alors à Vienne. Contre le gré de son père, il épouse Constanze Weber. Le succès qu'il escompte lui échappe de plus en plus ; il tombe dans la pire misère et meurt à Vienne dans une indifférence quasi générale. Seul Joseph Haydn, apprenant à Londres la mort de son jeune ami, passera la nuit de Noël à le pleurer.

Les seuls événements marquant de sa vie sont ceux qui jalonnent les étapes de son évolution musicale.

Dès l'âge de trois ans, Wolfgang manifeste, outre une puissance exceptionnelle de concentration, des dons musicaux remarquables : justesse absolue d'oreille et mémoire prodigieuse.

Léopold entreprend (comme nous l'avons déjà vu), avec son fils et sa fille Maria Anna, des tournées où il exhibe l'enfant prodige et l'enfant y trouve l'occasion de capter des influences qu'il n'aurait pas connues s'il était demeuré à Salzbourg.

Dès l'âge de huit ans Mozart fait la découverte de deux musiciens qui le marqueront pour toujours : Johann Schobert à Paris, Jean-Chrétien Bach à Londres. Grâce au premier s'éveillent à la fois le sens de la tendresse mêlée à l'intensité pathétique et celui de la poésie musicale. Par le second (fils cadet de Jean-Sébastien) c'est paradoxalement en allant vers le Nord qu'il entre en contact avec la chaleur ensoleillée du midi italien.

De retour dans son Autriche natale, il s'imprègne de l'esprit musical, à la fois sérieux et gemütlich de l'Allemagne du Sud, représenté par Joseph Haydn, son aîné de 24 ans, qu'il découvre lors de quelques séjours à Vienne.

Il lui fallait dorer sa palette musicale au soleil du Midi, et c'est un point à mettre à l'actif de son père que de l'avoir envoyé à trois reprises en Italie. Pendant cette période, il se plonge, alternativement, dans la musicalité chantante mais superficielle de l'opéra italien d'alors et dans la sensibilité autrichienne. Ce qu'il retire de plus précieux de ce contact avec l'Italie, c'est, grâce au père Martini qui le fait travailler à Bologne l'art de la mélodicité polyphonique puisé à la tradition des anciens maîtres du contrepoint chantant. Jusqu'au terme de sa carrière, Mozart restera dès lors un maître incontesté, surtout dans les ensembles d'opéras, de la science de la polyphonie vocale.

Il résulte de son dernier voyage en Italie une crise " romantique " où Mozart, alors âgé de 17ans, produit des purs chefs-d'œuvre : les quatuors milanais (à cordes), et la trilogie symphonique de l'hiver, qui consacrent la synthèse du Nord et du Midi.

Ensuite, pendant 4 ans, il s'adonne à la " galanterie " musicale. Beaucoup ont reproché à Mozart de s'être laissé aller à la facilité en adoptant ce style décoratif pour complaire à l'aristocratie salzbourgeoise : sérénades, divertissements, sonates salonnières pour le piano. Pourtant ses années de détente lui ont permis de développer le sens de la poésie musicale.

Lors de son voyage à Paris, lui qui depuis toujours est hanté par le désir d'écrire des opéras, il tombe en plein dans la lutte entre piccinnistes et gluckistes. Ce séjour à Paris aura une importance capitale du fait que Mozart capte de l'esprit français - sans en retenir la sécheresse - le goût de la pudeur, de l'élégance et de la concision. Il aura dès lors plus que jamais horreur de la longueur et de l'emphase oratoire (ce qu'il appelle le goût long des Allemands).

Il devient le musicien le plus européen par excellence, capable de réaliser la synthèse des langages allemands, italien et français, dont il peut user, comme en se jouant, en y mettant sa propre touche. Après son retour de Paris, tous les styles proprement contemporains lui étaient devenus familiers mais il a su rester libre à l'égard de toute imitation.

A Vienne, L'Enlèvement au sérail, opérette allemande, inaugure en 1782, la série de ses chefs-d'œuvre lyriques.

Pourtant, il lui restait encore deux langages à découvrir et à faire siens : l'un qui avait son assise sur le passé, l'autre qui s'ouvrait audacieusement sur l'avenir. Le premier est la puissante structure baroque de type fugale, représenté par Jean-Sébastien Bach ; le second, illustré par joseph Haydn. C'est en 1782 que Mozart découvre ces deux langages antinomiques. C'est donc à un nouveau travail de synthèse qu'il va s'adonner durant ses deux premières années viennoises, synthèse d'autant plus vaste et difficile qu'elle doit englober tout ce qu'il a précédemment acquis.

Bach ! Mozart prend feu, s'essaie à ce style périmé dont il est le seul à saisir la puissance. Et en mai 1783 il compose le chef-d'œuvre de sa musique religieuse : la grande Messe en ut mineur (inachevée). Pendant le même temps il se concentre dans le travail ardu de la composition thématique. En hommage à Haydn il composera les six quatuors à cordes. Haydn les écoutant dira à Léopold présent à l'exécution : " je vous déclare devant Dieu, en honnête homme, que je tiens votre fils pour le plus grand compositeur que je connaisse ".

Le style thématique en arrive à s'épanouir dans la mélodicité, comme on peut le voir dans sa musique de chambre avec piano (lest trios), dans les trois beaux concertos pour le piano K. 488, 491 et 503 et surtout dans Les noces de Figaro. Mozart a trouvé le genre théâtral qui lui convient le mieux, l'opéra buffa, où la richesse et l'intensité musicales vont de pair avec l'alacrité et la présence scénique.

En 1787 Mozart est gravement préoccupé par l'idée de la mort, surtout après le décès de son père. C'est l'année du Quintette en sol mineur K 516 et du Don Giovanni, où se pose à cru le problème de la rupture de l'ardeur de vivre et de l'inanité des passions.

L'œuvre théâtrale la plus translucide de Mozart est le Cosi' fan tutte, comédie-proverbe d'une profonde gravité sous son élégance frivole.

Deux mois avant sa mort, les succès semble enfin se dessiner avec La Flûte enchantée, singspiel maçonnique où il récapitule pour la scène tous les langages de sa carrière. Mais en même temps qu'il achève cette œuvre toute pénétrée de son aspiration à la lumière, il commence son Requiem. L'œuvre ne sera pas terminée. Mozart meurt le 6 décembre.

La musique mozartienne

Mozart n'a crée aucun langage. Sa vie durant, il ne laissa pas d'être à l'affût de tous les idiomes dont il pouvait prendre connaissance, et, quand il les adoptait, loin d'en rester au formalisme des procédés, il les recréait de l'intérieur. Mozart n'a été le maître d'aucun langage : il a été maître de tous les langages, jusqu'à les parler comme autant de langues maternelles, et c'est là sa vraie maîtrise.

Et pourtant, il leur imprime la marque " mozartienne " qui les dépouille de tout particularisme national ou culturel. On ne peut cependant pas, à son propos, parler d'originalité : il n'a pas marqué son œuvre du cachet de ce qu'on nomme la personnalité de l'artiste, ainsi que firent un Beethoven ou un Wagner. Il n'y a pas de style mozartien ; il n'y a pas, même dans ses opéras, de " monde ", de climat mozartien. Et pourtant, sa musique a quelque chose d'unique, qui se décèle dès l'audition de quelques mesures, quelque chose d'insaisissable.

Innombrables sont les aspects opposites de cette œuvre protéiforme : légèreté badine et gravité pathétique, galanterie salonnière et romantisme farouche, distinction aristocratique et bonhomie, voire truculence populaire, tendresse alanguie ou rêveuse et âpreté, violence virant parfois à l'atroce. Musique si facile d'accès et en même temps si savante, avec des structures accessibles aux seuls connaisseurs.

Comme longtemps, on avait insisté sur la grâce et la légèreté, on a, par réaction, souligné les aspects graves et tragiques. Mais, à suivre la ligne d'évolution de sa création musicale, on voit combien il est simpliste de dire qu'il ait tendu de la galanterie de cour à la " grande " musique : les œuvres de la dernière année récapitulent tous ses styles. Les moments les plus hauts de son œuvre sont ceux où, dans une totale solitude, il cherche une issue de sérénité. Et - chose stupéfiante - cela arrive en plein concerto, en plein opéra.

Ce qui fait la profondeur de sa musique, c'est la pensée. Mais, entendons-nous bien : il n'avait aucun goût pour le maniement des idées abstraites ; sa correspondance serait fort décevante pour qui y chercherait des spéculations de philosophie, de politique, voire d'esthétique. C'est en musique qu'il pensait et qu'il parlait, et cela lui était possible en vertu, précisément, de sa maîtrise technique : rien ne s'interposait entre l'idée et la vibration ordonnée du tissu musical.

Or, les problèmes qui, très tôt, l'ont préoccupé sont ceux de la mort, de la survie, du sens de la vie : les seuls passages de ses lettres où il fait part de ses réflexions profondes touchent à cela, et dès que, dans un texte à mettre en musique, apparaît le mot de " mort ", le ton s'aggrave immédiatement. " Toujours entre l'angoisse et la joie ", écrit-il à son propre sujet. Mais comment venir à bout de cette dualité, source d'une continuelle instabilité, d'un continuel déséquilibre ? Par un sursaut héroïque, de type romantique, où l'on s'enivre de puissance en créant un monde fictif d'évasion ? Non ! Chez Mozart, c'est tout le contraire : c'est dans un langage clair, simple, aussi proche que possible du naturel, mais avec un métier consommé, qu'il cherche une issue.

Mozart fut séduit, sans doute pour fortifier la foi de son enfance, par le symbolisme maçonnique de la dualité de l'Ombre et de la Lumière. Mais ce symbolisme, qui se manifeste surtout à partir de 1784, il l'a maintes fois rompu, parce qu'il ne pouvait pas s'en satisfaire.

Il semble avoir pressenti que la Lumière, la sérénité à quoi nous aspirons, ne saurait être une entité, un pôle, un au-delà. Et c'est sans doute à ce pressentiment, à cette impression de vide que tient ce qui distingue sa musique de toutes celles qui revêtent une apparence de plénitude. " Je ne peux pas bien t'expliquer, écrit-il quatre mois avant sa mort, c'est une espèce de vide qui me fait très mal, une certaine aspiration qui, n'étant jamais satisfaite, ne cessa jamais, dure toujours et croît de jour en jour. Même mon travail ne me charme plus. "

La Flûte enchantée est terminée le 30 septembre ; il lui reste à écrire son Requiem, dont il sent qu'il le compose pour lui-même. Une panique eschatologique (eschatologie : ensemble de doctrines et de croyances sur le sort ultime de l'homme et de l'univers) emporte tout et disloque ce qui était fondé sur l'espérance. Ce ne sont ni l'insuccès, ni la misère, ni la maladie qui ont miné Mozart : cette déroute est de l'ordre du désarroi intellectuel.

Si cette musique touche si directement et si intensément, c'est qu'elle exprime un appel fondamental et qui vient du profond de nous tous. Nul musicien n'a accusé, avec autant de sincérité, le fiasco final de toute idéologie devant la seule question qui importe et qui, à l'heure de la mort, est inéluctable : qu'en est-il de nous-mêmes ?

Le site a pour vocation de promouvoir la lecture. C'est pourquoi les résumés de livre, les biographies sont faites à partir d'extraits des ouvrages même que j'ai consultés et proposés à la lecture. Afin de mieux préserver le style de l'auteur et le mettre en évidence, je n'ai entrepris aucune réécriture. Internet fonctionnant un peu comme une immense bibliothèque mondiale, les ouvrages que j'ai trouvés dignes de lecture y sont donc proposés. J'espère que les auteurs n'y verront aucun inconvénient car ma véritable intention est de mieux les faire connaître du grand public. R.D.

Bibliographie :

Jean-Victor Hocquard

Bibliographie : Dictionnaire de la musique, les compositeurs. Edition Encylopaedia Universalis Albin Michel

 

 

 

 

 

 

 
 

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