Henri MATISSE
Sa vie, son oeuvre

" Je ne peins pas les choses, je ne peins que le rapport entre les choses " Henri Matisse

" De la mort et des couleurs, nous ne savons pas discuter ". Albert Camus, Noces

Henri Matisse, sans aucun doute le plus grand coloriste et l'artiste le plus sensuel du XXe siècle, est né le 31 décembre 1869 au Cateau-Cambrésis (Nord). Son enfance, qu'il passa dans le village voisin de Bohain-en-Vermandois, fut relativement heureuse ; son père était marchand de grains, et sa mère, qui avait été modiste, était sensible à l'art.

Matisse fit ses études secondaires au collège de Saint-Quentin, la ville la plus proche, où il reçut une solide formation classique. Il se rendit à Paris en 1887 pour y suivre les cours de la faculté de droit et revint l'année suivante muni d'un diplôme qui lui permit de travailler comme clerc d'avoué.

Dans Jazz (1947), recueil de souvenirs et de réflexions sur l'art, Matisse se souvient de ces jours où il rédigeait des actes " que personne ne lit jamais, même pas le juge, et qui ne se font que pour user une quantité de papier timbré en rapport avec l'importance du procès ". Pour se distraire, il assistait au cours de dessin à l'école Quentin La Tour avant de se rendre au travail. Dans cette région renommée pour son industrie textile, cette école avait pour vocation principale la formation de dessinateurs de motifs de tissus. Ainsi Matisse acquit-il un goût pour les motifs décoratifs et un amour pour les textiles et les tapisseries qu'il conservera tout au long de sa vie.

En 1890, Matisse qui avait 21 ans, fut victime d'une crise d'appendicite et dut après sa maladie, entrer dans une longue convalescence. Sa mère lui offrit alors une petite boîte de peinture pour qu'il puisse se distraire, et il commença à copier des chromos de banals paysages. Ainsi qu'il le rappela en 1952, " une fois mordu par le démon de la peinture, je n'ai plus voulu l'abandonner ".

Ses deux premiers tableaux, qu'il réalisa en 1890, étaient des natures mortes aux livres, curieusement signées de son nom à l'envers : " Essitam ". Son père finit par lui permettre d'aller étudier à Paris ; au début de 1891, il se retrouva de nouveau dans la capitale, et s'inscrivit à l'Académie Julian, une école préparatoire à l'Ecole des Beaux-arts, où il travailla sous la direction d'Adolphe William Bouguereau, prestigieux artiste et sourcilleux directeur du salon académique. Il suivit également les cours du soir de l'Ecole des arts décoratifs.

L'enseignement académique fut une grande surprise et une profonde déception pour Matisse, et il ne cessera tout au long de sa vie de déplorer de l'avoir reçu ; soixante ans plus tard, en 1951, il rapporta qu'il avait trouvé Bouguereau " en train de refaire pour la troisième fois son tableau Le Guêpier tout en soupirant " Ah ! je suis un travailleur, mais l'art est difficile. ". Ces hommes, ajoute Matisse, étaient marqués par l'art officiel et l'Institut, et je compris bien vite que je ne pouvais rien en tirer. "


Cependant, lorsque Matisse enseigna à son tour en 1908, il insista sur l'importance du dessin précis d'après modèle comme l'avaient fait ses maîtres ; les dessins hachurés qu'il exécuta d'après des plâtres étaient autant de leçons non seulement sur la construction du volume, mais aussi sur la transposition de trois en deux dimensions, question qui sera capitale pour Matisse quand il fera ses premières expériences de sculpteur.

En ce qui concerne les modèles, Matisse préférait la figure humaine nue : " c'est elle, déclarait-il en 1908, qui me permet le mieux d'exprimer le sentiment pour ainsi dire religieux que je possède de la vie.

" N'ayant pas été reçu au concours d'entrée de l'Ecole des Beaux-arts en février 1892, Matisse commença à fréquenter la classe de dessin, dite Cours Yvon, dans la cour vitrée de l'Ecole, où il dessinait d'après les moulages en plâtre qui s'y trouvaient, espérant attirer l'attention d'un maître.

Enfin, Gustave Moreau le fit entrer dans son atelier. Le célèbre peintre symboliste dirigeait depuis 1892 un des trois ateliers qui préparaient au Prix de Rome. En lui, Matisse trouva un maître à l'esprit bien plus ouvert. Il accompagnait Moreau au Louvre, avec ses camarades de classe Raoul Dufy et Georges Rouault, pour y apprendre la leçon des maîtres anciens.


Les élèves de l'Ecole des Beaux-arts reproduisaient souvent des tableaux, en partie parce que l'achat de ces reproductions par le gouvernement était une source de revenu très bienvenue. Matisse se souvient avoir copié le portrait de Balthazar Castiglione de Raphaël, le Narcisse de Poussin, La chasse d'Annibale Carrache (officiellement acquis et envoyé à Grenoble en 1896) et le Christ mort de Philippe de Champaigne.

Après avoir travaillé de façon informelle auprès de Gustave Moreau pendant près de trois ans, Matisse entra enfin à l'Ecole des Beaux-arts le 1er avril 1895, son maître l'ayant dispensé du concours d'entrée.

Commence alors une longue période de tâtonnements et de recherches qui trouveront leur aboutissement dans le fauvisme.

Camille Pissarro avait conseillé à Matisse d'étudier l'œuvre de Turner. Ce que notre peintre s'empressa de faire quand il passa sa lune de miel à Londres, au printemps de 1898, en compagnie de sa nouvelle épouse Amélie (qui adopta avec beaucoup d'amour Marguerite, la fille de Matisse et de Caroline Joblaud, née en 1894). Les jeunes époux passèrent ensuite l'été en Corse. Le brillant Coucher de soleil en Corse, peint après la révélation de Turner, marque le passage de Matisse de la tradition à la modernité, mais célèbre aussi la première rencontre de l'artiste avec la lumière éblouissante du midi méditerranéen.


C'est à ce moment là qu'il découvre réellement la couleur : les tons purs, le chromatisme éclatant remplacent les demi teintes, la lumière envahit la toile et, en même temps que la composition devient plus libre, la touche acquiert une plus grande spontanéité. Cézanne devient son modèle. Pour mieux se pénétrer de son exemple il achète chez Ambroise Vollard - ce qui dans sa situation représente un gros sacrifice - une petite peinture du maître d'Aix, des Baigneuses, qu'il conservera avec ferveur jusqu'en 1936 et à propos de laquelle il dira " j'en ai tiré ma foi et ma persévérance ".

De retour à Paris, Matisse continua à étudier l'impressionnisme, en peignant des vues de Notre-Dame à partir de la fenêtre de son atelier du quai Saint-Michel.

Les préoccupations matérielles deviennent un problème grave. Matisse, ayant trois enfants à sa charge, est en proie à des grosses difficultés financières. En raison de sa deuxième grossesse, Amélie Matisse doit fermer en octobre 1899 sa boutique de modes. Matisse et Marquet sont contraint de collaborer à la décoration du Grand Palais à l'occasion de l'Exposition universelle de 1900. Matisse contracte une bronchite qui l'oblige à renoncer à cet épuisant travail, puis à partir en convalescence en Suisse, où il eut de longues discussions avec son père sur sa carrière " peu respectable " de peintre. A cette époque le portrait fut un des genres qu'il cultiva tout particulièrement.

Comme l'a dit plus tard Apollinaire, il y avait dans la personnalité de Matisse deux aspects contradictoires : d'une part le fauve, qui effrayait certains, que quelques critiques appelaient " fauvissime ou bête féroce ", et d'autre part " le maître cartésien ", l'homme raisonnable, prudent et réfléchi que ses jeunes confrères appelaient " le professeur ".


Au cours de l'été 1904 qu'il passa à Saint-Tropez sous le soleil méditerranéen chez Paul Signac, Matisse eut l'occasion de s'entretenir longuement avec celui qui, après la mort de Seurat était considéré comme le doyen du post-impressionnisme et comme un anarchiste notoire. La lumière et le coloris éclatant de la mer et des éléments naturels confirmaient la théorie de Signac, qui préconisait l'emploi des couleurs primaires et la technique " de division " que l'on retrouve dans ses paysages côtiers et ses marines de l'époque. Matisse devient à son tour " pointilliste " fervent. Ayant banni les demi-teintes, respectant scrupuleusement la loi de dégradation des tons, à l'exemple de Seurat, il peint alors Luxe, calme et volupté. L'œuvre qui sera achetée par Signac connaît un vif succès au salon des Indépendants de 1905.

Bien que l'influence des néo-impressionnistes ait persisté pendant plusieurs années dans la peinture de Matisse, celui-ci n'en abandonne pas moins dès l'été de 1908, le principe de la touche fragmentée dont il redoute le côté systématique. Se libérant de toute référence à une technique quelconque il travaille en se guidant uniquement d'après la couleur. Posée en de larges aplats, selon des touches allongées d'une extrême spontanéité, celle-ci éclate avec allégresse et intensité, aussi bien dans ses paysages que dans ses portraits. La perspective, le modèle, les dégradés disparaissent.


Dans Gil Blas d'octobre 1905, le critique Louis Vaux invente le terme " fauves " pour qualifier ce groupe d'artistes qui déclenche polémiques et railleries et dont Matisse est considéré comme le chef de file. Le mot fera fortune et fournira par dérivation le nom de baptême du fauvisme.

Le succès de scandale de cette manifestation entraîne l'achat par les Stein de la Femme au chapeau, une des plus controversées des toiles présentées au salon des Indépendants. C'est le début d'un collectionnisme qui portera en quelques années les côtes de Matisse à un niveau très élevé et le placera au centre du débat artistique contemporain.


Le style de Matisse s'affirmera désormais à travers la simplification des lignes et de la gamme chromatique. Renonçant délibérément à la troisième dimension Matisse va se consacrer à exalter uniquement la couleur, cet " instrument privilégié de la communication de l'émotion ".

Encouragé dans cette voie par l'exemple de Gauguin, comme lui il emploie de larges cernes pour délimiter ses formes. Mise entièrement au service de sa sensibilité, sa peinture ne vise point à dépeindre ce qu'il voit mais à donner l'image de ce qu'il ressent. En cela la démarche du peintre se réfère plus à l'art oriental qu'à la peinture occidentale.


Pendant l'été 1905, Derain rejoint Matisse à Collioure, un village de pêcheurs proche de la frontière espagnole. Tous deux peignirent les mêmes motifs - notamment le clocher de l'église - dans un esprit de compétition amicale. La Catalogne, en ce début de siècle, est un extraordinaire creuset où se retrouvent Gauguin, les arts primitifs, les artistes roussillonnais, la lumière affolante. Picasso ne s'y trompera pas qui, trois étés de suite, s'installera à son tour dans le Roussillon, entraînant avec lui Braque, Max Jacob, Juan Gris…

Matisse, cet homme du Nord, né dans une région de ciel bas, de paysages plats fondus dans la même grisaille, est émerveillé devant le spectacle du petit port adossé aux contreforts pyrénéens, devant l'explosion des couleurs sauvages, la fusion de la mer et du ciel, les soleils jaune et rouge des crépuscules du matin et du soir. Pour son œil c'est aussitôt la fête. L'état de grâce rencontré à Collioure ne l'abandonnera jamais.


Les années suivantes il reprend ses voyages - visitant l'Algérie (1906), l'Italie (1907) et se retire souvent à Collioure où il peint avec plusieurs de ses amis. Ses participations aux salons continuent de scandaliser les conservateurs et suscitent une attention croissante de la frange la plus vivante de la culture de l'époque, d'Apollinaire à Gertrude Stein.

C'est aussi en 1907 qui débute sa première et unique expérience d'enseignement qui prendra fin au bout d'environ deux ans seulement, du fait de son manque de goût pour ce genre d'activité.

En 1908 les expositions personnelles de Matisse dans la galerie de Stieglitz à New York et dans celle de Paul Cassirer à Berlin témoignent de la diffusion rapide de sa renommée, même si elles se révèlent désastreuses au point de vue financier. L'année suivante constitue un autre tournant important de sa carrière : le collectionneur russe Serguei Chtchoukine lui commande deux panneaux décoratifs (qui deviendront La danse et La musique) pour sa résidence de Moscou, et Bernheim-Jeune, qui restera très longtemps sa galerie, lui fait signer son premier contrat, marquant ainsi son admission définitive dans le cercle restreint des maîtres de l'art international contemporain.

Matisse effectue de nombreux voyages, à Moscou, en Espagne, et au Maroc. Entre ces voyages il séjourne à Issy-les-Moulineaux et à Collioure. Outre la connaissance directe de la culture islamique qu'il acquiert au Maroc, les expositions consacrées à l'art oriental à Munich et Paris revêtent une importance pour l'évolution de son art.

Le fauvisme n'a été qu'une brève flambée. A partir de 1913 son art évolue vers une schématisation géométrique : le caractère péremptoire des formes s'accentue, les lignes verticales et rectilignes s'accusent au détriment des arabesques, au point que l'on a pu qualifier de " cubiste " certaines peintures exécutées durant la Première Guerre Mondiale. Mais Matisse refuse de s'engager dans une démarche aussi intellectuelle et rigoureuse que celle poursuivie par Picasso ou Juan Gris.

En 1918, dans la galerie Paul Guillaume, l'exposition Matisse-Picasso, dont le catalogue est préfacé par Apollinaire, met face à face ceux que tout le monde considère désormais comme les deux artistes les plus représentatifs des premières décennies du siècle.

Dès 1916 il commence à fréquenter Nice où il résidera une bonne partie de l'année à partir de 1918. " L'Orient, la Méditerranée conviennent à Matisse. C'est dans les climats du Sud qu'il trouve ses nostalgies et ses délices. Là, il se sent touché d'aiguës et vives brûlures. C'est que ces pays de soleil, de chaleur, d'immobile contemplation sont propices à la naissance de formes primordiales et heureuses, pareilles à autant de créations innocentes et voluptueuses "..

Lorsque Matisse vient à Nice pour la première fois il descend à l'Hôtel Beau-Rivage, à quelques mètres de ces Ponchettes qui abriteront en 1950 l'exposition de ses œuvres. Les premiers jours passés dans notre ville sont marqués par une déconvenue dont le Maître se souvient : " La pluie ne cesse de tomber. Contraint de travailler dans une chambre d'hôtel assombrie, j'en étais réduit à peindre mon parapluie dans le seau de toilette ". Excédé le peintre se résout à boucler ses bagages, quand, au matin fixé pour son départ, le soleil se montrant enfin, Matisse défait ses valises…

L'année suivante, le Beau-Rivage étant réquisitionné pour l'armée américaine, Matisse s'installe à l'Hôtel de la Méditerranée, auquel il restera fidèle jusqu'en 1920.

En ce temps-là la " saison " d'été n'existait pas, la ville s'endormait au mois de mai pour ne se réveiller qu'en décembre ; les boutiques de luxe baissaient leurs rideaux, les hôtels renvoyaient les clients attardés et Matisse subissait le sort commun " Cela n'empêchait pas mes logeuses d'accueillir mon retour, le jour même de la réouverture de leur maison, avec une touchante cordialité : " Voici l'hirondelle qui annonce le printemps, s'écriait immanquablement l'hôtelière ". Pour le calendrier niçois, le printemps commençait alors en décembre.

La guerre est terminée, commence alors une période de détente au cours de laquelle, cédant à l'enchantement de la nature méditerranéenne, l'artiste va exprimer son amour profond de la vie. Abordant toujours les mêmes sujets, il évoquera l'atmosphère tranquille et reposante des intérieurs plongés dans la pénombre. Il reprendra aussi un de ses thèmes de prédilection, celui de la fenêtre ouverte.

Revenant à un chromatisme éclatant, toutefois moins intense qu'au temps du fauvisme, où prédominaient généralement les rouges, l'artiste exécute toute une série d'œuvres paisibles et intimistes. Matisse s'installe dans le vieux quartier des Ponchettes où de 1921 à 1938 il peint ces toiles éblouissantes, les odalisques entre autres, qui, dispersées à travers le monde, ont porté au loin le message de notre Midi, et ont fait de lui, le peintre, par excellence de la Méditerranée. La profusion de tentures à ramages et à entrelacs, de tissus chamarrés, de tapis d'Orient et de papiers fleuris confère un caractère essentiellement décoratif à ces aimables compositions.

Matisse ne quitte Nice que l'été pour se rendre à Paris. En 1922, il va à Londres pour réaliser les décors du ballet de Strawinsky, " le Rossignol " que Diaghilev lui a commandés.

Dès 1927 un certain renouvellement se fait jour grâce à des œuvres à la construction puissante où l'on perçoit la volonté d'un style monumental, en réaction violente avec le caractère intimiste de son œuvre d'après guerre.

Les liens de Matisse avec les Etats-Unis se resserrent, en 1930 il s'y rend deux fois. C'est alors que le Dr Barnes lui commande la décoration du hall d'entrée de sa fondation, travail qui occupera le peintre pendant trois ans. Rentré à Nice, il cherche un atelier suffisamment grand pour les dimensions de l'œuvre (52 m. carrés) qui lui est demandée. Il le trouve rue Désiré Niel, derrière le Lycée des garçons (l'actuel lycée Masséna) dont les chahuts parviennent jusqu'à lui. Il se rend souvent le soir, à l'Ecole d'Arts Décoratifs, rue Tonduti-de-L'Escarène. Après les cours, Matisse accompagne parfois son ami Audra au café de Paris où la tasse coûte alors six sous. Renoir reçoit fréquemment Matisse et il conviendrait d'analyser l'influence du Maître de Cagnes qui ouvrit peut-être à son cadet les chemins de la couleur, si particulière de notre Midi.

Sur le thème de la danse, thème qu'il avait traité 20 ans plus tôt pour Stchoukine, il compose deux versions successives. L'œuvre, novatrice, marque une étape importante de sa carrière. " Cette danse je l'avais en moi depuis longtemps… c'était en moi comme un rythme qui me portait. " a dit Matisse à ce propos.

C'est à la faveur de ce travail que Matisse en vint à inaugurer la technique des papiers de couleur découpés. Dès lors et jusqu'à sa mort, l'art de Matisse ne fera que gagner en simplicité et grandeur.

Pendant quelques années Matisse consacre un certain temps à des activités parallèles : à la peinture, la gravure, le dessin, et notamment l'illustration de livres, domaines qui contribueront à une diffusion encore plus grande de sa renommée.

Dès 1933, restituant à sa palette toute son intensité il va fournir des compositions à propos desquelles on a pu parler d'un " second fauvisme ". Dans les dix dernières années de sa vie on assiste à une véritable explosion lyrique de la couleur. Des coloris francs et vifs se juxtaposent avec bonheur tandis que de sobres aplats sont parfois rehaussés par de fins motifs décoratifs. Matisse a totalement vertébré son œuvre sur la prééminence de la couleur, condensant dans la couleur toutes les fonctions que peut assumer un peintre. Henri Matisse a osé revendiquer pour la peinture le droit au plaisir des yeux.

Malgré le déploiement et la profusion de feuillages et de fleurs qui accompagne cette série on y perçoit déjà un profond désir de simplification.

D'admirables natures mortes jalonnent aussi cette époque, compositions violemment colorées où chaque élément est réduit à l'essentiel.

En 1938, Matisse abandonne la place Charles-Félix pour la colline de Cimiez où il devient propriétaire d'un appartement dans l'immense palais du Regina, ancien hôtel transformé, que la reine Victoria habitait au temps heureux où Nice était encore le lieu de rencontre des têtes couronnées et des princes. L'aristocratique Cimiez succède aux pittoresque Ponchettes ; le parfum des roses à l'odeur salée des poissonneries.

De sa nouvelle demeure le maître découvre la ville étalée avec un premier plan de gazon, d'eucalyptus et de palmiers, et, au fond, la baie des Anges.

Entre le paysage et le peintre s'interposera, aménagée dans une véranda, une volière où s'agitent pigeons, colombes et tourterelles. C'est l'un de ces pigeons frisés que Matisse offrira à Picasso et qui jouera plus tard, sur une affiche, le rôle de la pacifique colombe. Ses condisciples de l'atelier Gustave Moreau aux Beaux-Arts l'avaient surnommé " le Docteur ".

Il avait déjà cet air de grande dignité, souligné par des lunettes cerclées de métal et une barbe soigneusement taillée. Plus tard, un de ses historiographes le dépeignait tel " un mage de la peinture venu de son Orient de couleurs avec ses présents ".

Dans les dix dernières années de sa vie, il apparaissait comme " Dieu le Père au milieu de sa création ", à la fois débonnaire et sévère. Son regard bleu fascinait, tantôt rieur ou moqueur, tantôt grave, toujours vif, intelligent. La majesté du personnage ne pouvait qu'impressionner.

A Vence, de même qu'au Régina, les tissus chamarrés, les tentures indiennes, les poufs et les coussins d'Orient, les tabourets marocains et les fauteuils baroques créaient cet univers de " Luxe, calme et volupté " que l'on retrouve dans nombre de toiles et de dessins de Matisse.

Les années de la Seconde Guerre mondiale comptent parmi les plus dramatiques de la vie de Matisse. En 1941 il est opéré d'une grave affection intestinale qui le clouera au lit pendant de longues périodes, ce qui lui permettra d'ailleurs de se consacrer avec plus de régularité à l'illustration et au dessin. Poursuivant dans la même voie il fournit des eaux-fortes, des xylographies pour accompagner nombreux textes littéraires.

En 1943, après le bombardement de Cimiez, il déménage à Vence où il a loué la villa " Le rêve " et où il restera jusqu'en 1949, avec de fréquents séjours à Paris.

En 1944, sa femme est arrêtée et sa fille Marguerite déportée pour avoir participé à la Résistance. Dans une lettre à Camoin de juillet 1944, il relate ainsi un des moments les plus pénibles de son existence : " Tu sais probablement que la pauvre madame Matisse à été condamné à six mois. Pour mon compte, je croyais avoir tout éprouvé, souffrances physiques et morales. Et bien, non ! Il me fallait cette dernière épreuve. Je n'ose pas penser à Marguerite, dont on ne sait rien. On ne sait même pas où elle est. Pour moi, je suis dégonflé. Depuis trois mois, pour supporter mes soucis, j'ai travaillé le plus possible. Je me suis épuisé. Je suis au lit depuis presque une semaine, le foie barbouillé, craignant un retour compliqué du côté de la vésicule qui m'avait mis, il y a un an, à un cheveu d'une opération que je n'aurais certainement pas supportée. Voilà, mon cher vieux, avec quoi, ou plutôt malgré quoi, il faut peindre et dessiner avec sérénité ".

Matisse passe les dix dernières années de sa vie entre Paris, Vence et Nice. La décoration de la chapelle du Rosaire des Dominicaines de Vence et la réalisation de ses grandes gouaches découpées représentent les deux derniers aboutissements importants de son art, qui reçoit alors des hommages constants : rétrospectives de Philadelphie en 1948 et Lucerne en 1949, legs de la collection Cone au musée de Baltimore et attribution du grand prix international de la Biennale de Venise en 1950, grande rétrospective organisée par Alfred Barr Jr au Muséum of Modern Art de New York en 1951 et, enfin, inauguration du musée Matisse au Cateau-Cambrésis en 1952.

La chapelle du Rosaire constitue le véritable testament de Matisse. Cette chapelle dont la conception et la décoration devaient l'occuper 4 années durant, est, elle aussi, un aboutissement. L'artiste n'en a pas seulement conçu les revêtements muraux de céramique, il s'est également attaché à la réalisation des meubles, des vitraux, des objets, comme des vêtements liturgiques, dessinant chasubles, nappes d'autel et chapes. A la polychromie jaune et bleue des vitraux, qui s'étagent sur toute la hauteur de deux parois, répondent les sobres céramiques blanches où un graphisme noir, dessine une Vierge à l'Enfant au milieu d'un simple décor floral, un schématique Chemin de Croix et la silhouette majestueuse de Saint Dominique.

Présentant cet ensemble monumental comme le résultat de toute sa vie active Matisse écrira à propos de la chapelle du Rosaire " Je la considère, malgré tous ses défauts, comme mon chef-d'œuvre, le résultat d'une vie consacrée à la recherche de la vérité ".

Matisse a non seulement donné là l'ultime chef-d'œuvre couronnant les recherches de toute une vie, mais a encore pleinement réalisé l'idéal qu'il s'était fixé au début de sa carrière et dont il renouvelle, en approfondissant la définition : faire en sorte que ceux qui entrent dans ces lieux " se sentent purifiés et déchargés de leurs fardeaux ".

Actif jusqu'à ses derniers jours Matisse meurt à Nice le 3 novembre 1954 et repose dans le cimetière de Cimiez.

Pour conclure, on pourrait dire que la beauté calme et apaisante de son œuvre s'allie à la perfection formelle. Recherche de simplicité, un perpétuel souci de rigueur, un amour de l'élégance des formes et de l'harmonie des couleurs singularisent la démarche de Matisse pour qui le propre de l'art moderne doit être " de participer à notre vie ". Ce " barbu " abritant derrière ses lunettes d'or un regard plein de malice, ainsi que l'a décrit Guillaume Apollinaire fut un homme serein et extrêmement consciencieux, d'une ténacité et d'une volonté exemplaires, qui durant toute sa longue et laborieuse carrière tenta de créer " un art d'équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit… un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d'analogue à un bon fauteuil "

Travailleur infatigable, Matisse à l'instar de Cézanne ou de Bonnard n'introduisit aucun élément autobiographique dans ses toiles pour ne livrer aux autres que " sa joie de peindre et la beauté de l'univers ".

Peintre de l'allégresse il fut l'artisan d'une œuvre de caractère intemporel, fortement marquée par une évolution graduelle et logique, née de sa constante recherche et de sa grande capacité de renouvellement.

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Bibliographie Matisse à Nice, Jean Cassarini,
Henri Matisse, sa vie son œuvre, Walter Guadagnini, Edition Gründ
Matisse, Sarah Wilson, Editions Albin Michel
Dictionnaire universel de la peinture, Le Robert