Résumé
(Afin
de mieux préserver le style de l'auteur et de restituer
l'originalité et la vivacité de son ton, la précision
de son vocabulaire, ce texte a été conçu
à partir d'extraits du roman. Ce résumé n'est
qu'un fugitif aperçu du talent de Michèle Desbordes
et ne prétend en aucun cas se substituer à la lecture
du texte intégral qui seul rend hommage à l'écrivain
).
" La journée est une bouchée, elle est courte,
il faut se dépêcher ". C'est la voix de mast'Errico
devant sa boutique de menuisier. A vos ordres, lui dis-je et ça
s'est passé comme ça.
Je
ne vais plus à l'école. Je viens d'avoir treize
ans et mon père m'a mis à travailler. Par ici, les
enfants vont au boulot même sans être allés
à l'école, mon père n'a pas voulu. Il m'a
fait étudier jusqu'à la septième parce que
j'étais fragile, comme ça j'avais un meilleur niveau
d'étude.
Mon
père est docker, il n'a pas fait d'études, aujourd'hui
seulement il apprend à lire et à écrire aux
cours du soir de la coopérative des dockers. Il parle le
dialecte, il est intimidé par l'italien et par la science
de ceux qui ont fait des études.
Moi,
je le connais parce que je lis les livres de la bibliothèque,
mais je ne le parle pas. J'écris en italien parce qu'il
est muet et que je peux y mettre les choses de la journée,
reposées du vacarme du napolitain. L'italien est une langue
paisible qui reste sagement dans les livres.
Pour
mon anniversaire, papa m'a offert un morceau de bois recourbé,
ça s'appelle " boumeran " Mais où vais-je
m'en servir ? Dans ce quartier de ruelles qui s'appelle Montedidio,
si tu veux cracher par terre, tu ne trouves pas de place entre
tes pieds. Je peux juste m'exercer à faire le mouvement.
J'ai appris qu'il ne vient pas d'Amérique, mais d'Australie.
Les Américains ont plein de choses nouvelles, les Napolitains
sont toujours là quand ils débarquent pour voir
les nouveautés.
A
l'heure du repas je monte aux lavoirs pour étendre le linge,
personne ne me voit et je m'entraîne là, le boumeran
frémit à l'air libre, le manche se tord quand je
le serre pour ne pas le laisser échapper.
Mast'Errico
héberge dans sa boutique un cordonnier qui s'appelle don
Rafaniello, moi je nettoie aussi sa place, autour de sa caisse
et du tas de souliers qu'il répare. Il est venu à
Naples de quelque sommet d'Europe après la guerre et s'est
mis à arranger les chaussures des pauvres et ne se fait
pas payer. On l'appelle Rafaniello parce qu'il a les cheveux roux,
les yeux verts, qu'il est petit avec une bosse qui pointe dans
son dos. Il m'a raconté son histoire. Il est venu à
Naples par erreur, il voulait aller à Jérusalem
après la guerre. Il est descendu du train et il a vu la
mer pour la première fois. Il a regardé les pieds,
combien sans souliers, beaucoup d'enfants comme dans son pays,
secs, vifs, il les voit comme les siens. Il se dit : je reste
un peu.
Je
passe mes journées à nettoyer les outils, les machines,
j'enlève les copeaux, la sciure. Je deviens assez robuste
avec l'exercice du boumeran. Personne ne me voit, seuls les esprits
me soufflent au visage de sèches caresses. La rue fait
aussi du vacarme le soir, mais moi je suis plus haut que tout
le monde, sur la terrasse du linge et le bruit le plus fort est
le coude du boumeran qui fend l'air au passage derrière
mes oreilles.
Chacun
de nous vit avec un ange, c'est ce que dit Rafaniello et les anges
ne voyagent pas. Celui qu'il a trouvé à Naples est
un ange lent, il ne vole pas, il va à pied. L'ange lui
a dit : tu iras à Jérusalem avec tes ailes, celles
qui sont dans l'étui de ta bosse.
Ce
sont des ailes, ce sont des ailes, me raconte-t-il en baissant
de plus en plus la voix et les tâches de rousseur remuent
autour de ses yeux verts fixés en haut sur la grande fenêtre.
Dans la boutique je suis sous le charme de ses histoires.
Maria
surgit de l'obscurité des lavoirs. Ses treize ans ont plus
vite poussé que les miens, elle est déjà
dans un corps formé. Maria connaît les gestes des
femmes. Ce que je t'ai fait, je le fais au propriétaire
de la maison. Tu es mon fiancé maintenant et je ne lui
ferai plus rien même s'il nous chasse de la maison.
Maman
dort beaucoup, du jour au lendemain elle est tombée malade
de la jaunisse, elle est jaune comme de l'ail vieux.
Le
soir je monte aux lavoirs faire mon entraînement et ramasser
le linge. Maria monte aussi, nous nous asseyons sous les cordes
vides, je transpire et le boumeran est chaud de tout l'air qu'il
a traversé.
On
a emmené maman à l'hôpital. La maison est
silencieuse, immobile, j'ai du mal à y rester. Maria monte
aux lavoirs avec l'obscurité. Ce soir elle a dit : "
Tu comptes pour moi ". Moi aussi je tiens à elle,
mais je ne sais le dire de façon aussi juste alors je me
tais.
A
l'heure du déjeuner, je ferme la boutique, Rafaniello retire
sa veste, me demande ce que je vois sur sa bosse. Je vois une
blessure, un point violet au sommet. Elle commence à se
fendre, dit-il, comme une coquille d'uf. Rafaniello sait
parler de façon si précise en italien que je suis
ému pour mon père qui s'efforce d'apprendre et ne
sait pas la moitié des mots de Rafaniello. Il dit qu'il
l'a appris dans les livres, en lisant plusieurs fois Pinocchio.
Je
remonte à la maison. Dans l'escalier, je croise le propriétaire
de la maison, il va chez Maria, je vois qu'il porte un petit paquet
de gâteaux. Pour la première fois je pense au boumeran
que j'ai sur moi comme à une arme, je le lui lancerai bien.
Jusqu'à l'année dernière j'étais encore
un enfant.
La
maison est vide, silencieuse, maman ne revient pas et papa tourne
en rond dans la maison sans dire un mot, il n'entre pas pour voir
si je suis dans ma chambre, si je dors, nous nous sommes détachés.
Je dis encore mes prières. Dans le débarras où
je dors il n'y a pas de fenêtre et pendant que je prie mon
Ange Gardien, il me semble être aux lavoirs, là-haut,
avec tout un ciel bien dégagé pour plafond.
Rafaniello
aime l'ail, l'huile, pas la tomate. L'heure du repas se passe
entre son pain avec des légumes et le mien avec des anchois.
Je lui raconte l'histoire de sainte Patrizia. Elle est morte jeune
à Naples et a laissé du sang miraculeux, il se liquéfie
et se coagule continuellement, bien plus que celui de san Gennaro.
Ici il arrive des choses qui font passer celui qui les raconte
pour un idiot, et pourtant elles arrivent vraiment. Cette ville
est tout un secret. " C'est une ville de sangs, dit-il, comme
Jérusalem. " Rafaniello s'amuse de ce que je raconte
d'une voix mystérieuse, parce qu'elle est rauque.
Aux
lavoirs Maria raconte que le vieux est monté avec des gâteaux,
sa mère est descendue acheter du café et il a remis
ça avec des prières, que si elle ne va pas chez
lui il meurt. Maria lui a dit : meurs. Maria dit qu'il a vu la
mort en face quand elle lui a dit : meurs. Il suffit d'un mot
et tu peux casser un homme. Maria sait beaucoup de choses, elle
sait par exemple qu'elle est plus forte qu'un adulte.
Noël
arrive. A la maison, je vois papa à six heures quand je
réchauffe son café, j'en bois moi aussi, il ne dit
rien. Tant que maman était là je prenais de l'ersatz,
maintenant si je me mets à fumer, il ne s'en aperçoit
même pas. Les grands sont pris dans leurs soucis et nous,
nous restons dans les maisons sourdes, les esprits frôlent
mon visage dans la cuisine vide et ils me calment.
Noël
arrive, dit Maria, on achète un poulet et on le fait cuire,
on se passe d'eux. Ce sera le plus beau des Noëls et elle
met un baiser sur mes cheveux froids. Des baisers pleuvent de
la tramontane.
J'ai
parlé à Rafaniello de Maria et du propriétaire
de la maison. Il est resté un moment sans rien dire, puis
il a fermé les yeux très forts et il a dit : "
Qu'il ait le sort du chien qui lèche la lime " ! Il
lui est venu une voix froide comme un vent de tramontane, un frisson
m'est passé dans le dos. Don Rafanié, elle est mauvaise
la malédiction du chien ? " Mauvaise, le chien qui
lèche la lime est en train de lécher son sang, mais
ça lui plaît plus que la douleur et il continue jusqu'à
se vider de tout son sang ". Sa bosse fait un bruit d'os,
lui, il regarde en haut rejetant son sac d'ailes en arrière.
Il dit que c'est beau d'avoir des ailes, mais plus beau encore
d'avoir eu de mains bonnes pour travailler.
Aux
lavoirs en décembre, le vent joue au dur, il balaie la
poussière par terre, astique la nuit dans le ciel, retire
la chaleur des maisons. Il n'y a pas de lune, Maria regarde émerveillée
le couvercle de la nuit au-dessus de Montedidio. Tous les deux,
sur le toit le plus haut du quartier, nous sommes les sentinelles
de la ville.
Dans
l'obscurité, nous devinons sur la terrasse la silhouette
d'une personne qui avance, battue par le vent, qui appelle Maria,
Maria. C'est le propriétaire de la maison, je vois un vieux
battu, foutu dehors et dedans et malgré tout je ne trouve
aucune pitié. Le vieux est salement malade, il lui est
arrivé la malédiction du chien qui lèche
la lime.
C'est
Noël, des pièces éclairées, les familles
se mettent à table. Sur la mienne est préparée
la place du boumeran, celle du chapon, celle de Maria avec les
biscuits. L'an passé, je ne rêvais pas de demander
tout ça, c'est arrivé tout seul, sans un désir.
Mon corps a grandi, la bouche de Maria, les ailes de Rafaniello,
quelle abondance est arrivée sans demander, en dehors de
Noël.
Papa
est venu changer de chemise et il a trouvé Maria. Elle
lui a dit qu'elle vient ranger la maison pour me donner un coup
de main, lui l'a remerciée, il a pris le linge de rechange
de maman et il est parti. Je ne demande pas, lui ne parle pas,
son alliance avec maman s'est durcie et moi je suis dehors. Mon
alliance avec Maria aussi est une clôture. Des choses changent,
mais nous plus encore. Aucun autre visage n'est fané comme
celui de mon père. D'aucune autre bosse ne pointent des
ailes, aucun autre corps n'est aussi prêt à lancer
le boumeran et c'est maintenant que Maria devait se débarrasser
de la crasse de mains vieilles et se laisser prendre par les miennes
lissées par la sciure sur la plus haute terrasse de Montedidio.
Au
printemps, j'étais encore un enfant et maintenant je suis
en plein dans les choses sérieuses que je ne comprends
même pas. Chez nous on doit grandir au pas de course et
moi j'obéis, je cours. Rafaniello de sa petite voix tranquille
me raconte une histoire drôle d'un cheval qui passe au galop
à travers champs.
Un
paysan lui demande où il va et l'autre lui crie dans sa
course : " demandez au cheval ". J'éclate de
rire, je n'ai pas compris, je ris.
Je
me réveille, Maria est déjà dans la cuisine,
elle a fait bouillir l'eau et la verse sur le filtre à
café. J'enfile ma veste de travail avec le boumeran et
je vais relever le rideau métallique, je laisse de l'argent
sur la table pour acheter ce qui manque à la cuisine. Maman,
me dis-je en descendant l'escalier, dépêche-toi de
rentrer, j'ai des questions à te poser sur les femmes.
Il fait froid, un frisson de tramontane dans l'escalier me fait
fermer les yeux et je comprends que la réponse est non.
Mon père arrive à la boutique, papa pleure, moi
je suis immobile le balai à la main, je le serre fort,
je garde un il fermé comme ça je vois flou
et je ne distingue pas le visage de mon père qui a honte
de ses larmes devant moi.
C'est
le dernier jour de l'année, demain c'est fête, alors
aujourd'hui on travaille dur. Mast'Errico me dit que Rafaniello
s'en va, il a trouvé un billet de bateau pour la Terre
sainte, parce qu'il a une dévotion pou Jérusalem.
Dans
la rue, on tire déjà des coups, les gens rentrent
en vitesse chez eux pour s'enfermer dans la fête. "
Maria, à minuit je monte aux lavoirs, je lance le boumeran
". Rafaniello volera et tous les esprits viendront le saluer,
nos esprits sont curieux, un cordonnier avec des ailes, ils veulent
l'effleurer. Les esprits ne savent pas voler, ils peuvent faire
seulement un peu de vent.
Voilà
que minuit s'est dépêché d'arriver, Naples
s'embrase, tire, casse, jette des objets dans la rue, on ne peut
entendre aucune voix, c'est tout un déchaînement
de force qui veut lancer en l'air, à terre, contre les
murs.
Au-dessus
de la terrasse, une grande place de lumières colorées
s'est ouverte dans le ciel. Le boumeran est brûlant dans
ma main, il le fait exprès sinon au dernier moment je ne
le lance pas. Un souffle m'échappe sous le coup de la douleur
du feu dans mes doigts, la queue en flammes le boumeran s'enfuit
avec un coup sec d'os, une poussée que je n'ai jamais eue,
le bois brûle, flotte, vole, fouette l'air, je n'ai rien
dans la main.
Derrière
moi, les draps claquent, mais il n'y en a pas, je me retourne,
c'est Rafaniello, les ailes ouvertes de toute leur envergure,
ses pieds nus se soulèvent, retombent, une fois, deux,
le vent battu par ses ailes se renforce, les esprits se mettent
eux aussi à pousser par en dessous et, au troisième
saut, Rafaniello s'élève et va vers la trace enflammée
du boumeran, et c'est tout un vacarme de tirs, de sifflements,
de valses de courants d'air en face qui s'efforcent de me faire
fête et moi je lève les bras dans une dernière
poussée d'adieu.
Maria
crie à cause d'une ombre qui est sur elle, moi je cours
vers le parapet, je saisis l'ombre aux épaules, je la détache
de Maria et de terre, je la jette, je la jette loin si durement
qu'elle vole, elle vole en bas, elle vole de la terrasse de Montedidio
sous le déluge de vases et de vieilles assiettes jetées
des balcons, tout vole du haut de Montedidio, nous deux non, nous
deux enlacés sous la couverture de Rafaniello, Maria tremble,
moi je crache un caillot tout chaud d'air, c'est une voix, c'est
ma voix, un braiment d'âne qui me déchire les poumons,
moi je crie et pour ce cri il n'y a pas de place sur le rouleau
ni sur Montedidio.
Commentaires
Quelques
brèves indications et nous savons que l'action se déroule
autour des années 50. Les Américains, les premiers
" oulaop ", en Amérique un jeune homme a été
fait président, les Russes ont envoyé un chien dans
une fusée, les Américains un singe.
Dans
un quartier de Naples, Montedidio (montagne de Dieu), un enfant
de 13 ans écrit les faits de sa nouvelle vie, sur un rouleau
de papier que lui a donné l'imprimeur. Sa voix s'en est
allée, il parle rauque.
Ce
bref écrit contient la courte saison qui l'amène
à l'âge adulte. Il se passe beaucoup de choses au
cours de ces six mois riches en évènements : les
premiers pantalons longs, un premier travail dans la boutique
d'un menuisier, la rencontre de Rafaniello, un cordonnier provenant
du Nord de l'Europe, la maladie et la mort de sa mère,
la découverte de l'amour avec Maria et tout autour le bruissement
des rues de Naples, " l'unique ville au monde où
la mort n'a pas honte d'exister ". Toute une période
de changements, et nous apercevons la stupeur d'un enfant qui
se rend compte qu'il n'est plus tel. Roman d'une adolescence qui
n'a pas le temps de se prolonger car la vie la presse de grandir.
Sans s'en rendre compte le protagoniste se trouve projeté
dans le monde des adultes.
L'enfant
écrit en italien mais le plaisir d'un dialecte musical
est toujours présent et apparaît à l'improviste
tout au long de ces pages passionnées, riches en spiritualité
et édifiantes. Tout le récit est imprégné
de la force âpre et quotidienne des sentiments, la force
symbolique des images.
Une
image récurrente dans le roman est celle du boomerang.
Pour son anniversaire, le père lui a offert un boomerang,
chaque soir l'enfant s'entraîne tout en haut de la ville
mais sans jamais pouvoir le lancer. En effet ce boomerang ne peut
voler, ils sont trop à l'étroit au sommet de Montedidio.
" dans ce quartier de ruelles qui s'appelle Montedidio, si
tu veux cracher par terre, tu ne trouves pas de place entre tes
pieds ". Cependant l'exercice quotidien du boomerang lui
permet de saisir la lente métamorphose qui se produit dans
son corps qui se muscle.
Ce
lancer retenu du boomerang est beaucoup plus qu'un jeu, c'est
la tension morale vers le haut, l'envie d'apprendre et de grandir,
de devenir un homme en se faisant les muscles, en apprenant l'art
non facile du lancer. Métaphore du désir d'évasion,
mais aussi d'élévation vers le divin.
Sur
les toits il découvre également le mystère
de l'autre sexe et la fascination de l'amour, celui avec deux
m " ammor " avec Maria. Le regard et l'amour
de Maria le conduisent au cur d'une réalité
inconnue de lui et lui causent les frissons et les émotions
réservées aux adultes.
Mais
il n'y a pas que du bonheur dans la croissance du corps. Le mauvais
grandit aussi en même temps. Une force amère, capable
d'attaquer. Il ressent cela vis à vis du vieux propriétaire
de la maison qui abuse de Maria et de la pauvreté matérielle
et morale de sa famille.
La
relation avec le monde des adultes est au centre des pages de
son journal quotidien où il essaie de décrire les
hommes avec qui il vit.
Le
père, docker du port, asséché par le travail
et par la souffrance qui lui cause la lente agonie de sa femme.
Mast'Errico, le menuisier qui lui apprend le goût du travail
bien fait et la tranquillité de la sagesse populaire, Rafaniello
un juif rescapé à la persécution nazi qui
veut rejoindre le Mont de Dieu de Jérusalem mais qui, ironie
du sort, doit se contenter de rester dans un autre Mont de Dieu,
celui de Naples. Rafaniello, le cordonnier doux et généreux
qui lui raconte les horreurs de la Shoah et le mystère
de sa bosse. Rafaniello, figure angélique qui cache dans
sa bosse deux ailes qui lui serviront à rejoindre Jérusalem
lorsqu'il réussira enfin à les déployer à
l'air libre.
Une
Naples colorée, chaotique, qui est sans cesse confrontée
à Jérusalem où existe le vrai " mont
de Dieu ". L'auteur nous apprend que dans les Saintes
Ecritures, Jérusalem est appelée " ville
des sangs ". Naples est également une ville "
des sangs ", non pas tellement pour sa facilité
à le verser, mais plutôt pour son penchant à
le vénérer. Entre les deux villes il existe cette
curieuse relation, même si Naples n'est qu'une caricature
de Jérusalem.
Une
idée de salut effleure comme un vol d'ange la misère
des pauvres (grandes misères matérielles et humaines)et
des ruelles misérables qui sont prédisposés
à l'accueillir. Un univers fait de fatigue, de transpiration,
de misère et d'ignorance, de courage et de solidarité.
Un livre comme une fable, comme une prière. Erri de Luca
a écrit là une chronique dramatique, forte et poétique
servie par un langage personnel concret, ingénu et romantique
à la fois.
Du
haut du toit de Montedidio, à la fin du roman, à
minuit, le soir de la Saint Silvestre tout explose, tout vole
en éclat dans le vacarme de la nuit des feux d'artifice,
comme des feux de salut. Comme un cratère en éruption
qui libère vols et ouvre des précipices. Ce soir
là dans le déchaînement des forces, le boomerang
est également lancé, lancement symbolique qui emporte
le passé, et il ne reste de Rafaniello que " deux
plumes et une paire de chaussures ". Et soudain la voix
du protagoniste, une voix qui a changé, qui s'est libérée
de l'enrouement propre à l'adolescence, une voix d'homme
pour laquelle il n'y a plus de place sur le rouleau de papier
qui accueille ses confidences, ni dans Montedidio.
Biographie
Erri
De Luca est né à Naples en 1950, dans une famille
de la moyenne bourgeoisie. Jeune homme il refuse la carrière
de diplomate à laquelle une éducation bourgeoise
le prédestinait pour lui préférer le combat
politique et l'engagement social. Ouvrier itinérant depuis
1978, il poursuit cette activité "par nécessité"
tout en élaborant une uvre atypique, considérée
comme l'une des plus importantes de la littérature italienne
contemporaine.
En
1968 il a dix-huit ans. Etudiant au Lycée français
de Rome, il s'engage dans l'action politique. Pour lui, Lotta
continua n'est pas seulement un mouvement, c'est une façon
d'être. Mais, alors que ses camarades persistent dans le
mot d'ordre et la réunionnite, De Luca le spartiate devient
OS. Les usines, les chantiers, il en emmagasine les images de
froid et de précarité ; il participe à la
construction du périphérique parisien. Epuisé,
il ressemble alors à l'homme courbé de Giacometti.
Sa prose, plus tard, refusera le gras de l'inutile et de la complaisance
: elle sera d'une sécheresse d'épure, d'une densité
minérale.
Tu,
mio (Rivages poche) et Trois
Chevaux (Gallimard), récits minces et vibrants
qui l'ont révélé au public français.
Erri de Luca écrit "Penser longtemps le texte au
lieu de pouvoir l'écrire est le meilleur des tamis",
confie-t-il, songeant aux années où sa main pesait
des parpaings, pas encore des mots.
A
propos de cette période d'engagement politique il raconte
: " J'ai fait partie d'une génération qui
s'est révélée tout à fait inapplicable.
Une génération qui a vécu si longtemps dans
l'hostilité et l'éloignement à l'égard
de la contingence des choses, et qui ensuite n'a pas réussi
à se réinsérer dans la réalité
".
Ses
brefs récits - notamment Acide,
Arc-en-ciel (Aceto, Arcobaleno) -, où se mêle
l'exigence morale et une grande sincérité de la
voix, rencontrent un vaste écho en Italie mais aussi en
France, tant auprès de la critique que du public.
Dans
ce roman, les trois personnages principaux lui ressemblent. Il
y a le terroriste, pour lequel la politique n'avait été
"que l'organisation d'une colère, " l'épaississement
d'un cal ", et qui s'est aperçu très vite
que sa colère était une valeur inapplicable, une
fausse monnaie. L'ouvrier qui "a loué son corps à
l'heure", parle de sa condition de travailleur, de cette
âpreté, de cette violence à jamais viscérale.
A demi-mot, il évoque son engagement auprès des
groupes terroristes, ressasse les conditions d'exécution,
pour finir sur un constat désabusé : "Nous
avons perdu parce que nous fûmes incapables d'écarter
de notre droit le penchant à l'arbitraire."
Il
y a le missionnaire que l'Afrique a rongé, corps et âme,
et qui rentre mourir chez lui. Il revient après vingt années
passées en Afrique de l'Est. L'homme est un serviteur de
Dieu bon et lucide : "J'en suis arrivé à
la conclusion qu'ils doivent se débrouiller seuls, sans
nous. Nous ne sommes qu'une agence d'aide à fonds perdu.
"Des hommes comme moi sont des impasses de l'espèce
". Enfin il y a le troisième personnage, qui avait
cru à la possibilité de mener une vie détachée
de toutes contraintes et de toutes règles, une vie libre,
et qui s'est bien vite aperçu de son erreur. Cimetière
des idéalismes en sorte. Ils se sont brûlé
les ailes à trop s'approcher d'une cause qui leur semblait
juste.
Acide,
arc-en-ciel s'articule comme un triptyque, récit
de trois témoignages d'amis d'enfance qui se confient sur
les pertes et crédits au moment de clore le bilan de leur
vie. Dépositaire de leurs engagements et de leurs renoncements,
le narrateur fait office de témoin. Ses visiteurs ont tous
un point commun : un profond sentiment d'inanité dans ce
qu'ils ont entrepris.
Né
à Naples, la première expérience d'appartenance
manquée de l'écrivain fut avec cette ville tout
à fait singulière, une ville marquée par
"un mélange de dévotion et de dégoût,
ce mélange spécial qui se crée parmi l'odeur
du poisson éventré et les vapeurs d'encens des autels."
Naples est pour lui une origine à laquelle il n'a jamais
pu adhérer : "Très tôt, à l'âge
de dix-huit ans, je me suis senti expulsé de Naples. Et
pourtant, lorsque je me souviens de cela, j'éprouve comme
une gratitude envers cette ville, car je ne voudrais pas avoir
été expulsé d'une autre ville. Cette ville
a été pour moi une "cause" : cause d'un
très grand nombre de mes réactions fébriles,
de mes sentiments d'hostilité, et aussi du sentiment "d'inapplicabilité"
de moi-même."
La
passion pour les livres et l'écriture lui vient de son
enfance. Enfant difficile et introverti il lisait les livres de
la bibliothèque de son père Aldo, grossiste en tomates
passionné de l'histoire des Papes, de la Seconde Guerre
Mondiale et des champs d'extermination.
Mince,
pâle comme un convalescent, cet alpiniste amoureux du silence
des Dolomites traduit de l'hébreu ancien. De manière
totalement autodidacte, il apprend l'hébreu pour lire les
textes sacrés, qu'il entreprendra ensuite de traduire,
d'abord pour son propre usage puis dans la perspective d'une publication.
Erri de Luca n'adhère pas au judaïsme et se tient
à l'écart des implications historiques et même
idéologiques liées à l'Etat d'Israël.
Si on le questionne à ce propos, il répond tout
simplement : "L'Écriture biblique est pour moi
l'au-delà du temps". Il considère la Bible
comme un inépuisable trésor littéraire ou
spirituel, au-delà de tout usage guerrier que l'on peut
faire d'elle.
De
Luca est un auteur pour qui l'écriture, révélateur
d'une mémoire enfouie et douloureuse, est une sonde qui
permet de mesurer l'intensité du réel.
"Parler
c'est parcourir un fil. Ecrire c'est au contraire le posséder,
le démêler", faisait-il dire au narrateur
de son premier livre Une fois, un jour. Dans ce sens, Acide, arc-en-ciel,
son deuxième récit, est une suite : parce que les
souvenirs d'enfance sont l'objet d'incessantes évocations,
mais aussi parce que, malgré un apport de fiction, sa vie
continue de se dérouler en filigrane.
Aujourd'hui
il collabore au Mattino, le principal journal de Naples, et à
divers autres périodiques. (Corriere della sera et Manifesto).
Durant
la guerre en ex-Yougoslavie, il effectua, en tant que conducteur
de camions pour une organisation humanitaire, diverses missions
auprès des populations bosniaques.
Erri
de Luca a exercé tour à tour le métier de
coursier, d'ouvrier à la Fiat et maçon qu'il continue
de pratiquer conjointement à son travail d'écrivain.
Ce fils de famille napolitain qui se fit ouvrier sculpte ses livres
autant qu'il les écrit. Sa table de travail, il l'a taillée
lui-même, dans du bois d'olivier. On y trouve, entre une
Bible et un dictionnaire de russe, une branche de mimosa, un piolet,
la photo de Camus, une truelle. Il se réveille à
5 h 30, lit, bien qu'il ne soit pas croyant, une page de l'Ecclésiaste
et pose sur la mer, son amie, un regard d'eau très claire.
Quand il se lève, Erri De Luca ressent pour le monde une
gratitude infinie.
Comment
travaille cet ébéniste de la langue, qui se dit
désormais "en vacances de la réalité"
? "Mes années ouvrières m'ont enseigné
la discipline. A chaque nouveau livre, je suis devant un glacier
qui, se retirant lentement, dépose des objets, des visages,
des visions perdues. Je m'en saisis au passage et les dispose
autour de moi." Ainsi naît un roman, ou un poème.
Paraît enfin son uvre sur l'eau, recueil de ses poésies,
pendant musical de Montedidio, avec ses variations sur un psaume,
son chant de la nuit, de la mer, des maisons sans luxe et des
voyageurs clandestins.
"J'écris
au présent, parce que le passé n'est pas passé",
dit Erri De Luca, installé dans une ancienne étable,
retapée par lui-même, bien sûr. "Le regret
du passé, on ne peut pas se le permettre."
NAPLES
Parthénope,
sirène désespérée de ne pouvoir attirer
son amant, donna son nom à la ville en se jetant dans l'immense
nappe d'azur du golfe. Depuis Grecs, Romains, Normands, Angevins,
Espagnols et Bourbons sont venus s'échouer, combattre et
bâtir sur ce rivage.
C'est
probablement au Ve av. -C. que les Grecs fondèrent Naples,
dans le cadre de la colonisation de l'aire méditerranéenne.
La
relation qui unit les Napolitains et " leur " saint
patron est unique au monde. Les traces de la présence de
saint Janvier (San Gennaro) sont visibles un peu partout dans
la ville. On retrouve son effigie familière sur les autocollants
qui ornent les pare-brise des voitures, les bustes qu'on installe
à la place d'honneur dans le salon, les sculptures qui
ornent les vieilles maisons aujourd'hui délabrées.
Cette
dévotion est toujours axée sur le sang, symbole
de vie et de mort. Il existe à Naples une quarantaine de
reliques de sang, et certaines, comme celle de sainte Patricia
- présentent des phénomènes de liquéfaction
et de solidification semblables à celle de San Gennaro.
"
Vrai " ou " faux ", le sang reste un élément
fondamental du sentiment religieux des napolitains
Vers
juillet 1943, alors que les Allemands s'employaient à laisser
derrière eux un pays à feu et à sang, le
bruit courut que les ampoules de san Gennaro avaient été
brisées. Curzio Malaparte écrit :
"
C'était la première fois après quatre
ans de guerre que j'entendais prononcer le mot " sang ",
avec un respect mystérieux et sacré
à
Naples, oui justement à Naples, la plus malheureuse, la
plus affamée, la plus humiliée, la plus abandonnée,
la plus torturée des villes d'Europe
des siècles
et des siècles de faim, de servitude, de misère,
de colère, de corruption, de honte, n'avaient pas réussi
à étouffer chez ce peuple noble et misérable
le respect sacré du sang ".
Les
gens accoururent en masse à la cathédrale et, lorsqu'un
prélat sortit pour rassurer les dévots, le soulagement
se changea en une profonde émotion. Malaparte conclut :
"
La foule à genoux pleurait, invoquant le sang, tous
avaient un visage radieux, des larmes de joie sillonnaient ces
visages creusés par la faim, et une nouvelle espérance
emplissait le cur de chacun, comme si désormais plus
une goutte de sang ne devait tomber sur la terre assoiffée.
"
Le
sang figé de saint Janvier, un caillot solide et sombre,
deux ou trois fois par an, soudain se met à rougir, se
couvre d'écume et devient liquide, tout comme le sang vivant.
L'Eglise ne se prononce pas sur le phénomène, quelques
scientifiques le déclarent inexplicable et d'autres le
contestent âprement, mais pour les Napolitains, c'est un
miracle qui fascine, inquiète, accompagne ces gens depuis
plus de six siècles, authentique alliage de foi, de superstition,
de " couleur locale ".
Le
Napolitain est fasciné par la magie et la superstition
: son âme résonne de terreurs anciennes, de craintes
ataviques qui se traduisent par de petits gestes quotidiens destinés
à exorciser la peur des ténèbres. Naples
est un peu la patrie du malocchio, du mauvais il, des fatture
(sortilèges), qui doivent frapper les adversaires, des
tentatives de prédiction de l'avenir.
Le
mystère de san Gennaro continue à diviser ses partisans
et ses détracteurs. Ces derniers disent que Raimondo Di
Sangro, prince de Sansevero, aurait consigné dans un parchemin
du XVIIIème siècle sa " recette " pour
reproduire le miracle. Alchimiste éprouvé, ce prince
fut accusé d'avoir réalisé des expériences
diaboliques sur des êtres humains, mais il fut à
chaque fois acquitté (grâce à la sorcelleries
disent ses ennemis).
Malgré
mille tentatives pour pénétrer le mystère
du sang de saint Janvier, ce sang continue à se ranimer
sans aucune explication plausible. En cela il ressemble à
Naples qui, dans les tréfonds de son cur, garde mille
ressources inattendues pour affronter le lendemain.
Naples
a été la capitale européenne de la musique
lyrique au XVIIIe siècle. Quatre institutions de charité,
crées dès la fin du XVIe siècle pour accueillir
des enfants pauvres et orphelins devinrent les premiers "
conservatoires " du monde occidental.
Cette
reconversion des hospices de charité en temples de la musique
furent déterminantes dans le rayonnement artistique de
cette capitale à part entière, troisième
ville d'Europe après Londres et Paris.
Après
Francesco Provenzale puis Alessandro Scarlatti, naquit cet "
opéra napolitain " qui, pendant plus d'un siècle,
allait être synonyme d'opéra italien, exporté
dans tous les théâtres et le Cours du XVIIIe siècle.
Si
l'on peut affirmer que l'opéra baroque italien reposait
essentiellement sur des airs, les airs ne se comprenaient que
par le feu d'artifice vocal dont étaient capables leurs
plus bouleversants interprètes : les castrats.
Les
enfants, destinés à la castration par des parents
le plus souvent désireux de faire échapper l'un
des leurs aux conditions de vie misérable de l'Italie méridionale,
étaient souvent amenés à Naples pour être
entendus par un grand maître de chapelle ; la décision
de faire opérer l'enfant ou non n'était prise qu'ensuite.
Le drame était qu'une belle voix pouvait très bien
devenir éraillée, après le passage du couteau
: comme pour une loterie. L'appât des richesses et des honneurs
expliquait l'invraisemblable affluence de candidats. L'opération
qui consistait en l'ablation des testicules, devait intervenir
entre sept et douze ans, avant la mue de l'enfant, pour permettre
de conserver la limpidité, la clarté, la luminosité
de sa voix jusqu'à un âge avancé. Les castrats
constituaient ainsi une sorte de mythe vivant puisqu'ils mêlaient
en eux les atouts de l'homme, de la femme et de l'enfant, et se
plaçaient par le prodige de leur voix en dehors de la condition
humaine.
"
Ce sont de gosiers et de sons de voix de rossignol, avouait l'abbé
Raguenet ; ce sont des haleines à faire perdre terre et
à vous ôter presque la respiration ".
Naples
fut la première ville qui les révéra le plus.
Elle
fut en tout cas celle qui les forma le mieux, grâce à
ses quatre conservatoires d'où les jeunes sopranistes et
contraltistes, rodés pendant dix ans d'études aux
plus difficiles pirouettes vocales de Porpora, Durante ou Scarlatti,
partaient à la conquête des scènes italiennes
et européennes.
De
ces " séminaires d'enfants destinés à
n'en jamais produire ", étaient sortis les plus grands
noms du XVIIIe siècle : Matteuccio, Gizziello, Farinelli
Caffarelli
.
L'histoire
de la Naples baroque se confond ainsi avec celle des castrats.
A
partir de 1710 Naples allait créer par la suite un genre
nouveau qui allait peu à peu se substituer à l'opéra
tragique et, par là même, porter un coup aux castrats
: l'opéra bouffa. L'opéra
bouffa napolitain préparait ni plus ni moins
la voie de Mozart et de Rossini. De cette Serva padrona de Pergolèse
(1733) au Don Pasquale de Donizetti (1843) plus d'un siècle
de répertoire fut marqué du sceau créateur
de Naples.
"
Les Napolitains vivent plus par les oreilles que par tout autre
sens " disait l'abbé Coyer. Aux côtés
de la musique lyrique s'est maintenu et même épanoui
l'art de la chanson populaire qui a fait le tour du monde depuis
les terrasses des cafés jusqu'aux récitals des plus
grands chanteurs actuels.
Le
chant a été aussi un moyen de conjurer les catastrophes
naturelles, politiques et économiques dont l'histoire de
Naples est parsemée.
A
Naples l'accent des voix est doux, un peu traînant, lent
et enveloppant, comme s'il voulait caresser l'oreille. Certains
Napolitains, surtout les personnes cultivées, ont une voix
d'une extraordinaire musicalité. Mais à la légèreté
et à la douceur s'oppose l'art de la sceneggiata (forme
très particulière de mélodrame populaire
haut en couleur) : on se met en colère, on hurle, on maudit
et on pleure, on donne dans l'excès. Et on ne sait jamais
si c'est vrai ou si c'est de la comédie. La plupart du
temps, c'est du cinéma, une altercation à froid
est uniquement scénique, un jeu qui étonne et peut
frapper un étranger se trouvant en marges des codes culturels
napolitains, mais laisse indifférents les vrais habitants
de la ville.
Fragments
de littérature :
La
littérature napolitaine, trop méconnue propose quelques
chefs-d'uvre qui vont de l'expression spontanée de
sceneggiata qui a inspiré les poètes anciens à
la forme achevée du théâtre de De Filippo.
Le
plus beau des contes napolitains a été écrit
en langue vulgaire par un grand seigneur qui, plus tard, inspira
Perrault.
La
Gatta Cenerentola (La chatte Cendrillon) de Gian Battista
Basile vit le jour entre 1634 et 1636. La
Cenerentola (Cendrillon) fut donc écrite avant
le conte de Perrault. Les deux version sont évidemment
assez semblables.
Les
belles-surs de Cendrillon : Perrault en met en scène
deux alors que chez Basile elles sont six, ce qui renvoie immédiatement
à l'image d'une Naples populeuse.
Autre
détail important : tandis que la Cendrillon de Perrault
n'a qu'une seule belle-mère, celle de Basile en connaîtra
deux. L'une naturellement plus perfide que l'autre. Mais la différence
la plus importante concerne les circonstances de la mort de la
première marâtre. En effet celle-ci est assassinée
par Cendrillon sur les conseils de la maîtresse de couture
qui, ayant déjà jeté le dévolu sur
le père souhaite devenir la deuxième persécutrice
de la jeune orpheline.
A
ce meurtre Basile consacre un passage aussi concis qu'horriblement
truculent. Cendrillon tuera en effet sa première belle-mère
en lui brisant la nuque à l'aide d'un stratagème
à la fois simple et ingénieux. Ce détail
sinistre ajoute au conte une touche d'horreur qui disparaîtra
dans la version suivante.
La
camorra à Naples : parasitisme et destruction.
La
camorra ne peut être perçue que comme un avatar du
folklore napolitain, c'est une tumeur maligne développée
par la ville.
La
camorra (mafia napolitaine) apparaît pour la première
fois en 1735. Le sens moderne se fixe au début du XIXe
siècle : le mot désigne une activité d'extorsion
et l'organisation criminelle à proprement parler.
A
la différence de la Mafia qui occupe le terrain en Sicile,
la camorra existe par intermittence, alternant période
de calme et de violence.
Sous
l'empire de Raffaele Cutolo, personnage mégalomane et sanguinaire,
la camorra devient une multinationale du crime qui contrôle
toutes les activités illégales, une organisation
centralisée, une véritable machine de guerre capable
de mobiliser une véritable armée de criminels. Cet
empire, au temps de son apogée, est dirigé de main
de fer, depuis la prison (à l'exception d'une année
de cavale de 1978 à 1979, que Cutolo met à profit
pour consolider les liens avec le milieu américain).
Les
moyens de plus en plus importants dont dispose son organisation,
grâce au racket et au trafic de drogue, lui permettront
d'établir des liens avec le monde politique, les entrepreneurs
de Campanie et de revendiquer, très ostensiblement, un
rôle de bon Samaritain de la jeunesse à travers l'organisation
d'une forme d'assistance sociale consistant en la distribution
de subsides à des futures recrues, à l'intérieur
ou à l'extérieur de la prison.
Mars
1993 : Naples est atteinte par la révolution des juges
dans le cadre de l'opération " mains propres ",
par le sursaut moral parti de Milan, rebaptisée par les
journalistes Tangentopoli, " métropole des pots-de-vin
". Les langues se délient et l'espoir des Napolitains
renaît. A l'instar de Milan, Naples se découvre comme
une métropole de la corruption. Plus encore, les premières
enquêtes ne dévoilent pas seulement la toute-puissance
d'un comité d'affaires unissant entrepreneurs et hommes
politiques mais elles révèlent les protections que
ces derniers offraient à la camorra.
Un
dernier détail : derrière les sourires, le soleil,
les chants
la misère ! Ce n'est pas une simple touche
de couleur locale mais une misère vraie, profonde, structurelle.
Elle est la racine d'une violence latente. Cette pauvreté,
celle des sciuscià (cireur de chaussures), des sgugnizzi
(gavroches napolitains) a été souvent dépeinte
et on l'a donnée pour une caractéristique napolitaine
attrayante, pire, amusante ! Cette misère a été
exploitée, donnée en spectacle, au point qu'on la
considère parfois comme une forme d'art : l'art de la "
débrouille ".
Il
y aurait encore beaucoup à dire, mais nous nous contenterons
de finir sur un petit poème, sort d'
Instantanés
(Colette Vallat)
Couleurs
Blanc
suspendu de la chartreuse San Martino, couronnant la baie.
Blanc inévitable des chemises empalées, claquant
au-dessus du vicolo.
Blanc glacé des marbres sensuellement sculptés en
plis voluptueux.
Bleu
limpide des plats baquets d'eau pour le poisson au marché.
Bleu ignoré de la mer.
Bleu des yeux de ces fils de Normands.
Jaune citron et agrumes du limonadier ambulant.
Jaune bouton d'or des taxis titubant entre les files arrêtés.
Or terni de la " face jaune " et baroque de san Gennaro.
Ocre brouillé des façades.
Orange épais des majoliques de Santa Chiara.
Rouge pompéien des palais. Pourpre en touche unique au
san Carlo.
Gris impalpable de la foschia. (brume)
Noir
mal joint de pavés de basalte.
Noire silhouette du volcan.
Entre
blanc et noir : Naples.
Ce
site a pour vocation de promouvoir la lecture. C'est pourquoi
les résumés de livre, les biographies sont faites
à partir d'extraits des ouvrages même que j'ai consultés
et proposés à la lecture. Afin de mieux préserver
le style de l'auteur et le mettre en évidence, je n'ai
entrepris aucune réécriture. Internet fonctionnant
un peu comme une immense bibliothèque mondiale, les ouvrages
que j'ai trouvés dignes de lecture y sont donc proposés.
J'espère que les auteurs n'y verront aucun inconvénient
car ma véritable intention est de mieux les faire connaître
du grand public. R.D.
Bibliographie
:
Naples,
Le paradis et les diables - Edition Autrement - Série Monde
(ouvrage dirigé par Colette Vallat.
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