Résumé
(Afin
de mieux préserver le style de l'auteur et de restituer
l'originalité et la vivacité de son ton, la précision
de son vocabulaire, ce texte a été conçu
à partir d'extraits du roman. Ce résumé
n'est qu'un fugitif aperçu du talent de Dai Sijïe
et ne prétend en aucun cas se substituer à la
lecture du texte intégral qui seul rend hommage à
l'écrivain ).
Le
chef du village inspectait mon violon. Dans nos bagages c'était
le seul objet duquel semblait émaner une saveur étrangère,
une odeur de civilisation propre à éveiller les
soupçons des villageois.
Nous
avions marché toute la journée dans la montagne,
et nos vêtements, nos visages, nos cheveux étaient
couverts de boue. Nous étions Luo et moi, deux garçons
de la ville, fragiles, minces, fatigués et ridicules.
Ce
fut en 1971 que nous arrivâmes dans cette maison sur pilotis,
perdue au fin fond de la montagne, et que je jouai du violon
pour le chef du village. Les visages des paysans, si durs tout
à l'heure se ramollirent de minute en minute sous la
joie limpide de Mozart. Toutes les uvres de Mozart, ou
de n'importe quel musicien occidental étaient interdites
dans le pays.
-
Mozart pense au président Mao.
C'est
ainsi que Luo avait présenté l'uvre. Quelle
audace ! Mais elle fut efficace : comme s'il avait entendu quelque
chose de miraculeux, le visage menaçant du chef s'était
adouci. Ses yeux s'étaient plissé dans un large
sourire de béatitude.
Telle
fut notre première journée de rééducation.
Luo avait dix-huit ans, moi dix-sept.
Le
Grand Timonier de la Révolution, le président
Mao, à la fin des années 68, avait lancé
une campagne qui allait changer profondément le pays
: les universités furent fermées, les " jeunes
intellectuels " furent envoyés à la campagne
pour être rééduqués par les paysans
pauvres.
Mais
ironie du sort : ni Luo ni moi n'étions lycéens.
Mes parents exerçaient la médecine. Leur crime
consistait à être " de puantes autorités
savantes ", qui jouissaient d'une réputation de
modeste dimension provinciale. Le père de Luo était
une véritable célébrité, un grand
dentiste connu dans toute la Chine. Un jour il avait dit à
ses élèves qu'il avait refait les dents de Mao
et de madame Mao et aussi de Jiang Jieshi, le président
de la république avant la prise du pouvoir par les communistes.
Luo
fut le meilleur ami de ma vie. La montagne où nous étions
était nommée " le Phénix du Ciel ".
Aucune route n'y accédait, seulement un sentier qui s'élevait
entre les masses énormes des rochers, des pics, monts
et crêtes de toutes tailles.
Pour
apercevoir un quelconque signe de civilisation il fallait marcher
pendant deux jours dans la montagne.
Ni
Luo ni moi n'aimions trop travailler dans ce village et ce qui
nous effrayait le plus c'etait de porter la merde sur le dos
: engrais humain ou animal que nous transportions sur notre
échine jusqu'aux champs situés à une hauteur
vertigineuse.
Pour
les enfants des familles cataloguées comme " ennemies
du peuple ", l'opportunité du retour était
minuscule : trois pour mille. Mathématiquement parlant
Luo et moi étions " foutus ". Il y avait vraiment
de quoi se sentir déprimés, torturés, incapables
de fermer les yeux.
La
princesse de la montagne du Phénix du Ciel avait les
yeux les plus beaux du district de Yong Jing sinon de toute
la région. C'était la fille de l'unique tailleur
de la montagne, un tailleur très demandé qui menait
une vie de roi. Lorsqu'il arrivait dans un village, l'animation
qu'il y suscitait n'avait rien à envier à une
fête folklorique.
Il
n'emmenait jamais sa fille avec lui dans ses tournées,
et cette décision, sage mais impitoyable, faisait crever
de déception les nombreux jeunes paysans qui aspiraient
à sa conquête.
Le
vieux était parti en tournée lorsque nous fîmes
la connaissance de sa fille, la Petite Tailleuse à qui
nous demandâmes de rallonger le pantalon de Luo.
Je
remarquai que, quand elle riait, ses yeux révélaient
une nature primitive, comme ceux des sauvageonnes de notre village.
Son regard avait l'éclat des pierres précieuses
mais brutes, du métal non poli, et cet effet était
encore accentué par ses longs cils et les coins finement
retroussés de ses yeux. Il y avait dans ses traits une
beauté sensuelle, imposante, qui nous rendait incapables
de résister à l'envie de rester là, à
la regarder pédaler sur sa machine de Shanghai.
Les
mines de charbon, petites, artisanales, restaient le patrimoine
commun de tous les villages et étaient toujours exploitées,
fournissant du combustible aux montagnards. Ainsi, comme les
autres jeunes de la ville, Luo et moi ne pûmes échapper
à cette leçon de rééducation qui
allait durer deux mois.
Au
bout de la sixième semaine Luo tomba malade. Le paludisme.
La Petite Tailleuse le soigna avec des feuilles appelées
" les éclats de bol cassé ". A cette
occasion nous fîmes un repas chez le Binoclard pour fêter
sa guérison.
Le
Binoclard était notre ami. Sa famille habitait la ville
où travaillaient nos parents ; son père était
écrivain, et sa mère, poétesse. Récemment
disgraciés tous les deux par les autorités, ils
laissaient " trois chances sur mille " à leur
fils bien-aimé, ni plus ni moins que Luo et moi.
Chez
lui nous découvrîmes une valise élégante,
en peau usée mais délicate. Une valise de laquelle
émanait une lointaine odeur de civilisation. Nous supposions
qu'il cachait là dedans des livres.
A
l'âge où nous avions su lire couramment, il n'y
avait déjà plus rien à lire. Tous les livres
occidentaux étaient partis en fumée. Confisqués
par les Gardes rouges, ils avaient été brûlés
en public, sans aucune pitié. Un jour Luo et moi aidâmes
le Binoclard, qui avait égaré ses lunettes, à
transporter les soixante kilos de riz jusqu'à l'entreprise.
Nous étions morts de fatigue. A notre retour, le Binoclard
nous passa un livre, mince, usé, un livre de Balzac.
Un choix dont la raison nous resta obscure, et qui bouleversa
notre vie dans la montagne du Phénix du Ciel. Ce petit
livre s'appelait Ursule Mirouët.
Et
brusquement, comme un intrus ce livre me parla de l'éveil
du désir, des élans, des pulsions, de l'amour,
de toutes ces choses sur lesquelles le monde était, pour
moi, jusqu'alors demeuré muet. Malgré l'ignorance
totale de ce pays nommé la France, l'histoire d'Ursule
me parut aussi vraie que celle de mes voisins.
Luo
n'était pas encore rentré. Je me doutais qu'il
s'était précipité dès le matin sur
le sentier, pour se rendre chez la Petite Tailleuse et lui raconter
cette jolie histoire de Balzac. J'imaginai comment Luo lui racontait
l'histoire, et je me sentis soudain envahi par un sentiment
de jalousie, amer, dévorant, inconnu.
Je
décidai de copier mot à mot mes pages préférées
d'Ursule Mirouet. Comme je n'avais pas de papier, je les copiais
directement sur la peau de mouton de ma veste.
La
lecture de Balzac avait métamorphosé la Petite
Tailleuse. Un jour de repos, Luo emprunta ma veste de peau pour
aller la retrouver sur le lieu de leurs rendez-vous, le ginkgo
de la vallée de l'amour. " Après que je lui
ai lu le texte de Balzac mot à mot, me raconta-t-il,
elle a pris la veste, et l'a relu toute seule, en silence. On
n'entendait que les feuilles grelotter au-dessus de nous, et
un torrent lointain couler quelque part. A la fin de sa lecture,
elle est restée la bouche ouverte, immobile, ta veste
au creux des mains, à la manière de ces croyants
qui portent un objet sacré entre leurs paumes ".
Binoclard
refusait maintenant de nous prêter d'autres livres. Un
jour sa mère vint le chercher. Un de ses anciens amis
lui avait promis, malgré la précarité de
sa situation, de lui trouver une place dans sa revue. Pour le
départ imminent de Binoclard une fête devait être
célébrée dans le village de celui-ci. A
cette occasion un buffle avait été sacrifié.
Nous avions décidé de mettre en uvre notre
plan de cambriolage pour voler la valise secrète de notre
ami.
La
nuit tomba. Sur un terrain vide des colonnes de fumée
montaient d'un foyer sur lequel était installée
une immense marmite où la viande de buffle coupée
en morceaux bouillait tout doucement. Des villageois étaient
réunis autour du foyer. La scène, vue de loin,
avait un air pastoral et chaleureux.
Nous
nous glissâmes à l'intérieur de la maison
du Binoclard. Dans la cabane flottait un air de déménagement
qui nous rongea de jalousie. Nous nous approchâmes de
la valise et l'ouvrîmes silencieusement. Les grands écrivains
occidentaux nous accueillirent les bras ouverts : à leur
tête, se tenait notre vieil ami Balzac, avec cinq ou six
romans, suivi de Victor Hugo, Stendhal, Dumas, Flaubert, Baudelaire,
Romain Rolland, Rousseau, Tolstoï, Gogol, Dostoïevski,
et quelques Anglais : Dickens, Kipling, Emily Brontë
..
Quel
éblouissement ! J'avais l'impression de m'évanouir
dans les brumes de l'ivresse. Il me semblait que mes mains,
devenues pâles, étaient en contact avec des vies
humaines.
Luo
referma la valise et, posant une main dessus, comme un chrétien
prêtant serment, il me déclara :
-Avec
ces livres, je vais transformer la Petite Tailleuse. Elle ne
sera plus jamais une simple montagnarde.
Durant
tout le mois de septembre, après notre cambriolage réussi,
nous fûmes tentés, envahis, conquis par le mystère
du monde extérieur, surtout celui de la femme, de l'amour,
du sexe, que les écrivains occidentaux nous révélaient
jour après jour, page après page, livre après
livre.
Luo,
une hotte sur le dos, un livre de Balzac soigneusement caché,
avait rendez-vous avec la Petite Tailleuse, qui n'était
encore qu'une montagnarde belle, mais inculte, pour lui faire
la lecture.
Grâce
aux soins dentaires qu'il avait prodigués au chef du
village, Luo obtînt de passer un mois au chevet de sa
mère malade.
Avant
de partir, il me confia la tâche de veiller sur la Petite
Tailleuse. Selon lui elle était convoitée par
beaucoup de garçons de la montagne, y compris les jeunes
" rééduqués ". Ma tâche
consistait à assurer une présence quotidienne
à ses côtés, tel le gardien de la porte
de son cur, afin de ne laisser aucune chance aux concurrents
de s'introduire dans sa vie privée.
Ainsi
tous les matins, tel un flic en civil, j'empruntai le chemin
menant au village de la Petite Tailleuse. La hotte en bambou
sur le dos, jadis portée par Luo, était maintenant
sur mon dos, un roman de Balzac, traduit par Fu Lei, était
toujours caché au fond, sous des feuilles, des légumes,
des grains de riz ou de maïs.
Entre
deux chapitres du Cousin Pons, je participais volontiers aux
travaux ménagers. Un jour la Petite Tailleuse me confia
qu'elle avait des nausées et que depuis deux mois n'avait
plus de règles.
Aucun
hôpital, aucune accoucheuse de la montagne n'accepterait
de violer la loi, en mettant au monde l'enfant d'un couple non
marié. Et Luo ne pourrait épouser la Petite Tailleuse
que dans sept ans, car la loi interdisait de se marier avant
l'âge de 25 ans. Chaque mètre carré de ce
pays était sous le contrôle vigilant de "
la dictature du prolétariat ", qui recouvrait toute
la Chine comme un immense filet, sans le moindre maillon manquant.
Luo
m'avait confié une mission de protection et, fort de
mon rôle, je réussis à trouver à
l'hôpital de Yong Jing un médecin polyvalent, amateur
de littérature.
Je
lui proposai un marché : s'il aidait mon amie je lui
donnerai un livre de Balzac. Quel choc pour lui d'entendre ce
nom !
L'intervention
se passa bien. En plus de ce qui avait été convenu,
j'offris aussi au médecin Jean Christophe de Romain Rolland,
mon livre préféré à cette époque.
Voilà.
Le moment est venu de vous décrire l'image finale de
cette histoire. Le temps de vous faire entendre le craquement
de six allumettes par une nuit d'hiver. C'était trois
mois après l'avortement de la Petite Tailleuse.
Luo,
l'incendiaire, cet amant romantique, ce grand admirateur de
Balzac, était à présent ivre, accroupi,
les yeux fixés sur le feu, fasciné, voir hypnotisé
par les flammes dans lesquelles des mots dansaient avant d'être
réduits en cendres. Tantôt il pleurait, tantôt
il éclatait de rire.
La
Petite Tailleuse était partie, et ne reviendrait jamais
plus nous voir. La veille elle lui avait annoncé son
intention de changer de vie, pour aller tenter sa chance dans
une grande ville.
Avant
de partir elle lui avait parlé de Balzac. Balzac lui
avait fait comprendre une chose : la beauté d'une femme
est un trésor qui n'a pas de prix.
Commentaires
Quelques
repères historiques pour situer l'action :
Le
1er octobre 1949, Mao Tsé Toung proclame la république
populaire de Chine et devient son premier président.
En 1960, l'échec de sa politique économique (le
fameux Grand Bond en Avant) conduit à la rupture sino-soviétique.
La
présence au sein du parti de cadres plus soucieux de
régler les problèmes techniques et financiers
que d'exalter l'idéal révolutionnaire demeure
un obstacle à la politique maoïste. Afin d'empêcher
le développement d'un "style de communisme bureaucratisé
à la Soviétique" et de prévenir le
"révisionnisme contre-révolutionnaire",
Mao mobilise les masses et crée les "gardes rouges",
armés et conditionnés idéologiquement.
C'est le début de la "grande révolution culturelle
prolétarienne". Nous sommes en 1966.
Mao
prétend réaliser la révolution en mettant
en avant l'idéologie. Cette lutte idéologique
est fondée sur une critique radicale du système
de production capitaliste, mais aussi de l'Etat, des hiérarchies
et de la conscience "de classe". Il s'agit de refondre
complètement l'esprit humain en liquidant l'arrivisme
et l'individualisme. Mao expose ces thèses dans son fameux
"Petit livre rouge".
Le
combat est d'abord mené sur le terrain de l'enseignement.
Les étudiants révolutionnaires refusent le principe
de la sélection des cadres par le savoir et entendent
abolir les "trois différences" : entre la ville
et la campagne, entre le travail manuel et intellectuel, entre
gouvernants et gouvernés. Le mouvement passe des universités
aux usines et aux communes agricoles. Les travailleurs sont
invités à instaurer le "pouvoir prolétaire"
sous forme d'organismes de masse qui participent plus qu'auparavant
à l'élaboration de leur destin. C'est la lutte
ouverte entre les factions. Les actes de violence se succèdent
: les gestionnaires du Parti et les intellectuels sont forcés
à l'autocritique publique, aux travaux manuels et au
suicide.
En1967,
l'Armée Populaire de Libération (ALP) reprend
la situation en main : les équipes d'ouvriers occupent
les universités et les étudiants révolutionnaires
sont envoyés aux champs pour "travailler à
la base". Des comités révolutionnaires sont
créés dans chaque province pour encadrer la population.
Commence alors l'exode massif des cadres du parti et des ex-gardes
rouges, envoyés dans les communes agricoles pour y être
"rééduqués".
Mao
Tsé Toung a atteint son but : éliminer l'aile
droite du parti, regagner son prestige ébréché
par l'échec du Grand Bond en Avant et briser les élites
traditionnelles.
Mais
revenons au livre. Dans la Chine des années 1970, la
Révolution Culturelle bat son plein. Luo et le narrateur,
"deux jeunes intellectuels ennemis du peuple", sont
envoyés en camp de rééducation dans un
village de montagne, avec "trois chances sur mille"
d'en réchapper un jour.
Non
loin de là vivent un tailleur et sa fille. Luo s'illustre
bientôt par ses talents de conteur.
Ce
livre, largement autobiographique, laisse un sentiment de joie,
de sérénité, de bonheur qui semble incompatible
avec la dureté de l'époque et les souffrances
physiques et morales endurées par les personnages..
Dans
la Chine révolutionnaire, le livre est banni. Raconter
une histoire peut coûter la vie. Laisser les gens dans
l'ignorance est une façon de les garder sous contrôle.
Et voilà que ces jeunes gens "tombent" par
hasard sur les classiques de la littérature occidentale.
Ils ignorent tout de ces auteurs impérialistes, donc
interdits. La véritable révélation de nos
amis, viendra donc de cette valise au contenu éminemment
subversif: une valise remplie d'oeuvres interdites, des classiques
de la littérature occidentale signés Honoré
de Balzac, Alexandre Dumas, Romain Rolland... une littérature
méprisable aux yeux des diktats de Pékin.... mais
des oeuvres qui vont rapidement devenir pour Luo et notre narrateur
une source de rêve et de liberté d'esprit, une
source de liberté à l'état pur.
Grâce
à ces livres, Luo entreprend l'éducation littéraire
de "la petite tailleuse chinoise" dont il est épris.
Sa vie sera bouleversée par la lecture initiatique de
ces livres interdits.
À
une époque où en dehors de la prose du Grand Timonier,
aucun autre ouvrage n'a plus droit de cité, cet inestimable
trésor caché leur permet de s'évader par
la pensée grâce à la magie et à la
puissance des mots, et la faire découvrir à leur
nouvelle amie, l'innocente montagnarde inculte, la petite tailleuse.
Ils
découvrent que l'homme existe en tant qu'individu qui
éprouve des sentiments personnels et que ceux-ci participent
de comportements humains universels.
Le
narrateur et son ami appréhendent ainsi la complexité
humaine que nie l'idéologie maoïste et s'ouvrent
au monde extérieur. Balzac et la petite tailleuse chinoise
est un précieux plaidoyer pour la lecture et la liberté
de pensée. C'est aussi un roman d'amour. C'est par amour
que Luo transmet sa découverte à la fille du tailleur.
Cette
éducation littéraire lui donne la liberté
de choisir sa destinée. Balzac et la petite tailleuse
chinoise ou l'apprentissage de la liberté de la femme
La petite tailleuse a d'ailleurs parfaitement assimilé
le message : "Balzac [m'a] fait comprendre une chose :
la beauté de la femme est un trésor qui n'a pas
de prix."
Enfin
et surtout, Balzac et la petite tailleuse chinoise est un roman
exceptionnellement savoureux, lucide et plein d'humour, écrit
dans un français simple et fluide.
L'initiation
de ces trois personnages par la lecture et l'ouverture à
des mondes dont ils ne soupçonnaient pas l'existence
sont d'autant plus exaltantes, qu'ils s'y découvrent
comme s'ils étaient les premiers hommes à faire
cette double expérience. Ce qui fascine dans ce roman
simple et limpide, dont le sujet est là, c'est qu'il
nous fait sentir à nouveau, à nous lecteurs occidentaux,
l'émoi du premier livre, et nous fait redécouvrir
la puissance des mots qui défilent sous nos yeux, le
pouvoir d'un livre enfin quand on le lit comme si on était
le premier et l'unique lecteur.
Dès
leur première apparition, les personnages sont attachants
par leur insouciance et leur soif de vivre. Une extraordinaire
ambiance se dégage au fil des pages, avec toujours en
filigrane la rude beauté des montagnes chinoises.
Le
style de Dai Sijie est élégant, concis et d'une
grande fluidité. Le ton est souvent malicieux, parfois
railleur, mais - même dans les situations les plus difficiles
- jamais désespéré. Sa prose est d'une
étonnante puissance d'évocation, faisant de ce
roman au départ sans prétention, un ouvrage remarquable
où la force des mots devient une arme invincible contre
les interdits absurdes des régimes totalitaires et leurs
diktats écrasants.
Au-delà
de la poésie qui se dégage de son récit,
Dai Sijie donne ici une admirable leçon d'espoir dans
la vie et une claque non moins remarquable à toute forme
de totalitarisme.
Ce
premier roman de Dai Sijie mérite toute notre attention,
car le charme et la fraîcheur qui s'en dégagent,
empliront encore votre esprit bien après la fin de sa
lecture.
Balzac
et la Petite Tailleuse chinoise est un livre d'amour et d'amitié,
un roman remarquable, mais aussi et surtout, un formidable hommage
à la littérature et à la puissance magique
et évocatrice des mots.
Biographie
Dai
Sijie est né en Chine, dans la province de Fujian, en
1954. De 1971 à 1974, victime comme des centaines de
milliers d'autres jeunes citadins de la Révolution culturelle,
il est envoyé en camp de rééducation dans
la province de Sichuan en tant qu' "intellectuel bourgeois".
A la mort de Mao Tsé Toung en 1976, il entre à
l'université, suit des cours d'histoire de l'art, puis
fait une école de cinéma avant de réussir
un concours qui lui permet de partir pour la France en 1984.
il a réalisé trois longs métrages : Chine,
ma douleur (1989), Le mangeur de lune (1994), Tang, le onzième
(1998), diffusés sur Canal + et Arte. Il prépare
actuellement un nouveau film, Les filles du botaniste chinois.
Balzac et la petite tailleuse chinoise est son premier roman.
Chine,
ma douleur remporte le pris Jean Vigo en 1989 et a été
présenté à la Quinzaine des réalisateurs
de Cannes et aux festivals de Locarno -où il reçoit
une mention spéciale du jury-, de Telluride, de Montréal
et du Musée d'Art Moderne de New York.
C'est
dans le cadre somptueux des montagnes de Zhangjiajie, dans le
nord-ouest de la province chinoise du Hunan, que Dai Sijie a
choisi de tourner l'adaptation de son roman à succès,
Balzac et la petite tailleuse chinoise.
Le
cinéaste-romancier chinois installé en France
depuis bientôt deux décennies a passé six
semaines, en compagnie de Li Guang Yu, à sillonner ces
pistes à la recherche des sites les plus spectaculaires
pour y réaliser son film. Depuis six semaines et jusqu'à
la fin juillet, il tourne, avec une équipe franco-chinoise
et des comédiens cent pour cent chinois, les aventures
de ses héros pendant la révolution culturelle.
On y retrouvera les personnages qui ont fait le succès
phénoménal du livre plus de 200 000 exemplaires
vendus en France, 24 traductions à l'étranger
Une
universalité qui a convaincu TF1 International, après
des sondages à l'étranger, de participer au montage
financier du film, au côté de Canal + et de la
productrice Lise Fayolle qui avait acheté les droits
du livre quarante-huit heures après le passage de Dai
Sijie chez Bernard Pivot.
Il
a fallu plusieurs mois de patientes négociations avec
la censure chinoise et les autorités pékinoises
pour que Dai Sijie obtienne l'autorisation de réaliser
son film en Chine.