Henri
Matisse, sans aucun doute le plus grand coloriste et l'artiste le
plus sensuel du XXe siècle, est né le 31 décembre 1869 au Cateau-Cambrésis
(Nord). Son enfance, qu'il passa dans le village voisin de Bohain-en-Vermandois,
fut relativement heureuse ; son père était marchand de grains, et
sa mère, qui avait été modiste, était sensible à l'art.
Matisse
fit ses études secondaires au collège de Saint-Quentin, la ville
la plus proche, où il reçut une solide formation classique. Il se
rendit à Paris en 1887 pour y suivre les cours de la faculté de
droit et revint l'année suivante muni d'un diplôme qui lui permit
de travailler comme clerc d'avoué.
Dans
Jazz (1947), recueil de souvenirs et de réflexions sur l'art, Matisse
se souvient de ces jours où il rédigeait des actes " que personne
ne lit jamais, même pas le juge, et qui ne se font que pour user
une quantité de papier timbré en rapport avec l'importance du procès
". Pour se distraire, il assistait au cours de dessin à l'école
Quentin La Tour avant de se rendre au travail. Dans cette région
renommée pour son industrie textile, cette école avait pour vocation
principale la formation de dessinateurs de motifs de tissus. Ainsi
Matisse acquit-il un goût pour les motifs décoratifs et un amour
pour les textiles et les tapisseries qu'il conservera tout au long
de sa vie.
En
1890, Matisse qui avait 21 ans, fut victime d'une crise d'appendicite
et dut après sa maladie, entrer dans une longue convalescence. Sa
mère lui offrit alors une petite boîte de peinture pour qu'il puisse
se distraire, et il commença à copier des chromos de banals paysages.
Ainsi qu'il le rappela en 1952, " une fois mordu par le démon de
la peinture, je n'ai plus voulu l'abandonner ".
Ses
deux premiers tableaux, qu'il réalisa en 1890, étaient des natures
mortes aux livres, curieusement signées de son nom à l'envers :
" Essitam ". Son père finit par lui permettre d'aller étudier à
Paris ; au début de 1891, il se retrouva de nouveau dans la capitale,
et s'inscrivit à l'Académie Julian, une école préparatoire à l'Ecole
des Beaux-arts, où il travailla sous la direction d'Adolphe William
Bouguereau, prestigieux artiste et sourcilleux directeur du salon
académique. Il suivit également les cours du soir de l'Ecole des
arts décoratifs.
L'enseignement
académique fut une grande surprise et une profonde déception pour
Matisse, et il ne cessera tout au long de sa vie de déplorer de l'avoir
reçu ; soixante ans plus tard, en 1951, il rapporta qu'il avait trouvé
Bouguereau " en train de refaire pour la troisième fois son tableau
Le Guêpier tout en soupirant " Ah ! je suis un travailleur, mais l'art
est difficile. ". Ces hommes, ajoute Matisse, étaient marqués par
l'art officiel et l'Institut, et je compris bien vite que je ne pouvais
rien en tirer. "
Cependant,
lorsque Matisse enseigna à son tour en 1908, il insista sur l'importance
du dessin précis d'après modèle comme l'avaient fait ses maîtres
; les dessins hachurés qu'il exécuta d'après des plâtres étaient
autant de leçons non seulement sur la construction du volume, mais
aussi sur la transposition de trois en deux dimensions, question
qui sera capitale pour Matisse quand il fera ses premières expériences
de sculpteur.
En
ce qui concerne les modèles, Matisse préférait la figure humaine
nue : " c'est elle, déclarait-il en 1908, qui me permet le mieux
d'exprimer le sentiment pour ainsi dire religieux que je possède
de la vie.
"
N'ayant pas été reçu au concours d'entrée de l'Ecole des Beaux-arts
en février 1892, Matisse commença à fréquenter la classe de dessin,
dite Cours Yvon, dans la cour vitrée de l'Ecole, où il dessinait
d'après les moulages en plâtre qui s'y trouvaient, espérant attirer
l'attention d'un maître.
Enfin,
Gustave Moreau le fit entrer dans son atelier. Le célèbre peintre
symboliste dirigeait depuis 1892 un des trois ateliers qui préparaient
au Prix de Rome. En lui, Matisse trouva un maître à l'esprit bien
plus ouvert. Il accompagnait Moreau au Louvre, avec ses camarades
de classe Raoul Dufy et Georges Rouault, pour y apprendre la leçon
des maîtres anciens.
Les
élèves de l'Ecole des Beaux-arts reproduisaient souvent des tableaux,
en partie parce que l'achat de ces reproductions par le gouvernement
était une source de revenu très bienvenue. Matisse se souvient avoir
copié le portrait de Balthazar Castiglione de Raphaël, le Narcisse
de Poussin, La chasse d'Annibale Carrache (officiellement acquis
et envoyé à Grenoble en 1896) et le Christ mort de Philippe de Champaigne.
Après
avoir travaillé de façon informelle auprès de Gustave Moreau pendant
près de trois ans, Matisse entra enfin à l'Ecole des Beaux-arts
le 1er avril 1895, son maître l'ayant dispensé du concours d'entrée.
Commence
alors une longue période de tâtonnements et de recherches qui trouveront
leur aboutissement dans le fauvisme.
Camille
Pissarro avait conseillé à Matisse d'étudier l'œuvre de Turner. Ce
que notre peintre s'empressa de faire quand il passa sa lune de miel
à Londres, au printemps de 1898, en compagnie de sa nouvelle épouse
Amélie (qui adopta avec beaucoup d'amour Marguerite, la fille de Matisse
et de Caroline Joblaud, née en 1894). Les jeunes époux passèrent ensuite
l'été en Corse. Le brillant Coucher de soleil en Corse, peint après
la révélation de Turner, marque le passage de Matisse de la tradition
à la modernité, mais célèbre aussi la première rencontre de l'artiste
avec la lumière éblouissante du midi méditerranéen.
C'est
à ce moment là qu'il découvre réellement la couleur : les tons purs,
le chromatisme éclatant remplacent les demi teintes, la lumière
envahit la toile et, en même temps que la composition devient plus
libre, la touche acquiert une plus grande spontanéité. Cézanne devient
son modèle. Pour mieux se pénétrer de son exemple il achète chez
Ambroise Vollard - ce qui dans sa situation représente un gros sacrifice
- une petite peinture du maître d'Aix, des Baigneuses, qu'il conservera
avec ferveur jusqu'en 1936 et à propos de laquelle il dira " j'en
ai tiré ma foi et ma persévérance ".
De
retour à Paris, Matisse continua à étudier l'impressionnisme, en
peignant des vues de Notre-Dame à partir de la fenêtre de son atelier
du quai Saint-Michel.
Les
préoccupations matérielles deviennent un problème grave. Matisse,
ayant trois enfants à sa charge, est en proie à des grosses difficultés
financières. En raison de sa deuxième grossesse, Amélie Matisse
doit fermer en octobre 1899 sa boutique de modes. Matisse et Marquet
sont contraint de collaborer à la décoration du Grand Palais à l'occasion
de l'Exposition universelle de 1900. Matisse contracte une bronchite
qui l'oblige à renoncer à cet épuisant travail, puis à partir en
convalescence en Suisse, où il eut de longues discussions avec son
père sur sa carrière " peu respectable " de peintre. A cette époque
le portrait fut un des genres qu'il cultiva tout particulièrement.
Comme
l'a dit plus tard Apollinaire, il y avait dans la personnalité de
Matisse deux aspects contradictoires : d'une part le fauve, qui effrayait
certains, que quelques critiques appelaient " fauvissime ou bête féroce
", et d'autre part " le maître cartésien ", l'homme raisonnable, prudent
et réfléchi que ses jeunes confrères appelaient " le professeur ".
Au cours
de l'été 1904 qu'il passa à Saint-Tropez sous le soleil méditerranéen
chez Paul Signac, Matisse eut l'occasion de s'entretenir longuement
avec celui qui, après la mort de Seurat était considéré comme le
doyen du post-impressionnisme et comme un anarchiste notoire. La
lumière et le coloris éclatant de la mer et des éléments naturels
confirmaient la théorie de Signac, qui préconisait l'emploi des
couleurs primaires et la technique " de division " que l'on retrouve
dans ses paysages côtiers et ses marines de l'époque. Matisse devient
à son tour " pointilliste " fervent. Ayant banni les demi-teintes,
respectant scrupuleusement la loi de dégradation des tons, à l'exemple
de Seurat, il peint alors Luxe, calme et volupté. L'œuvre qui sera
achetée par Signac connaît un vif succès au salon des Indépendants
de 1905.
Bien que l'influence des néo-impressionnistes ait persisté pendant
plusieurs années dans la peinture de Matisse, celui-ci n'en abandonne
pas moins dès l'été de 1908, le principe de la touche fragmentée dont
il redoute le côté systématique. Se libérant de toute référence à
une technique quelconque il travaille en se guidant uniquement d'après
la couleur. Posée en de larges aplats, selon des touches allongées
d'une extrême spontanéité, celle-ci éclate avec allégresse et intensité,
aussi bien dans ses paysages que dans ses portraits. La perspective,
le modèle, les dégradés disparaissent.
Dans
Gil Blas d'octobre 1905, le critique Louis Vaux invente le terme
" fauves " pour qualifier ce groupe d'artistes qui déclenche polémiques
et railleries et dont Matisse est considéré comme le chef de file.
Le mot fera fortune et fournira par dérivation le nom de baptême
du fauvisme.
Le
succès de scandale de cette manifestation entraîne l'achat par les
Stein de la Femme au chapeau, une des plus controversées des toiles
présentées au salon des Indépendants. C'est le début d'un collectionnisme
qui portera en quelques années les côtes de Matisse à un niveau très
élevé et le placera au centre du débat artistique contemporain.
Le style
de Matisse s'affirmera désormais à travers la simplification des
lignes et de la gamme chromatique. Renonçant délibérément à la troisième
dimension Matisse va se consacrer à exalter uniquement la couleur,
cet " instrument privilégié de la communication de l'émotion ".
Encouragé
dans cette voie par l'exemple de Gauguin, comme lui il emploie de
larges cernes pour délimiter ses formes. Mise entièrement au service
de sa sensibilité, sa peinture ne vise point à dépeindre ce qu'il
voit mais à donner l'image de ce qu'il ressent. En cela la démarche
du peintre se réfère plus à l'art oriental qu'à la peinture occidentale.
Pendant
l'été 1905, Derain rejoint Matisse à Collioure, un village de pêcheurs
proche de la frontière espagnole. Tous deux peignirent les mêmes
motifs - notamment le clocher de l'église - dans un esprit de compétition
amicale. La Catalogne, en ce début de siècle, est un extraordinaire
creuset où se retrouvent Gauguin, les arts primitifs, les artistes
roussillonnais, la lumière affolante. Picasso ne s'y trompera pas
qui, trois étés de suite, s'installera à son tour dans le Roussillon,
entraînant avec lui Braque, Max Jacob, Juan Gris…
Matisse,
cet homme du Nord, né dans une région de ciel bas, de paysages plats
fondus dans la même grisaille, est émerveillé devant le spectacle
du petit port adossé aux contreforts pyrénéens, devant l'explosion
des couleurs sauvages, la fusion de la mer et du ciel, les soleils
jaune et rouge des crépuscules du matin et du soir. Pour son œil c'est
aussitôt la fête. L'état de grâce rencontré à Collioure ne l'abandonnera
jamais.
Les
années suivantes il reprend ses voyages - visitant l'Algérie (1906),
l'Italie (1907) et se retire souvent à Collioure où il peint avec
plusieurs de ses amis. Ses participations aux salons continuent
de scandaliser les conservateurs et suscitent une attention croissante
de la frange la plus vivante de la culture de l'époque, d'Apollinaire
à Gertrude Stein.
C'est
aussi en 1907 qui débute sa première et unique expérience d'enseignement
qui prendra fin au bout d'environ deux ans seulement, du fait de
son manque de goût pour ce genre d'activité.
En
1908 les expositions personnelles de Matisse dans la galerie de
Stieglitz à New York et dans celle de Paul Cassirer à Berlin témoignent
de la diffusion rapide de sa renommée, même si elles se révèlent
désastreuses au point de vue financier. L'année suivante constitue
un autre tournant important de sa carrière : le collectionneur russe
Serguei Chtchoukine lui commande deux panneaux décoratifs (qui deviendront
La danse et La musique) pour sa résidence de Moscou, et Bernheim-Jeune,
qui restera très longtemps sa galerie, lui fait signer son premier
contrat, marquant ainsi son admission définitive dans le cercle
restreint des maîtres de l'art international contemporain.
Matisse
effectue de nombreux voyages, à Moscou, en Espagne, et au Maroc.
Entre ces voyages il séjourne à Issy-les-Moulineaux et à Collioure.
Outre la connaissance directe de la culture islamique qu'il acquiert
au Maroc, les expositions consacrées à l'art oriental à Munich et
Paris revêtent une importance pour l'évolution de son art.
Le
fauvisme n'a été qu'une brève flambée. A partir de 1913 son art
évolue vers une schématisation géométrique : le caractère péremptoire
des formes s'accentue, les lignes verticales et rectilignes s'accusent
au détriment des arabesques, au point que l'on a pu qualifier de
" cubiste " certaines peintures exécutées durant la Première Guerre
Mondiale. Mais Matisse refuse de s'engager dans une démarche aussi
intellectuelle et rigoureuse que celle poursuivie par Picasso ou
Juan Gris.
En
1918, dans la galerie Paul Guillaume, l'exposition Matisse-Picasso,
dont le catalogue est préfacé par Apollinaire, met face à face ceux
que tout le monde considère désormais comme les deux artistes les
plus représentatifs des premières décennies du siècle.
Dès
1916 il commence à fréquenter Nice où il résidera une bonne partie
de l'année à partir de 1918. " L'Orient, la Méditerranée conviennent
à Matisse. C'est dans les climats du Sud qu'il trouve ses nostalgies
et ses délices. Là, il se sent touché d'aiguës et vives brûlures.
C'est que ces pays de soleil, de chaleur, d'immobile contemplation
sont propices à la naissance de formes primordiales et heureuses,
pareilles à autant de créations innocentes et voluptueuses "..
Lorsque
Matisse vient à Nice pour la première fois il descend à l'Hôtel
Beau-Rivage, à quelques mètres de ces Ponchettes qui abriteront
en 1950 l'exposition de ses œuvres. Les premiers jours passés dans
notre ville sont marqués par une déconvenue dont le Maître se souvient
: " La pluie ne cesse de tomber. Contraint de travailler dans une
chambre d'hôtel assombrie, j'en étais réduit à peindre mon parapluie
dans le seau de toilette ". Excédé le peintre se résout à boucler
ses bagages, quand, au matin fixé pour son départ, le soleil se
montrant enfin, Matisse défait ses valises…
L'année
suivante, le Beau-Rivage étant réquisitionné pour l'armée américaine,
Matisse s'installe à l'Hôtel de la Méditerranée, auquel il restera
fidèle jusqu'en 1920.
En
ce temps-là la " saison " d'été n'existait pas, la ville s'endormait
au mois de mai pour ne se réveiller qu'en décembre ; les boutiques
de luxe baissaient leurs rideaux, les hôtels renvoyaient les clients
attardés et Matisse subissait le sort commun " Cela n'empêchait
pas mes logeuses d'accueillir mon retour, le jour même de la réouverture
de leur maison, avec une touchante cordialité : " Voici l'hirondelle
qui annonce le printemps, s'écriait immanquablement l'hôtelière
". Pour le calendrier niçois, le printemps commençait alors en décembre.
La
guerre est terminée, commence alors une période de détente au cours
de laquelle, cédant à l'enchantement de la nature méditerranéenne,
l'artiste va exprimer son amour profond de la vie. Abordant toujours
les mêmes sujets, il évoquera l'atmosphère tranquille et reposante
des intérieurs plongés dans la pénombre. Il reprendra aussi un de
ses thèmes de prédilection, celui de la fenêtre ouverte.
Revenant
à un chromatisme éclatant, toutefois moins intense qu'au temps du
fauvisme, où prédominaient généralement les rouges, l'artiste exécute
toute une série d'œuvres paisibles et intimistes. Matisse s'installe
dans le vieux quartier des Ponchettes où de 1921 à 1938 il peint
ces toiles éblouissantes, les odalisques entre autres, qui, dispersées
à travers le monde, ont porté au loin le message de notre Midi,
et ont fait de lui, le peintre, par excellence de la Méditerranée.
La profusion de tentures à ramages et à entrelacs, de tissus chamarrés,
de tapis d'Orient et de papiers fleuris confère un caractère essentiellement
décoratif à ces aimables compositions.
Matisse
ne quitte Nice que l'été pour se rendre à Paris. En 1922, il va
à Londres pour réaliser les décors du ballet de Strawinsky, " le
Rossignol " que Diaghilev lui a commandés.
Dès
1927 un certain renouvellement se fait jour grâce à des œuvres à
la construction puissante où l'on perçoit la volonté d'un style
monumental, en réaction violente avec le caractère intimiste de
son œuvre d'après guerre.
Les
liens de Matisse avec les Etats-Unis se resserrent, en 1930 il s'y
rend deux fois. C'est alors que le Dr Barnes lui commande la décoration
du hall d'entrée de sa fondation, travail qui occupera le peintre
pendant trois ans. Rentré à Nice, il cherche un atelier suffisamment
grand pour les dimensions de l'œuvre (52 m. carrés) qui lui est
demandée. Il le trouve rue Désiré Niel, derrière le Lycée des garçons
(l'actuel lycée Masséna) dont les chahuts parviennent jusqu'à lui.
Il se rend souvent le soir, à l'Ecole d'Arts Décoratifs, rue Tonduti-de-L'Escarène.
Après les cours, Matisse accompagne parfois son ami Audra au café
de Paris où la tasse coûte alors six sous. Renoir reçoit fréquemment
Matisse et il conviendrait d'analyser l'influence du Maître de Cagnes
qui ouvrit peut-être à son cadet les chemins de la couleur, si particulière
de notre Midi.
Sur
le thème de la danse, thème qu'il avait traité 20 ans plus tôt pour
Stchoukine, il compose deux versions successives. L'œuvre, novatrice,
marque une étape importante de sa carrière. " Cette danse je l'avais
en moi depuis longtemps… c'était en moi comme un rythme qui me portait.
" a dit Matisse à ce propos.
C'est
à la faveur de ce travail que Matisse en vint à inaugurer la technique
des papiers de couleur découpés. Dès lors et jusqu'à sa mort, l'art
de Matisse ne fera que gagner en simplicité et grandeur.
Pendant
quelques années Matisse consacre un certain temps à des activités
parallèles : à la peinture, la gravure, le dessin, et notamment
l'illustration de livres, domaines qui contribueront à une diffusion
encore plus grande de sa renommée.
Dès
1933, restituant à sa palette toute son intensité il va fournir
des compositions à propos desquelles on a pu parler d'un " second
fauvisme ". Dans les dix dernières années de sa vie on assiste à
une véritable explosion lyrique de la couleur. Des coloris francs
et vifs se juxtaposent avec bonheur tandis que de sobres aplats
sont parfois rehaussés par de fins motifs décoratifs. Matisse a
totalement vertébré son œuvre sur la prééminence de la couleur,
condensant dans la couleur toutes les fonctions que peut assumer
un peintre. Henri Matisse a osé revendiquer pour la peinture le
droit au plaisir des yeux.
Malgré
le déploiement et la profusion de feuillages et de fleurs qui accompagne
cette série on y perçoit déjà un profond désir de simplification.
D'admirables
natures mortes jalonnent aussi cette époque, compositions violemment
colorées où chaque élément est réduit à l'essentiel.
En
1938, Matisse abandonne la place Charles-Félix pour la colline de
Cimiez où il devient propriétaire d'un appartement dans l'immense
palais du Regina, ancien hôtel transformé, que la reine Victoria
habitait au temps heureux où Nice était encore le lieu de rencontre
des têtes couronnées et des princes. L'aristocratique
Cimiez succède aux pittoresque Ponchettes ; le parfum des roses
à l'odeur salée des poissonneries.
De
sa nouvelle demeure le maître découvre la ville étalée avec un premier
plan de gazon, d'eucalyptus et de palmiers, et, au fond, la baie
des Anges.
Entre
le paysage et le peintre s'interposera, aménagée dans une véranda,
une volière où s'agitent pigeons, colombes et tourterelles. C'est
l'un de ces pigeons frisés que Matisse offrira à Picasso et qui
jouera plus tard, sur une affiche, le rôle de la pacifique colombe.
Ses
condisciples de l'atelier Gustave Moreau aux Beaux-Arts l'avaient
surnommé " le Docteur ".
Il
avait déjà cet air de grande dignité, souligné par des lunettes
cerclées de métal et une barbe soigneusement taillée. Plus tard,
un de ses historiographes le dépeignait tel " un mage de la peinture
venu de son Orient de couleurs avec ses présents ".
Dans
les dix dernières années de sa vie, il apparaissait comme " Dieu
le Père au milieu de sa création ", à la fois débonnaire et sévère.
Son regard bleu fascinait, tantôt rieur ou moqueur, tantôt grave,
toujours vif, intelligent. La majesté du personnage ne pouvait qu'impressionner.
A Vence,
de même qu'au Régina, les tissus chamarrés, les tentures indiennes,
les poufs et les coussins d'Orient, les tabourets marocains et les
fauteuils baroques créaient cet univers de " Luxe, calme et volupté
" que l'on retrouve dans nombre de toiles et de dessins de Matisse.
Les
années de la Seconde Guerre mondiale comptent parmi les plus dramatiques
de la vie de Matisse. En 1941 il est opéré d'une grave affection
intestinale qui le clouera au lit pendant de longues périodes, ce
qui lui permettra d'ailleurs de se consacrer avec plus de régularité
à l'illustration et au dessin. Poursuivant dans la même voie il
fournit des eaux-fortes, des xylographies pour accompagner nombreux
textes littéraires.
En
1943, après le bombardement de Cimiez, il déménage à Vence où il
a loué la villa " Le rêve " et où il restera jusqu'en 1949, avec
de fréquents séjours à Paris.
En
1944, sa femme est arrêtée et sa fille Marguerite déportée pour
avoir participé à la Résistance. Dans une lettre à Camoin de juillet
1944, il relate ainsi un des moments les plus pénibles de son existence
: " Tu sais probablement que la pauvre madame Matisse à été condamné
à six mois. Pour mon compte, je croyais avoir tout éprouvé, souffrances
physiques et morales. Et bien, non ! Il me fallait cette dernière
épreuve. Je n'ose pas penser à Marguerite, dont on ne sait rien.
On ne sait même pas où elle est. Pour moi, je suis dégonflé. Depuis
trois mois, pour supporter mes soucis, j'ai travaillé le plus possible.
Je me suis épuisé. Je suis au lit depuis presque une semaine, le
foie barbouillé, craignant un retour compliqué du côté de la vésicule
qui m'avait mis, il y a un an, à un cheveu d'une opération que je
n'aurais certainement pas supportée. Voilà, mon cher vieux, avec
quoi, ou plutôt malgré quoi, il faut peindre et dessiner avec sérénité
".
Matisse
passe les dix dernières années de sa vie entre Paris, Vence et Nice.
La décoration de la chapelle du Rosaire des Dominicaines de Vence
et la réalisation de ses grandes gouaches découpées représentent
les deux derniers aboutissements importants de son art, qui reçoit
alors des hommages constants : rétrospectives de Philadelphie en
1948 et Lucerne en 1949, legs de la collection Cone au musée de
Baltimore et attribution du grand prix international de la Biennale
de Venise en 1950, grande rétrospective organisée par Alfred Barr
Jr au Muséum of Modern Art de New York en 1951 et, enfin, inauguration
du musée Matisse au Cateau-Cambrésis en 1952.
La
chapelle du Rosaire constitue le véritable testament de Matisse.
Cette chapelle dont la conception et la décoration devaient l'occuper
4 années durant, est, elle aussi, un aboutissement. L'artiste n'en
a pas seulement conçu les revêtements muraux de céramique, il s'est
également attaché à la réalisation des meubles, des vitraux, des
objets, comme des vêtements liturgiques, dessinant chasubles, nappes
d'autel et chapes. A la polychromie jaune et bleue des vitraux,
qui s'étagent sur toute la hauteur de deux parois, répondent les
sobres céramiques blanches où un graphisme noir, dessine une Vierge
à l'Enfant au milieu d'un simple décor floral, un schématique Chemin
de Croix et la silhouette majestueuse de Saint Dominique.
Présentant
cet ensemble monumental comme le résultat de toute sa vie active
Matisse écrira à propos de la chapelle du Rosaire " Je la considère,
malgré tous ses défauts, comme mon chef-d'œuvre, le résultat d'une
vie consacrée à la recherche de la vérité ".
Matisse
a non seulement donné là l'ultime chef-d'œuvre couronnant les recherches
de toute une vie, mais a encore pleinement réalisé l'idéal qu'il
s'était fixé au début de sa carrière et dont il renouvelle, en approfondissant
la définition : faire en sorte que ceux qui entrent dans ces lieux
" se sentent purifiés et déchargés de leurs fardeaux ".
Actif
jusqu'à ses derniers jours Matisse meurt à Nice le 3 novembre 1954
et repose dans le cimetière de Cimiez.
Pour
conclure, on pourrait dire que la beauté calme et apaisante de son
œuvre s'allie à la perfection formelle. Recherche de simplicité,
un perpétuel souci de rigueur, un amour de l'élégance des formes
et de l'harmonie des couleurs singularisent la démarche de Matisse
pour qui le propre de l'art moderne doit être " de participer à
notre vie ". Ce " barbu " abritant derrière ses lunettes d'or un
regard plein de malice, ainsi que l'a décrit Guillaume Apollinaire
fut un homme serein et extrêmement consciencieux, d'une ténacité
et d'une volonté exemplaires, qui durant toute sa longue et laborieuse
carrière tenta de créer " un art d'équilibre, de pureté, de tranquillité,
sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit… un lénifiant, un
calmant cérébral, quelque chose d'analogue à un bon fauteuil "
Travailleur
infatigable, Matisse à l'instar de Cézanne ou de Bonnard n'introduisit
aucun élément autobiographique dans ses toiles pour ne livrer aux
autres que " sa joie de peindre et la beauté de l'univers ".
Peintre
de l'allégresse il fut l'artisan d'une œuvre de caractère intemporel,
fortement marquée par une évolution graduelle et logique, née de
sa constante recherche et de sa grande capacité de renouvellement.
Le
site a pour vocation de promouvoir la lecture. C'est pourquoi les
résumés de livre, less biographies sont faites à
partir d'extraits des ouvrages même que j'ai consultés
et proposés à la lecture. Afin de mieux préserver
le style de l'auteur et le mettre en évidence, je n'ai entrepris
aucune réécriture. Internet fonctionnant un peu comme
une immense bibliothèque mondiale, les ouvrages que j'ai trouvés
dignes de lecture y sont donc proposés. J'espère que
les auteurs n'y verront aucun inconvénient car ma véritable
intention est de mieux les faire connaître du grand public.
R.D.
Bibliographie
Matisse
à Nice, Jean Cassarini,
Henri Matisse, sa vie son œuvre, Walter Guadagnini, Edition Gründ
Matisse, Sarah Wilson, Editions Albin Michel
Dictionnaire universel de la peinture, Le Robert