Léonard De VINCI


 

Le ciel dans sa bonté rassemble parfois sur un mortel ses dons les plus précieux, et marque d'une telle empreinte toutes les actions de cet heureux privilégié, qu'elles semblent moins témoigner de la puissance du génie humain que de la faveur spéciale de Dieu. Léonard de Vinci, dont la beauté et la grâce ne seront jamais assez vantées, fut un de ces élus. Sa prodigieuse habileté le faisait triompher facilement des plus grandes difficultés. Sa force, son adresse, son courage avaient quelque chose de vraiment royal et magnanime ; et sa renommée, éclatante pendant sa vie, s'accrut encore après sa mort " Giorgio Vasari

C'est par ces paroles qui résument l'idée que l'on se fait de l uomo universale que Giorgio Vasari commence la biographie d'un artiste qui, pour ses contemporains déjà, était devenu le symbole de l'homme universel : Léonard de Vinci.

Le modèle antique qui prône un homme vivant dans le concret, polyvalent et possédant une culture harmonieuse a marqué de son empreinte l'idéal humain de la Renaissance. L'idéal de l'uomo universale, de l'homme qui connaît tout, sait tout faire, est tout à la fois, prit forme en cette période de mutation, dont le nom même, Renaissance, évoque un temps de " nouveau devenir ". Ce furent les humanistes italiens qui, au début du XVe siècle, aspirant à restaurer le monde classique, amorcèrent un renouveau de la culture et de l'éducation, et tracèrent le portrait de cet homme idéal.

Léonard de Vinci est né à Vinci, près de Florence et est mort au château de Cloux (aujourd'hui Clos-Lucé), près d'Amboise en 1519.

Génie universel, érigé en figure symbolique de la Renaissance, il dépasse de loin, par le rayonnement et l'influence, ce monde des peintres qui fut d'abord le sien, où ses contemporains virent son véritable royaume et dont il demeure l'un des " phares ", sans éclipse depuis bientôt cinq siècles.

Léonard poursuit, résume et dépasse les recherches du quattrocento florentin, il quitte Florence à trente ans sans y avoir conquis sa place au soleil ; une étape milanaise marque le zénith de sa carrière, et c'est au bord de la Loire que s'achèvera sa vieillesse errante.

Peintre, il n'a produit qu'un petit nombre d'œuvres (parfois inachevées). Cet homme d'une curiosité inlassable, qui a porté une égale passion aux mathématiques, aux sciences de la nature, aux arts et aux techniques, a laissé des carnets de notes, des milliers de dessins et de croquis, des projets étonnants, mais aucune grande réalisation plastique ou mécanique, aucun traité publié.

Vu du dehors, Léonard apparaît comme un touche-à-tout génial, aventurier de la recherche pure, qui seule l'intéresse.

La vie de Léonard, tourmentée, velléitaire, se découpe en trois périodes presque égales : l'une, florentine (qui s'achève en 1492), étape de formation où Léonard apparaît voué surtout à la peinture ; la seconde à la Cour de Milan (1492-1499), où les activités de l'ingénieur, du sculpteur, du décorateur font concurrence à celles du peintre ; la dernière (1499-1519), nomade, où sans que l'artiste s' efface, les recherches de science pure prennent une place croissante. Léonard naît en 1452 à Vinci, bourgade perchée sur un contrefort de l'Apennin, parmi les vignes et les oliviers : il y demeure jusqu'à l'âge de seize ans. Fils naturel d'un jeune propriétaire foncier, qui deviendra plus tard notaire de la seigneurie, il connaîtra à peine sa mère, sans doute de condition modeste. Il fut élevé par ses grands-parents. On retiendra de cette enfance campagnarde, sa familiarité avec la nature toscane et une certaine gaucherie dans le comportement social et la vocation de la solitude.

En 1469, le grand-père mort, l'adolescent suit son père et son oncle, qui s'installent à Florence et entre dans l'atelier de Verrocchio, également renommé comme sculpteur et comme peintre. Dans cet atelier il rencontre très certainement Domenico Ghirlandaio, Botticelli, le Pérugin, Filippino Lippi. En 1472 Léonard semble avoir la confiance de son maître et collabore à son tableau, Le Baptême du Christ (il aurait exécuté les anges agenouillés et le fond de paysage).

On mentionne sa beauté, sa force, son goût pour les mathématiques et la musique, et aussi sa propension à l'amour " grec ", suivant la mode du temps (une dénonciation de 1476 n'aura pas de suite, mais ne laisse guère place au doute).

En 1480 Laurent de Médicis l'emploie au décor des jardins. Mais son rôle paraît bien modeste. Léonard reste à l'écart de cette cour humaniste dont Botticelli est le peintre favori et Marsile l'oracle : plus scientifique et positif que mystique, il paraît rebelle au snobisme néo-platonicien. Sa situation reste secondaire et il ne fait pas partie de l'équipe choisie en 1482 pour aller à Rome décorer la Sixtine. Travaillant lentement, désireux d'être libéré des soucis matériels, il cherche (et cherchera toute sa vie) un mécène capable d'apprécier la variété de ses talents. C'est à Milan qui le trouve d'abord.

Entré au service de Ludovic Le More, qui le traite avec honneur et lui assure une large aisance, Léonard s'occupe à élever une statue équestre à la gloire de François Sforza. Mais, après d'innombrables études, seule la maquette du cheval est exposée en 1493 ; elle disparaîtra après la chute des Sforza.

Léonard est employé sur des registres multiples : ordonnateur de tournois et cortèges d'une cour fastueuse, il est aussi le décorateur du Castello Sforzesco, l'adducteur des eaux dans les douves du palais, le restaurateur de la " Sforzesca ", exploitation agricole modèle des ducs. Et, malgré l'hostilité de Bramante, il fournit un projet pour la lanterne du dôme de Milan (1487), est appelé en consultation pour restaurer la cathédrale de Pavie (1490).

La fresque de la Cène, achevée en 1498 pour le réfectoire de Santa Maria delle Grazie, excita une admiration unanime et classa Léonard parmi les premiers maîtres d'Italie.

Mais la Cène est le chant du cygne d'un âge heureux : l'année suivante, Ludovic s'enfuit, chassé par l'armée de Louis XII. Léonard séjourne quelques temps à Mantoue - à la cour d'Isabelle d'Este, son admiratrice (dont il esquisse le portrait au fusain, aujourd'hui au Louvre) - à Venise, en Romagne où il s'attache à la fortune de César Borgia, qui le nomme inspecteur de ses fortifications ; mais la destitution du condottiere par le nouveau pape, Jules II, met fin à cet épisode.

Dès 1503, Léonard revient à Florence, où son père va mourir ; il y est accueilli avec honneur, mais se heurte à un jeune et âpre rival : Michel Ange.

Brocardé, blessé, il quitte sa patrie pour retourner à Milan, où les occupants français lui font fête. Mais à leur tour les Français sont chassé en 1512.

Cette fois, c'est Rome qui attire Léonard : le nouveau pape, Léon X, est un Médicis et un mécène. Mais son homme de confiance est Raphaël. Julien de Médicis, frère du pontife, protège Léonard, le loge et le charge d'assainir les marais Pontins. Mais nul ne songe au vieux maître lorsque la mort de Bramante laisse vacante la direction des travaux de Saint-Pierre.

Léonard, plongé dans ses recherches sur la quadrature du cercle et dans ses dissections anatomiques, il fait figure de rêveur, d'instable, étranger au monde réel. Le peintre, las, désabusé, privé de son meilleur appui par la mort de Julien en 1516, accepte l'invitation d'un jeune roi victorieux qui rêve de transporter dans ses châteaux de la Loire le style de vie des cours italiennes.

En mai 1516, Léonard se présente à François Ier, accompagné du jeune et beau Francesco Melzi, son disciple préféré, apportant quelques chefs-d'œuvre peints durant ses années nomades et qu'achètera le roi. (Aujourd'hui au Louvre) : la Joconde, la Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne, le Saint Jean-Baptiste.

Le logement au manoir de Cloux, près d'Amboise, une très large pension et l'amitié du souverain qui se plaît à l'écouter, lui assurent, après tant de traverses, un noble et paisible crépuscule. Au printemps 1519, il tombe malade, désigne Melzi comme son exécuteur testamentaire et meurt le 2 mai. Il fut enterré dans l'église Saint-Florentin d'Amboise, et ses restes furent dispersés pendant les guerres de Religion.

Cette vie glorieuse et tissée d'échecs, répond au caractère d'un homme singulier, déconcertants pour ses contemporains, qui le jugeaient hermétique, encore surprenant aujourd'hui par les témoignages qu'il a laissés de sa pensée. Ses notations, décousues d'observations scientifiques, accompagnées de croquis, de remarques de méthode, de réflexions philosophiques, nous laissent ignorer la vie et les sentiments de son auteur.

Une seule passion l'anime : la connaissance totale de l'univers visible, dans ses structures et ses mouvements.

Léonard est apparu longtemps comme l'image du géant autodidacte, du précurseur incompris. Depuis le début de notre siècle, une réaction sans doute excessive a fait de lui un érudit, héritier de toute la pensée scientifique médiévale. On tend aujourd'hui à une opinion intermédiaire : Léonard n'est pas un illettré, mais il partage la culture moyenne des Florentins de son temps.

Léonard ne deviendra jamais un savant du type de Copernic ou de Newton. Sa terminologie physique reste imprécise et contradictoire. En fait, tout en célébrant " la suprême certitude des mathématiques ", il est avant tout un " visuel ", pour qui l'œil, " fenêtre de l'âme est la principale voie par laquelle notre intellect peut apprécier pleinement l'œuvre infinie de la nature ".

Sa curiosité universelle refuse nos distinctions entre science pure et science appliquée, entre beaux-arts et arts mécaniques. Il élargit et porte à sa perfection ce type de l'ingénieur-artiste dont Alberti avait été le premier modèle.

Sa recherche embrasse également l'astronomie et la géologie, la géométrie et la mécanique, l'optique et l'acoustique, la botanique et la métallurgie. Mais on relève dans ses carnets trois " dominantes " : la première est l'anatomie, avec ces descriptions minutieuses, fruit de multiples dissections, illustrées de magnifiques dessins.

Vient ensuite la mécanique, appliquée aux travaux de l'ingénieur - avec les inventions balistiques, les chars d'assaut, les pompes et les dragues, les ponts et les canaux - ainsi qu'à des projets de machines volantes fondées sur des analyses sagaces et neuves du vol des oiseaux. C'est enfin la vie du globe terrestre, à travers la mécanique des fluides et la géologie.

C'est ce Léonard, visionnaire cosmique et " mage ", qu'évoque, adouci par la barbe et les cheveux ondoyants, le sévère autoportrait présumé, à la sanguine, de la bibliothèque royale de Turin.

Mais que reste-t-il de cet immense effort sur le plan de la création artistique ? Pour l'architecture et la sculpture, des projets, purement théoriques en ce qui concerne la première. Pour la sculpture, de nombreuses études sont destinées aux monuments des Sforza et de Trivulzio. Mais aucune réalisation : la sculpture semble avoir médiocrement intéressé Léonard.

Le secret de sa peinture est dans le jeu des ombres et des lumières, c'est-à-dire le clair-obscur. À la vision linéaire du Quattrocento, quasi bidimensionnelle malgré l'utilisation de la perspective rationnelle, Léonard substitue une approche sensible, fondée non seulement sur la perspective, mais encore sur la maîtrise du clair-obscur du sfumato: le passage subtil de l'ombre vers la lumière crée l'illusion de la troisième dimension, les formes émergeant peu à peu d'une pénombre mystérieuse.

Ce procédé fonde ce que l'historien de l'art Bernard Berenson appelle les "valeurs tactiles", une peinture illusionniste dont les Flamands se sont fait les champions grâce à l'usage de la peinture à l'huile dès le début du XVe siècle.

L'autre attrait neuf de Léonard peintre est l'énigme des visages, dans les tableaux de la dernière époque. Qu'il s'agisse d'un portrait de dame florentine - Mona Lisa, femme de Francesco de Giocondo - ou des figures imaginées, c'est le même sourire ironique et doux, le même visage androgyne, avec cette " tendre mélancolie " qui enchantait Stendhal : images de rêve, qui symbolisent le mystère de l'univers pour l'esthétisme décadent de la fin du XIXe siècle. La figure humaine - étudiée par l'anatomie et la physionomie qui se trouve investie d'une mission particulière doit refléter l'énigme d'un corps habité par une âme -; c'est ainsi que Léonard écrit: "Donne à tes figures une attitude révélatrice des pensées que les personnages ont dans l'esprit, sinon ton art ne méritera point de louange ".

Quant aux dessins, tous nos contemporains admettent qu'ils suffisent à classer Léonard parmi les plus grand maîtres. On en connaît plusieurs milliers, dont aucun n'est indifférent.

Rubens et Prud'hon, Goethe, Stendhal et Valéry l'ont salué comme le modèle du peintre, mais aussi de l'homme universel, du savant associé au poète et à l'artiste.

Source bibliographique :

La Grande Encyclopédie Larousse.

Maîtres de l'Art italien, Léonard de Vinci par Peter Hohenstatt

Hachette Multimédia / Hachette Livre

 

 

Retour à la page d'accueil

Retour à l'index de littérature