Le
masque, multiple et changeant, humaine figure, est à l'origine
du Carnaval. Et l'origine du masque vient du fond des âges,
des ténèbres de l'humanité.
Le masque et la danse sont associés dans les traditions populaires
de tous les peuples et si loin que remontent les archives historiques
de notre civilisations, nous savons que le masque était présent
dans les cérémonies et les fêtes populaires traditionnelles.
Mais avant ? ............
Bien
qu'on ne puisse pas affirmer l'existence du masque dès l'époque
préhistorique, certains éléments : face détachée de l'Homme
de Tautavel au Paléolithique inférieur, personnages coiffés
d'une encornure ou d'une ramure ou encore l'Homme à tête d'oiseau
de la civilisation magdalénienne (scène du puits de Lascaux
peinte, en noir, dans un recoin, au bas d'un puits de 7 mètres
de hauteur) apportent de bonnes probabilités pour croire à l'existence
d'un tel attribut chez les peuples préhistoriques.
Le
masque a eu tout d'abord le feu pour compagnon, le feu sacré
des danses rituelles. Il est né du souvenir de ces femmes, de
ces hommes de la nuit des temps, de leur regard plein de questions
et de peurs. Il a été mêlé aux hymnes païens exorcisant la terre
abrupte, la nature rebelle.
Le masque a paré de magie les visages, la magie de l'âme des
morts. Il s'est propagé de peuple en peuple, au coeur de ces
fêtes où l'on honorait les morts, où l'on invoquait leur pouvoir
au profit de la fécondité de la terre et des femmes. Fêtes du
ventre et du bas-ventre pour conjurer la famine et la mort.
Il était déjà dans le cortège du boeuf sacré de l'Egypte pharaonique.
A
chaque mi-février le masque était présent dans les chars des
Bacchanales grecques, masquant ces hommes et ces femmes, ivres
du breuvage de Bacchus, qui se livraient aux danses licencieuses.
On le mêlait à la mascarade des Saturnales romaines quand les
maîtres servaient leurs esclaves.
Pendant
les Lupercales (fête annuelle célébrée à Rome le 15 février
en l'honneur du dieu des troupeaux, Lupercus) les masques couraient
autour du Palatin, aux côtés de ces prêtres entièrement nus
qui avec une lanière de cuir de chèvre fouettaient les femmes
venues tout exprès pour recevoir dans leur chair la morsure
du fouet, promesse de fécondité.
Derrière
les légions impériales, le masques a atteint Nice et la Gaule.
Il amenait les fêtes de la mi-février dédiées à l'âme des morts.
Ce mondes des ténèbres inspirait alors des rites d'inversion
et de renversement de l'ordre. Les nobles, vêtus en mendiants,
servaient leurs maîtres, les hommes se déguisaient en femmes,
les enfants en vieillards, d'autres en animaux. Et partout la
débauche sans retenue de tous les plaisir de la chair, l'essence
de la vie.
L'origine
du mot Carnaval
Ces
fêtes de la mi-février qui poursuivaient leur traversée des
millénaires au Moyen Age on les appela " Carnaval ".
Il
y a un mystère autour de ce nom. Certains assurent qu'il vient
de " Carrus navalis " (char naval), ces barques voiturées à
bord desquelles le dieu Dyonisos, venu de la mer, atteignit
les îles grecques.
D'autres
affirment que c'est " Carnelevar " (carne levare signifiant
la suppression de la viande). Au Moyen Age, en effet, l'église
christianisa le calendrier, on récupéra les fêtes païennes et
on les rebaptisa.
"
Carne levare levamen ". C'était, en février, la période où l'on
mangeait pour les dernières fois de la cuisine grasse avant
d'entrer en quarantaine, la " quadragesima " (le mot qui a donné
" quaresimo " puis " carême).
Au
Moyen Age le Carnaval était jusque dans les Eglises.
L'église,
comme jadis les prêtres païens, participait à ces fêtes de la
mi-février, nouvellement christianisées. A Rome, les Papes,
en personne, n'hésitaient pas à présider un rite bouffon. Ici
comme ailleurs les églises, entre deux " messes des fous ",
ressemblaient à des tavernes. Religieux des deux sexes se prêtaient
à des jeux obscènes jusque sur les autels sans que personne
y voie de péché. Les lieux de culte étaient au centre de toute
vie donc naturellement salles de foire, de spectacle et de fêtes.
Le
Mardi gras, à la nuit tombée, quand s'achevaient les festivité,
on installait ce qui représentait le Carnaval, solennellement
sur un bûcher, bien visible de tous, au centre de la place.
Cruelle fin. Un bourreau approchait lentement une torche des
fagots. Feu rituel de ses origines, mémoire lointaine des hommes.
Son supplice expiait la magie de la fête et l'excès de plaisir.
Et l'âme du Carnaval rejoignait celle des morts que l'on fêtait
mais que l'on éloignait.
La
première trace du Carnaval dans les archives.
Lorsque
Charles II d'Anjou, comte de Provence, en février 1294, vint
passer à Nice " les jours joyeux de Carnaval " celui-ci était
déjà célèbre, mais à l'occasion il laissa sa première trace
écrite dans les chroniques..........pour l'histoire.
Il
faut dire que chaque année, quand le carnaval apparaissait on
s'amusait follement. Libations, beuveries, bagarres, gaillardises,
paillardises, jeux et ébats licencieux. Le masque, régnait sur
l'espace éphémère du défoulement des humbles singeant et raillant
les puissants. L'excès était permis et même encouragé par les
seigneurs qui pour ces jours d'exception faisaient distribuer
de la farine. Ripailles pour oublier les famines et les impôts
accablants, jeux grivois et ébats amoureux pour oublier la lèpre,
la peste et le choléra. Dès que le Carnaval serait parti en
flamme tout rentrerait mieux que jamais dans la dureté de l'ordre.
Les
" Abbés des fous "
Au
XVIe siècle l'églises tenta de mettre un frein au pouvoir du
Carnaval. Mais ce furent les autorité civiles qui concilièrent
son influence avec les nécessité du maintient de l'ordre.
Les
syndics de la ville nommèrent des " abbés des fous " choisis
dans la population chargés de canaliser les ardeurs que suscitaient
les apparitions annuelles du Carnaval et surtout d'empêcher
les rixes et le vol car pour le reste............sous l'effet
du vin et l'anonymat des masques bien des choses étaient admises.
La noblesse, masquée, déguisée elle aussi, n'était pas la dernière
à s'encanailler.
A
la Renaissance, on festoyait de plus belle à tel point que les
" abbés des fous " en perdirent la tête et se querellèrent.
En
1539, les syndics de la ville décidèrent que désormais les classes
sociales ne se mélangeraient plus. Chacune élirait ses " abbés
" et aurait son propre bal. A cette même période il advint que
les " abbés des fous " se mirent à user et à abuser de leurs
prérogatives.
La " pelota "
et le " charivari "
La " pelota ", coutume tombée en désuétude concernait les épouses
mariées dans l'année. Les jeunes mariées dont la fonction de
procréation marque le prolongement, le renouvellement de la
vie de la communauté, étaient " taxées " comme un produit qui
entre ou sort de la cité.
Aussi
le mari devait avertir les " Abbés " au départ ou à l'arrivée
de son épouse, trois jours avant la date fixée. Si le mari respectait
la tradition et payait la taxe correspondant à la classe sociale
de son épouse, celle-ci avait droit à une escorte et à des divertissements
assortis à sa condition. Si l'époux rechignait pour acquitter
le droit imposé, les " abbés " séquestraient la jeune femme
et lui faisaient subir bien plus qu'un simple " pelotage..........Les
victimes de ces prétendus " abbés " étaient trop souvent de
pauvres gens qui ne pouvaient payer lorsque les " abbés " exagéraient
à dessein la taxe parce que la femme leur plaisait.
Le Charivari ou Charavilh était un autre droit perçu par les
Abbés. Il s'appliquait en cas de remariage d'un veuf ou d'une
veuve. Lorsque les époux ne payaient pas la taxe, ils avaient
droit à une aubade en guise de premier avertissement, puis à
un " charivari " lorsqu'ils se montraient récalcitrants. A l'aide
de deux barques de pêche, on barricadait les époux chez eux
et les " Abbés " et leurs gens restaient jusqu'à ce que le débiteur
ait payé. Cette attente était accompagnée de " sons de cornes
et de trompettes ", de bris de casseroles et autres ustensiles.
C'était une sorte de fonction classique de maintenance des normes
; le groupe surveille ses membres et est amené à prendre des
sanctions en cas de manquement aux coutumes.
Au
XVIIIe siècle, cette coutume dégénéra à un point tel que le
Marquis Foschieri, gouverneur de Nice, promulgua un " ordre
" portant prohibition de percevoir les droits de " pelota et
de charavilh ".
Alors
qu'au siècle précédent les " Abbés " semblaient chargés d'un
rôle de contrôle, ils sont cette fois-ci accusés : " de commettre
de nombreuses insolences, insultes et extorsions ".
Les
festins de Carême
Au
XVIIe siècle l'influence du Carnaval déborda l'enceinte de la
ville devenue trop étroite. Bals masqués à la vénitienne, le
Veglione et le bal de la Redoute, dans les salons des riches
et des gouverneurs. Bals et festins populaires en périphérie
de la Ville assuraient la continuité, la transition entre Mardi-Gras,
Carême et Pâques. Ces festins étaient organisés pendant les
dimanches de Carême, chaque dimanche dans un quartier (alors
banlieue) de Nice : - Le premier, celui des Reproches, à Cimiez
; (Les amoureux se reprochaient les infidélités commises pendant
le Carnaval). - Le deuxième, à Saint-Barthélémy était le festin
des Réconciliations ; - Le troisième, à Saint-Pons c'était le
festin des fiançailles ; - Le quatrième, à Saint-Etienne, festin
des Amoureux, des " Calignaire " ; - Le cinquième, à Saint-Pierre
d'Arène, festin dei Rango ou des Boiteux (Car la proximité de
Nice fait que même les boiteux peuvent s'y rendre à pied). -
Le 25 Mars, un deuxième festin avait lieu à Cimiez, celui des
Cougourdons.
Un
médecin suisse Sulzer, qui passa l'hiver 1775 à Nice les décrivit
dans le récit de ses voyages " De Berlin à Nice "
"
.....Sur une vaste place, près de l'Eglise, des tables sont
disposées comme pour une foire. Les une sont chargées de comestibles
de toutes sorte, fougasses, raisins de Corinthe, châtaignes
cuites, amandes ; les autres de nombreuses bouteilles de vin.
Là se réunissent jeunes et vieux, vêtus de leurs plus beaux
habits et parés de bouquets, de rubans. Il sont tout à leur
joie et achètent ce qu'ils trouvent. Puis, ils se promènent
de ci, de là, pour le plaisir de voir et d'être vus. Si l'endroit
le permet, il s'accroupissent sous les arbres et sur l'herbe
et boivent abondamment du vin, en faisant tourner leurs verres.
Pendant ce temps, on chante les vêpres dans l'église. Et continuellement,
l'on voit sur sa porte, une multitude qui entre et qui sort,
cependant que les personnes qui sont au dehors, s'abandonnent
à la joie sans mesure. Les personnes nobles et les riches assistent
à ce spectacle. La foule est généralement grande ; tous sont
joyeux et gais sans savoir pourquoi et par la seule raison des
voir des voisins contents. Ils sont fermement résolus à passer
gaiement et sans souci leur après-midi et à s'offrir ensuite
une extraordinaire bombance. Au soir, tous rentrent heureux
à la maison. Ceux qui retournent rencontrent les habitants qui,
n'ayant pu se rendre au festin, sont contents de contempler
des figures heureuses, épanouies par le vin. "
Les
débuts de Nice : ville de saison
Au XVIIIe siècle les Anglais découvrirent la douceur de l'hiver
niçois, et lancèrent la mode de Nice comme station d'hiver dans
la haute société européenne. Et l'on vit passer tous ces aristocrates
et ces têtes couronnées courant les bals somptueux donnés dans
les salons.
A
la restauration sarde décidée par le traité de Vienne les notables
niçois, soucieux de manifester leur attachement à la monarchie
sarde organisèrent de splendides fêtes, bals masqués au palais
ducal, Veglione au théâtre. Et on créa en leur honneur, sur
le cours Saleya, avec une trentaine de voitures, le premier
corso de Carnaval. Tel fut le commencement des Corsi actuels.
A
cette époque, les pêcheurs niçois participèrent au Carnaval
en faisant sauter sur un drap une grosse poupée en étoffe bourrée
de son et de paille, c'était Lou Paillassou.
Nombreux sont les termes originaux utilisés en Occitanie ou
dans la Commedia dell'Arte, pour désigner Paillassou,
Palhasso, Pagliaccio, Pedassou, Petasson. Palhasso du latin
paleas (paille) et dérivé du grec pallô (secouer, agiter).
Les
folkloristes mettent l'accent sur le rôle important de la paille
dans le cycle des saisons : " Elle est le reste ultime de
la production végétale qui précisément au temps de Carnaval
est en train de germer souterrainement " On peut établir
ainsi, un rapprochement entre le geste des pêcheurs niçois lorsqu'ils
bernent le Paillassou et le geste des paysans qui battaient
la gerbe pour séparer la tige du grain. Le fait que ce soit
des pêcheurs, et non des paysans qui bernent le Paillassou,
s'explique en raison de l'éloignement autour de la ville des
agriculteurs, leurs fêtes ont lieu dans la banlieue et non dans
l'enceinte de la ville où la communauté des pêcheurs joue un
rôle " Nourricier " important.
La
paille est aussi, à travers les termes de paillard, paillardise,
le symbole de la licence sexuelle. Entre 1950 et 1978 nous avons
assisté à des scène où les berneurs du Paillassou le remplaçaient
par de jeunes filles choisies, malgré elles, dans la foule.
Berner le Paillassou, le lancer dans la foule, n'est-ce point
là rejoindre l'expression populaire " s'envoyer en l'air " ?
Symbole agraire et sexuel de la paille, ce mannequin est dans
la Commedia dell'Arte, un " pitre à chemise sale,
béguin d'enfant, haut bonnet garni de plumes et de chapons "
ainsi que le définit Duchartre.
Très
fréquemment signalée pendant le Second Empire, la mascarade
du Paillassou est un élément vivant et animé de la fête, une
mascarade, accompagnée au son des fifres et des tambours, et
souvent précédée d'un Arlequin portant un étendard aux armoiries
de Nice (c'est à dire l'Aigle).
Les déguisement choisis par les pêcheurs niçois sont assez variés
: en 1862 ils amusent le Corso déguisés en Arabes. C'est un
choix qui n'est pas sans portée symbolique car le surnom donné
à la vielle ville était celui de Babazouk :
"Le nom de Babazouk aurait été donné par un certain
Franceschin qui vers le milieu du siècle habitait le quartier
arabe El Bazoum à Alger. Revenu à Nice Franceschin établit une
buvette dans l'ancienne chapelle désaffectée de Saint-Joseph,
en plein coeur du Vieux-Nice ; son quartier était à l'époque
aussi malpropre que devait l'être celui d'Alger. Par dérision
et aussi en manière de plaisanterie, il l'appela d'abord le
Babazoum, puis le Babazouk qui plut davantage aux oreilles niçoises.
Le mot reste. " (Antoine Rolland dit Toine de la Buffa)
Lorsqu'on
connaît les rapports entre l'origine du mot Babazouk et le souk
arabe, le passage des Turcs à Nice en 1543, lors du fameux siège
où s'illustra Catherine Ségurane et l'importance que prenait
ce terme dans la ville (et même dans la vie politique), on pense
que ce n'était pas uniquement par " jeu " que les pêcheurs se
déguisaient ainsi, mais aussi par identification.
Ces
pêcheurs, tour à tour déguisés en Sussuri (chauve-souris) le
jour de l'arrivée du Carnaval, ou en matelots lors du corso
du dimanche 1882, distribuaient au public les paroles en niçois
de la chanson des Maurou :
Nen sien la flotta de Carnaval (Nous sommes la flotte du Carnaval)
Nen voyagian que per lu plési (Nous voyageons pour le plaisir)
Nautre arrivan daù Sénégal (Nous arrivons du Sénégal)
O matalos puden si diverti (O matelots nous pouvons nous divertir
)
Nautre nen siem matalos d'abordage (Nous sommes matelots d'abordage)
Bravi filletta escoutamen aissi (Braves fillettes écoutez-nous
ici)
Mai matalos cregnès pas lu naufrage (Avec les matelots ne craignez
pas le naufrage)
Non desiran l'amour e lu plesi. (Nous désirons l'amour et le
plaisir) ".
La mascarade peu coûteuse et originale des Morou consistait
en peu de choses. Consciencieusement barbouillés de suie, jambes
nues et tête ornée d'un bonnet de nuit, quatre jeunes gens se
plaçaient entre deux draps que l'on cousait sur leurs épaules.
Le groupe ainsi bizarrement constitué courait, mais surtout
gesticulait en chantant un quatrain en dialecte
Sien
Morou, lou sabèn (Nous sommes Maures, nous le savons)
Semblan toui d'Afriquen (Nous ressemblons à des Africains)
Ma se si lavessien (Mais si nous nous lavions)
Bessai vous plaserien (Peut-être nous vous plairions)
Les
batailles carnavalesques
Ce
fut aussi en hommage au monarque sarde que les notables niçois
participèrent à ce premier corso. Ce fut leur grand retour dans
la rue. Depuis les voitures il jetèrent à la foule des fleurs,
des cigares et des dragées plates en sucre candi (en italien
confetti). C'était le début de ce qui deviendrait un jour les
" batailles de fleurs ".
Aussi
nous voyons apparaître au XIXe siècle des " voitures " ou des
charrettes " à bord desquelles les occupants jettent des projectiles
aux piétons sur le " Cours ", aux occupants des fenêtres ou
des terrasses et en reçoivent copieusement. Des batailles acharnées
se déroulent qui semblent faire la joie du populaire et de l'élite.
De nouveau la fête se passe dans la rue, alors qu'à la fin du
XVIIIe siècle, l'aristocrate assistait surtout à des bals costumés
dans les salons du gouverneur ou chez des particuliers. Les
populations locale et " hivernante " se " mêlent ", s'affrontent,
ou " s'encanaillent ".
Le parcours a lieu sur le " Cours Saleya ", la place de la Préfecture
et la rue Saint François de Paule. La piétaille tient le pavé,
les riches occupent les positions élevées et " chics " : fenêtres
de la rue Saint François de Paule, terrasses du jardin et de
la librairie Visconti, voitures. La rencontre, les heurts se
feront à distance, d'où la nécessité de projectiles : " gentils
et nobles au début (bouquets, bombons), de plus en plus sommaires
et rudes par la suite (haricots peints, coquilles d'oeufs emplies
de suie ou de farine).
Un des endroits privilégié, pour être à la fois acteur et spectateur
était la terrasse de la Librairie Visconti, qui joua un rôle
dans le décor des fêtes carnavalesque du XIXe siècle.
La
librairie Visconti était un des lieux de rendez-vous favoris
des hivernants, et le meilleur cabinet de lecture de Nice ainsi
que le précise Emile Négrin :
."
La réputation de l'établissement est européenne, elle à même
passé l'Atlantique. La terrasse paisiblement livrée aux muses,
pendant l'année, devient aux derniers jours de Carnaval le camp
retranché des Amazones et de Mars "
Effectivement
pendant les fêtes de Carnaval, la terrasse Visconti, devient
le lieu idéal, non seulement pour observer le cortège, mais
aussi pour participer à la bataille, d'une manière assez vive
et Emile Negrin poursuit sa description avec verve : " Il
faut avoir vu ce spectacle (de la bataille) pour le comprendre.
La trompette a donné le signal. Sur le rebord de la terrasse
Visconti, une longue ligne de caisses remplies de mitraille
ressemble à une ligne d'obusiers et est desservie par des artilleurs
en gants jaunes. Excitées par ce barbarisme, celles-ci (les
amazones) font un feu bien nourri, avec de la farine, cela n'est
pas difficile. Derrière elles, les hommes les plus distingués
de l'Europe, redevenus gamins pour un instant, les soutiennent
par une fusillade de minotiers. Des chars garnis de banderoles
et de feuillages, s'avancent lourdement comme les éléphants
de Pyrrus ; ils s'arrêtent devant la tour de Malakoff de Visconti
; une lutte acharnée s'engage aussitôt pour quelques minutes.
"
Bientôt
la famille impériale russe, les familles royales anglaise, belge,
le roi de Bavière, les princes souverain de Wurtenberg, des
majestés comme s'il en pleuvait, devinrent des assidus de Nice.
Si certains hivernants fortunés jetaient encore des cigares,
des confiseries, les moins riches remplacèrent dans les confetti
le sucre candi par du plâtre. Les pauvres jetaient sur les visiteurs
de la farine avariée, des oranges et des oeufs pourris, de la
suie, des légumes secs........Pour sortir pendant les fêtes
on avait tout un harnachement : un " cache poussière " (ou domino
" en satin) par dessus les habits, un masque grillagé comme
celui des escrimeurs, une large ombrelle et, si l'on voulait
se défendre, une sacoche et une pelle à confetti.
Le
Corso Carnavalesque
Le rattachement du comté de Nice à la France en 1860 ne ralentirent
ni les festivité ni l'ardeur des combattants. Par contre la
chute de l'Empire de 1870 puis les événements révolutionnaires
de la Commune de Paris et son échec sanglant effrayèrent les
riche hivernants qui délaissairent la Côte d'Azur au profit
de la Riviera italienne.
Andriot
Saëtone, chef du bureau de bienfaisance à la préfecture et niçois
mondain, prit l'initiative de créer en 1873 un comité du carnaval,
futur comité des fêtes, composé de ces riches hivernant que
l'on voulait voir revenir et de notables niçois.
Ce
comité limita les zones permise pour les batailles de confetti
de plâtre et interdit les autres projectiles, fit installer
des illuminations sur le parcours, ordonnança le corso, institua
des prix pour récompenser les chars, les mascarades, les cavalcades.
La tentative réussit remarquablement : les hivernant fortunés
revinrent et la saison d'hiver niçoise fut sauvée.
Enfin le Carnaval défilait sur le corso. Le dimanche gras de
1873 le Carnaval revêtit le costume de Polichinelle, hérita
aussi de ses deux bosses et du tricorne, atteignit plus du double
de la taille humaine. Il fut installé sur un fauteuil à roulettes
traîné par des pêcheurs et on le fit précéder le premier tour
du corso.
Il
emprunta, noblesse oblige, le même itinéraire que Napoléon III
lors de sa visiter à Nice, de la place Garibaldi à celle de
la Préfecture, par les quais du Paillon. Ensuite on le hissa,
avec son fauteuil, en haut du double escalier des Ponchettes,
face à la Préfecture, d'où il présida la fête. A vingt trois
heures précises, le Mardi gras, on le brûla en effigie.
Chaque
année le nouveau nom qu'on lui attribua traduisit les préoccupations
des Niçois (" Papa Nice-Coni ", allusion au projet de chemin
de fer entre ces deux villes, " Barba Martin électoral, " Janus
franco-italien ".............)
Désormais
il avait aussi son imagier, Alexis Mossa dont les aquarelles
préfiguraient les chars. L'histoire culturelle et artistique
de Nice doit énormément aux multiples talents d'Alexis Mossa.
Alexis est l'initiateur d'un art niçois enraciné dans le terroir
et qui tend toutefois vers une universalité reconnue. C'est
un érudit qui réhabilite l'école primitive niçoise de peinture
: Durandi et les Bréa. Il crée dans le même souffle la Société
des Beaux arts, une Ecole d'art décoratif qui deviendra plus
tard l'Ecole nationale des arts décoratifs de Nice; il sera
le premier conservateur du premier musée des Beaux-Arts de sa
ville.
Les Mossaz, devenus Mossa lors d'une mauvaise transcription
de l'état civil, étaient d'origine savoyarde. La famille vint
s'établir à Nice vers 1730. Alexis Mossa était né à Santa Fe
de Bogota en 1844 ; il vient en France à l'âge de six ans, fait
ses études primaires et secondaires à Nice et reçoit ses premières
leçons de dessins du classicisant Carlo Garacci et du talentueux
vedutiste Hercule Trachel. Puis il fréquente à Paris l'atelier
du néoclassique Picot. Mais c'est à Nice qu'il va déployer son
activité plastique et intellectuelle. Plus loin nous allons
rendre également hommage à son fils qui lui succédera.
La
première bataille de fleurs
L'année
1875 est restée légendaire dans les annales du Carnaval niçois.
Elle fut en effet marquée par un incident singulier qu'on a
plaisamment qualifié une affaire Dreyfus carnavalesque provoqué
par un jugement malencontreux du Comité. Le char à qui fut décerné
le premier prix était d'inspiration académique : c'était une
construction monumentale élevée à la gloire de l'héroïne niçoise
" Catherine Ségurane " . Au contraire, le char des " Ratapignata
" c'est à dire des chauve-souris en niçois (animal des ténèbres
qui se repose tête en bas, bien dans la tradition carnavalesque
d'inversion) construit par Jean Cuggia avait plu au public par
son caractère fantaisiste. La controverse fut telle que le comité
démissionna. Andriot Saëtone qui conserva son poste de secrétaire
général dans le nouveau comité, Alphonse Karr et le comte de
Cessole décidèrent de scinder la fête en deux parties :
- les défilés carnavalesques, dans le style grotesque et populaire
avec batailles de confetti, sur le cours Saleya et la rue St
François de Paule,
- les défilés de voitures fleuries, sur la Promenade des Anglais.
Ils
créèrent ainsi en 1876 la première bataille de fleurs et les
corsi proches de ce que nous connaissons aujourd'hui. La leçon
donnée à l'ancien comité ne fut pas perdue. Aux organisateurs
des divertissements le bon sens des protestations avait rappelé
que le règne de Carnaval était celui de la fantaisie. L'académisme
a été banni, seule la truculence y a été dès lors admise.
Les
mocoletti
Le
Mardi-Gras, une fois le prix remis, les lauréats munis de leurs
bannières repartaient et laissaient la place au public qui menait
des farandoles et des rondes effrénées. Puis le public s'éparpillait
joyeusement dans les cafés avant de se réunir vers 20 h, place
de la Préfecture pour assister au brûlement de Carnaval, et
se livrer au jeu des " mocoletti ".
"
Le mocoletto est une petite bougie, mince comme un tuyau
de plume, mais un peu plus longue. Chacun en tient un ou plusieurs
en mains, et aussitôt que les cloches sonnent l'Angélus, toutes
ces bougies s'allument comme par enchantement, dans la rue,
aux balcons, aux fenêtres et jusque sur les terrasses et les
toits. L'amusement consiste à éteindre avec des mouchoirs de
poche et des plumeaux emmanchés au bout de longs bâtons le mocoletto
de son voisin et à préserver le sien (Petit Niçois du 4
mars 1881).
La place et la ville clignotaient ainsi de ces milliers de flammes
qui s'éteignaient et se rallumaient pour saluer l'élévation
de l'âme du roi Carnaval. Rituel du feu éloignant le souffle
des morts.
Adieu
! Pauvre Carnaval
Adièu
paure Carneval (Adieu pauvre Carnaval)
Et tu t'en vas Et ièu m'en vèni (Et toi tu pars Et moi j'arrive)
A si reveire l'an que vèn (Au revoir et à l'an prochain)
Scoute mi coumpaire Jacou (Ecoutes compère Jacques)
Scoute mi ce que ti dièu (Ecoutez ce que je dis)
Carnevale lou bouon toni (Carnaval, oh lui ! s'en moque)
Si laissa trata de gus, (Qu'on le dise original !)
Lou counouisse l'antifoni; (Il n'est pas le seul loufoque)
Scouta bèn et pi fa bus (Qui pénètre dans le bal)
Et toui lu jour la sièu frema (Sa femme, Dame Carême)
Noun fà rèn que de rougnà (Veut toujours le contrarier ;)
Lou sièu noum es " La Carèma " (Carnaval toujours le meme,)
Et soun mourr'ès reguignà (Toujours la laisse crier.)
La chanson était interprétée le soir du brûlement de Carnaval.
Si
le Carnaval a toujours été fidèle au même site pour rendre l'âme
- sur la plage symbolique des Ponchettes - non loin de la grève
où les Grecs de Massalia débarquèrent pour fonder Nikaia ; par
contre, nous avons vu tour à tour la fête s'ébattre à l'intérieur
de la vieille ville, puis les défilés carnavalesques évoluer
à partir du XIXe siècle dans la ville neuve, et se succéder
sur l'axe - avenue de la Gare (Jean Médecin)/Place Masséna -
sous l'oeil d'un public spectateur.
En 1892 apparurent les confettis in papier. Cette délicatesse
donna sans doute à Alexis Mossa l'idée que le Carnaval pouvait
maintenant être accompagné d'une reine. Ainsi en 1893, il créa
Madame Carnaval.
En 1955 les batailles de plâtre furent totalement et définitivement
interdites. Fin d'une Epoque !
Le Carnaval ne s'interrompit que pendant les deux guerres mondiales.
Il y aurait eu bien des âmes de morts à honorer. Trop hélas
!
Toujours
géant, conforme à l'idée de Nice en expansion, le roi Carnaval
a oscillé entre le monarque rabelaisien et le bourgeois en redingote,
amateur de plaisirs " le fêtard ", empereur d'Orient-Sahara
", " roi de la radiobouffonnerie, " prince du tourisme ", "
roi du cinéma ", " roi de l'amour "............
M.
J Poirier (Professeur d'Ethnologie à l'Université de Nice) fait
remarquer que maintenant le sens et la fonction de la fête on
changé. " Le plus souvent, il s'agit d'une simple prise en
compte des différents événements de l'actualité - avec une intention
de critique ou de satire. Ainsi le Carnaval chaque année est
centré sur un scénario d'intérêt national ou international.
On remarquera que cette fonction carnavalesque, bien que remontant
à plusieurs siècles, qui consiste à faire de la fête une sorte
de revue de l'actualité, se situe en dehors du champ traditionnel
qui est celui du diptyque mythologie-rituel : nous ne sommes
plus devant la célébration des grand symboles qui servaient
à assurer la continuité et la maintenance, la pérennité de l'ordre
social ; nous sommes devant un aspect très événementiel du Carnaval.
A mi-chemin entre le rite et le jeu, la fête participe des deux.
Ses aspects ludique aujourd'hui semblent plus importants que
les aspects symboliques. Les fêtes modernes sont devenues un
spectacle, qui sépare les " assistants " des " acteurs ", alors
que la fête traditionnelle unissait en principe toute la communauté
dans une célébration où il n'y avait que de co-participants,
ensuite sa signification symbolique disparaît "
Annie Sidro remarque " Le carnaval niçois est-il aussi démythifié
que certains ont bien voulu le croire ? Il semble que la richesse,
la longue histoire de la comédie carnavalesque apportent un
démenti à cette question et que l'univers carnavalesque s'inscrit
aussi dans la tradition culturelle de l'imagerie populaire,
où le " Monde à l'envers " et le thème de l'inversion des rôles
tiennent une place prépondérante. "
Retour
au passé ?
"
Cette année, hommage est rendu au père et au fils Mossa,
aquarellistes fabuleux. Les traditionalistes n'ont pas tardé
à monter au créneau pour " sauver " l'identité du Carnaval niçois.
Monsieur Gad Weil, actuel responsable du Carnaval nous dit "
La version 99 sera consensuelle. Passé, présent et avenir seront
de la fête, sans aucune exclusive ! " Pour preuve : les dessins
des chars s'inspireront des aquarelles et des maquettes d'Alexis
Mossa et de son fils Gustav-Adolf, les plus illustres " Ymagiers
du Roy ". Durant près d'un siècle ce sont eux qui ont donné
le ton. Toutes les figures légendaires vont donc renaître pour
cette édition 99. On pourra revoir la " Ratapignata " (la chauve-souris)
qui apparut pour la première fois sur le corso en 1875, le Babau,
dragon aux allures monstrueuses, surgi du Paillon, le Paillassou,
etc.
Mais
cette résurrection du passé s'opérera au moyen des techniques
modernes d'avant-garde. Qu'il s'agisse de mécanique, d'hydraulique
ou d'éclairage, on ne sera pas au XIXe siècle mais déjà au XXIe.
Ultime symbole de cette réconciliation : la chanson officielle
du Carnaval sera le fruit d'un travail musical mixant électronique
d'aujourd'hui et instrument ancien, en l'occurrence, le fameux
" pétadou ", fabriqué à partir d'un cougourdon. " (Nice-Matin
du jeudi 28 janvier 1999)
Gustav-Adolf
Mossa
Ici
il nous faut rendre hommage au plus grand imagier du Carnaval,
Gustave-Adolphe Mossa qui a enfanté durant plus de soixante
années (1902-1971) le personnage de S.M. Carnaval, crée par
son père en 1882 : le héros gargantuesque est devenu sous ses
pinceaux lumineux, le conquérant d'un univers merveilleux placé
sous le signe du soleil et de l'azur.
Né
le 28 janvier 1883 d'une mère italienne, Marguerite Alfieri
et du peintre Alexis Mossa, Gustave montre très tôt un intérêt
marqué pour la peinture. Un tableau de son père le représente
d'ailleurs peignant à l'âge de neuf ans. Ayant perdu son mandat
de conseiller aux élections de 1896 Alexis Mossa décide de se
consacrer à la formation artistique de son fils. Il l'initie
tout d'abord à l'art du paysage aquarellé aux alentours de Nice
et dans l'arrière pays. Parallèlement à ses études, Gustave
suit les cours de l'Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Nice
où il se familiarise avec les préceptes de l'Art Nouveau.
Dès 1900, alors qu'il quitte l'Ecole des Arts Décoratifs, il
se lance également dans l'écriture de pièces de théâtre et de
poèmes, et commence pour lui une période de voyages en compagnie
de son père.
Fin
1902, Gustave retourne à Nice où il présente son premier projet
de char au concours Carnaval XXXI. Sa maquette est primée mais
elle ne sera cependant pas réalisée.
La tentation est grande lorsqu'on aborde l'oeuvre de Gustav
Adolf Mossa, de l'envisager comme le lieu privilégié d'un certain
nombre d'expériences, celles d'un homme de culture (de cultures,
pourrait-on dire).
Artiste
à la production polymorphe Mossa laisse derrière lui, outre
son oeuvre pictural, un grand nombre de textes parmi lesquels
on trouve des livrets d'opéras ou autres pièces lyriques. Il
faut considérer son oeuvre dans les rapports qu'il entretient
avec la musique, la peinture et la littérature.
Mais
revenons au carnaval. A l'instar du personnage shakespearien
de Jacques, il endosse le rôle du bouffon, celui du fou au sarcasme
insolent et provocateur. De fait, tout chez Mossa n'est que
parade et carnaval, grotesque et démesure, tout concourt à rendre
l'illusion voyante et la dérision cinglante dans un mélange
de désespoir profond, d'humour noir et de caricature.
"
Qu'on me donne un masque ! Je veux me déguiser en vaurien, afin
que les gredins qui se pavanent avec des masques de dignité
ne me prennent pas pour un des leur " H. Heine (cité par
Mossa dans le catalogue de l'exposition des " Images " schumanniennes.)
Baroquisme
et ostentation s'enracinent dans la peinture de Mossa par le
biais à la fois circonstancié et symbolique de la réalité carnavalesque.
Sans doute peut-on parler de " substrat " carnavalesque, motif
unificateur de la peinture de Mossa. Inscrite dans une réalité
géographique précise, sa production hérite en outre d'une double
tradition : familiale d'une part, symboliste de l'autre.
"
Nice la prostituée est en fête " écrit Gustav-Adolf en 1906
alors qu'il compose les poèmes à Felice dont la veine intimiste
s'accommode mal de ce climat d'euphorie. La fête populaire et
carnavalesque informe en effet la ville rococo qui déploie chaque
année sur ses cours les cortèges de ses rois éphémères. Niçois
s'il en est, il eût été surprenant que Mossa n'ait pas été séduit
par les débauches festives si fortement ancrées dans la réalité
de sa ville.
Dans
l'oeuvre de Gustav-Adolph, l'univers carnavalesque n'est jamais
loin : le carnaval n'est-il pas le monde à l'envers, et la nef
des fous ne vous restitue-t-elle pas à nous mêmes, à notre vérité
profonde ? En effet, il a certainement joué un rôle catalyseur
dans la constitution de l'imaginaire de Gustav-Adolf. Le carnaval,
son sens de la transgression, de l'inversion, a très tôt focalisé
l'attention de Mossa, pratiquement au moment où il entame sa
carrière symboliste.
En
suivant les traces paternelles, en reprenant la structure du
char carnavalesque tel qu'Alexis Mossa l'avait imaginée, Gustav-Adolf
va conjuguer dès 1905 le burlesque du roi éphémère avec ses
propres fantasmes, que ses derniers soit personnels ou issus
de ses nombreuses lectures et références culturelles. Les maquettes
de cette époque sont en elles-mêmes de véritables oeuvres d'art,
quasi indépendantes de la matérialisation en trois dimensions
dont les carnavaliers seront les responsables. D'où une invention
hors du commun, indubitablement supérieure à celle d'Alexis,
grâce à la parfaite adéquation du but pictural et du contenu
doublement subversif : les mythes véhiculés par le carnaval
lui-même et les tumultes d'une mythologie personnelle.
Nous y retrouvons un Eternel féminin plus ou moins stigmatisé
: la Femme y est toujours phallique et castratrice. Mossa était
parfaitement conscient du masque qui tout à la fois occulte
et révèle ; un masque par lequel nous devons passer pour nous
retrouver nous-mêmes et les autres. On peut ainsi comprendre
l'intérêt que portait Mossa aux écrits des Jean Lorrain concernant
le masque, un masque qui n'est pas seulement ludique ; là se
joue la dimension sociale de l'homme, son insertion dans la
hiérarchie et sa volonté d'auto-affirmation face à cette stratification.
Le masque est enfin relié aux légendes, au monde des morts qui
peuvent venir troubler la paix des vivants, il témoigne bon
gré, mal gré de notre relation au sacré : en cela il demeure
éminemment " religieux " même si le carnaval pouvait être mal
vu par les religions institutionnalisées. De cela, Gustav-Adolf
a été conscient, et ce fait transparaît de manière évidente
tant dans ses créations symboliste que dans le meilleurs de
sa création carnavalesque.
Les
artisans de Carnaval
Rien
que le montage de la décoration de la Place Masséna mobilise
une trentaine de techniciens jour et nuit pendant un mois et
demi. Dans l'ombre les employés du comité des fêtes travaillent
depuis un an pou le préparer et accueillir tout le monde.
Mais qui sont donc ces magiciens qui font naître le roi Carnaval
et tous ses sujets peuplant le corso ? Sont-ils aussi mystérieux
que ceux qui le gravaient jadis sur les parois de leur caverne
?
Ce sont les carnavaliers. Ils sont une centaine et demie atteints
d'un étrange virus : " la carnavalina ", cette folie douce,
cette passion du carnaval qui les fait oeuvrer des mois et des
mois, jusqu'à seize heures par jour les dernières semaines.
Le " carnavalier " n'est pas un constructeur patenté, un architecte,
un décorateur de métier ni un industriel du plâtre, du stuc
ou du carton. Le " carnavalier " en dehors des quelques mois
où le carnaval l'accapare, est maçon, stucateur, peintre en
bâtiment, colleur de papier peint, presque toujours établi à
son compte ou bien libre de faire acte d'indépendance, car il
lui faudra entièrement se consacrer à son art, en temps utiles.
Le
carnaval les envoûte. Ce sont eux qui portent son âme, l'esprit
du masque est en eux. Ainsi que le disait l'un d'entre eux "
Vé, coura avès la carnevalina, li à ren à faire, la perdès plus,
l'avès en lou sanc, e la vous passas de païre en fiéu "
Ce
monde un peu secret des carnavaliers a ses rites, ses règles.
Pour y pénétrer il faut d'abord être admis dans l'une des quatre
confréries qui regroupent tous les carnavaliers : l'Amicale
des constructeurs carnavalesques, les As, les Artisans et l'Union.
Cela se fait naturellement lorsqu'on est parent d'un carnavalier,
l'esprit du masque, le souffle se transmet de génération en
génération.
Le Carnaval niçois et les autres Carnavals
dans le monde
C'est
en 1888, l'année où Stéphen Liégeard inventa le nom de " Côte
d'Azur " que pour la première fois des délégations étrangères
furent invitées à participer au corso.
Cette
tradition maintenant plus que centenaire a été perpétuée et
constitue l'une des caractéristiques du règne niçois du carnaval.
Des groupes des cinq continents s'y côtoient.
Les
Carnavals les plus connus :
Le
carnaval de Bâle (Suisse) et Binche (Belgique)
Viareggio, Venise, Rio, La Nouvelle-Orléans, Québec
Depuis
la haute antiquité indo-européenne, toujours et partout le Carnaval
a maintenu ses rites :
- à la mi-février, l'invocation de l'âme des morts, l'évocation
de l'aube de l'humanité, de l'homme sauvage, - l'appel du printemps,
l'oubli de la dure condition quotidienne par l'excès permis
de la fête et les rites d'inversion (travestis, etc.),
-
l'appel à la fécondité de la terre et des femmes, la conjuration
de la famine et de la mort par la bombance et par le sexe.
Selon
les villes et les pays les aspect de la fête divergent. Le choix
des Gilles de Binche ou de membres des écoles de Samba de Rio
de Janeiro s'est porté vers un carnaval " lyrique ", allégorique
et soucieux d'esthétique. Le " corps en jeux " dans la fête
a du mal à s'épanouir dans l'univers occidental européen, tandis
que l'aisance et le naturel des latino-américains provoquent
notre admiration et notre envie dans une fête où mort et sexualité
s'entrechoquent pour donner la vie.
L'univers
carnavalesque niçois a de multiples facettes et lorsque la satyre
s'atténue, apparaissent alors des oeuvres étranges, géants ou
animaux monstrueux qui vont de pair avec une période de difficulté
économique ou politique, et dont l'agressivité exprimée quelquefois
au moyen d'un mécanisme très perfectionné, vient menacer la
tranquillité placide du géant Carnaval. Chars fantastiques qui
s'inscrivent dans l'univers du terrifiant, de " l'inquiétante
étrangeté.....cette chose de l'effrayant, qui se rattache aux
choses connues depuis longtemps et de tous temps familières.
" (S. Freud).
Maître
d'oeuvre d'une représentation de notre temps, le Carnavalier
qui se qualifie lui- même d'observateur passionné ou de fou,
projette à travers son art les certitudes et les angoisses de
son époque, les fantasmes et les rêves de sa vie d'homme !
Et pour finir quelque refrains de chansons du Carnaval de Nice
"
Sur la Grande Place,
Seigneur ! Quel délire !
Les masques s'embrassent,
Dans un grand fou rire "
" Les refrains s'envolent
Les chansons sont des folles "
" Laissez soucis et peines
Et au diable les chaînes.
Glissez vous dans la ronde,
Où l'on a oublié le monde "
" Dans sa belle Nice
Pays des Amours
Par royal caprice il revient toujours !
Pour quelques semaines
Il règne sur nous
Et sur ses domaines
Nous sommes tous fous
" Au moment du dernier lampion
Quand s'éteint le dernier flon-flon,
Vers l'espace sidéral
S'envolera Carnaval "
Bibliographie
Annie
Sidro " Le Carnaval de Nice et ses fous "
"
Le Carnaval, la fête et la communication Editions Serre
Sylvie Lafon et Anne-Marie Clais Gustav Adolf Mossa " La scène
symboliste Z' Edition
Gustav
Adolf Mossa L'oeuvre symboliste 1903 : 1918 Edition Pavillon
des Arts 1992