Un inconnu
le suivait. Il n'avait pas du tout l'air d'un policier ni d'un détective.
Il avait l'air d'un homme d'affaires. Tom entra chez Raoul. L'homme
était entré lui aussi dans le bar et s'était
approché de lui
"
Je m'appelle Herbert Greenleaf, je suis le père de Richard
Greenleaf, vous êtes un ami de Richard n'est-ce pas ? "
Ce nom
lui disait quelque chose. Un grand type blond. Il avait beaucoup d'argent,
Tom s'en souvenait.
"
Dickie est en Europe depuis deux ans. Je voudrais qu'il revienne.
Sa mère est très malade. Enfin ce sont des histoires
de famille. Je suis navré de vous ennuyer avec cela. Vous êtes
le premier des amis de Richard qui accepte de m'écouter ".
Tom se
souvenait maintenant que l'argent de Dickie venait d'une société
de constructions navales. Une affaire de petits voiliers. Sans doute
son père voulait-il que Dickie rentrât pour reprendre
la maison.
Mr. Greenleaf
fixait sur Tom un regard avide, pathétique. Tom pensa que Dickie
avait 25 ans comme lui. Il avait de l'argent, une maison, un bateau.
Pourquoi aurait-il envie de rentrer ? Dickie avait de la chance. Que
faisait-il lui, Tom, à 25 ans. Il vivait à la petite
semaine. Sans compte en banque et pour la première fois de
sa vie il en était à éviter la police.
"
Je ne sais pas si vous envisagez ou non un voyage en Europe continua
Mr. Greenleaf. Si vous alliez là bas je serai trop heureux
de prendre tous vos frais à ma charge. Richard a toujours subi
l'influence de ses amis. Je suis sûr qu'il vous écouterait,
si vous lui expliquiez nettement pourquoi vous estimez qu'il doit
rentrer ".
Tom sursauta.
Il prit un air songeur. Il y avait là une possibilité.
Son instinct l'avait flairée et était en alerte avant
même que son cerveau eût appréhendé la chose.
" Ce serait peut-être possible ", dit-il prudemment.
Je serai ravi de revoir Richard surtout si vous croyez que je
puisse être de quelque utilité ".
Mr. Gréenleaf
avait proposé de le déposer en taxi, mais Tom ne voulait
pas lui faire voir où il habitait : dans un immeuble en grès
sordide, entre la Troisième et la Deuxième Avenue. Depuis
quelque temps il avait toujours l'impression d'être suivi. Il
monta les marches en courant. Il pouvait se féliciter, ce soir,
se dit-il. Il avait été parfait. Dès qu'il pourrait
avoir son passeport, il s'embarquerait pour l'Europe, sans doute dans
une cabine de première. Des domestiques lui apporteraient des
choses quand il presserait un bouton !
Il s'habillerait pour le dîner, entrerait d'un pas nonchalant
dans une vaste salle à manger comme un gentleman. Il commençait
une vie nouvelle. Il recommençait à zéro. Il
avait des talents multiples et le monde était grand ! Et voilà
maintenant qu'il avait les larmes aux yeux ; brusquement il se prit
la tête à deux mains et se mit à sangloter.
Allongé
dans son transat, fortifié moralement par le luxe qui l'entourait,
Tom essaya d'examiner son passé d'un il objectif. Les
quatre dernières années avaient été gâchées.
Elles avaient consisté en une série d'emplois passagers,
coupé de longues et périlleuses périodes où
il n'avait pas d'emplois du tout, où par conséquent
il était démoralisé parce qu'il n'avait pas d'argent,
et où il se liait avec des gens stupides pour ne pas être
seul.
Les jours
suivants, dans le train qui l'emmenait en Italie, il eût la
vision fugitive, par une fenêtre de gare, de Paris. Il se dit
qu'il pourrait y revenir. A Mongibello il finit par trouver Dickie
sur la plage. Il était avec Marge Sherwood et ne semblait guère
se souvenir de Tom. Un quart d'heure après, Tom était
assis dans un confortable fauteuil en osier sur la terrasse de Dickie,
avec un whisky à la main. Pendant qu'il était sous la
douche, la table avait été dressée pour trois
couverts, sur la terrasse et Marge était maintenant dans la
cuisine où elle parlait en italien avec la bonne. Dickie semblait
de mauvaise humeur.
Le jour
même Tom prit une chambre à l'hôtel Miramare. Par
la fenêtre il aperçut Dickie et Marge qui montaient dans
le bateau. Tom comprit qu'il les voyait vivre une de leurs journées
types : la sieste après un déjeuner tardif, probablement,
puis une promenade dans le bateau de Dick au coucher du soleil. Pourquoi
Dickie aurait-il envie d'aller retrouver le métro, les taxis,
les cols amidonnés et un travail de neuf heures à cinq
heures ? Ou même une voiture conduite par un chauffeur et des
vacances en Floride et dans le Maine ? Ce n'était pas aussi
drôle que d'aller se promener en bateau à voiles dans
de vieux vêtements, et de n'avoir à répondre à
personne de son emploi du temps. Et de l'argent par-dessus le marché
pour voyager si le désir vous en prenait. Tom envia Dick et
fut saisi, en pensant à lui, d'une violente sensation de jalousie
en même temps qu'il s'apitoyait sur son sort.
Tom laissa
passer trois jours. Tom savait que la première chose à
faire c'était d'amener Dickie à le trouver sympathique
et c'était la chose à quoi il tenait plus que tout au
monde. Pour l'instant il se sentait au bord de l'échec.
- Je
crois que j'ai encore une chose à vous dire, fit Tom en souriant.
C'est que votre père m'a envoyé ici spécialement
pour vous demander de rentrer.
C'était
sa dernière chance, la seule qui lui restait d'amuser Dickie
ou de l'écurer, de le faire éclater de rire ou
s'en aller, dégoûté, en claquant la porte. Mais
ce fut le sourire qui apparut. Tom y mit beaucoup de drôlerie,
sa langue continuait à s'agiter presque indépendamment
de son cerveau. Son cerveau évaluait jusqu'à quel point
ses actions montaient auprès de Dickie et de Marge. Le lendemain
matin il s'installa chez Dickie.
Dickie
lui proposa une escapade à Naples et à Rome. Tom avait
remarqué que Dickie était beau. Il se distinguait du
commun avec son long visage aux traits fins, son regard vif et intelligent,
la fierté de son allure, quoi qu'il portât en guise de
vêtements. Tom avait parfois l'impression de se regarder dans
la glace. Ils étaient de la même grandeur tous les deux,
et à peu près de la même corpulence et ils portaient
des peignoirs de la même taille, des chaussettes de la même
pointure, et probablement aussi des chemises de la même taille.
Ils allaient
chaque jour faire une promenade dans le bateau de Dickie. Il n'était
plus question du départ de Tom.
Depuis
que Tom était arrivé, Marge se sentait un peu abandonnée.
Il y avait quelque chose dans les yeux de Marge, quand elle était
très sérieuse, qui lui donnait un air sage et vieux
en dépit des vêtements simplets qu'elle portait, de ses
cheveux balayés par le vent et de son apparence générale
de cheftaine de boy-scouts. Elle paraissait comprendre que Dickie
s'était lié plus intimement avec lui, Tom, simplement
parce qu'il était un homme, qu'il n'aurait jamais pu le faire
avec elle, qu'il l'aimât ou non, et il ne l'aimait pas.
Une autre
semaine s'écoula, une certaine tension s'était installée
entre eux. Un jour Dickie lui avait dit
- Marge croit que vous êtes une tapette. -
Personne ne lui avait jamais dit ça, en face, aussi brutalement.
- Dickie, je tiens à mettre ceci au point, commença
Tom, je ne suis pas une tapette et je ne veux pas que personne s'imagine
que j'en suis une.
Il s'était conduit comme un idiot ! Il pensait qu'il était
un des plus innocents et un des esprits les plus purs de tous les
gens qu'il connaissait. C'était ce qui rendait d'autant plus
amer ce malentendu avec Dickie.
-Êtes-vous amoureux de Marge, Dickie ? -
-Non, mais je la plains. Elle a été très gentille
avec moi. Nous avons passé de bons moments ensemble. Vous n'avez
pas l'air de comprendre ça.-
-Je comprends très bien. Cela a toujours été
l'impression que vous me faisiez tous les deux : qu'en ce qui vous
concernait, c'était un amour platonique et qu'elle était
probablement amoureuse de vous. -
-Je n'ai pas couché avec elle et je n'en ai pas l'intention,
mais je tiens à conserver son amitié -
Tom avait
reçu une lettre de Mr Greenleaf lui disant que l'objectif n'ayant
pas été atteint, il pouvait se sentir dégagé
de toute obligation. Tom avait échoué. Il était
tout seul. Dickie et Marge semblaient très loin, et ce qu'ils
disaient perdait de son importance. Il commençait à
sentir un frisson lui courir le long du dos, aux creux des reins.
Avant
de s'en aller définitivement Tom avait proposé à
Dickie un petit voyage à Paris, mais Dickie avait opté
pour San Remo. Marge déclara qu'elle était " lancée
" dans son livre. Tom avait connu des écrivains. On ne
faisait pas un livre comme ça, en passant la moitié
de la journée sur la plage à se demander ce qu'on mangerait
pour dîner. Mais il était ravi qu'elle fût justement
" lancée " au moment où Dickie et lui voulaient
aller à San Remo.
Dickie
ne desserra pas les dents dans le train. Feignant d'avoir envie de
dormir, il croisa les bras et ferma les yeux. Tom sentait monter en
lui un tourbillon d'émotions, où se mêlaient la
haine, l'affection, l'impatience et la déception ; il en haletait.
Il avait envie de tuer Dickie. Bientôt il allait quitter Dickie
pour de bon, et de quoi pouvait-il encore avoir honte ? Une idée
merveilleuse venait de le frapper : il pourrait devenir lui-même
Dickie Greenleaf. Il pourrait faire tout ce que faisait Dickie.
A San
Remo il y avait une dizaine de petits canots bleus et blancs, alignés
près de l'appontement. Ils en louèrent un. Maintenant
ils étaient seuls et fonçaient vers des eaux où
l'on ne voyait aucun bateau. Tom était terrifié. Il
avait peur mais pas de l'eau : il avait peur de Dickie. Soudain il
prit la rame comme pour jouer, et, puis il souleva l'aviron et en
frappa de toutes ses forces la tête de Dickie. La rame fit une
grande plaie qui se mit aussitôt à saigner. Maintenant
Dickie était au fond du canot, et se tordait, secoué
de convulsions. Tom le frappa à trois reprises sur le cou,
à grands coups d'aviron comme si c'était une hache et
que le cou de Dickie fût un arbre.
Puis
le corps affalé se détendit et s'immobilisa, sans vie.
Tom se redressa, reprenant péniblement son souffle. Il regarda
autour de lui. Il n'y avait pas une embarcation. Il se pencha et ôta
la bague de Dickie qu'il fourra dans ses poches. Tom enroula la corde
qui retenait le bloc de ciment qui servait d'encre autour des chevilles
nues de Dickie, puis il fit un énorme nud. Tom traîna
le corps vers l'arrière, Dickie passa par-dessus bord.
Il mit
le cap sur la côte où il se dirigea vers une petite crique
abandonnée. Tom décida de saborder le canot qu'il remplit
de gros galets. Il travailla sans relâche jusqu'à ce
que le canot finalement coule quelques mètres plus loin. Tom
alors se traîna jusqu'à la plage et s'allongea un moment
à plat ventre sur le sable. Il commença à tirer
des plans pour ce qui lui restait maintenant à faire : rentrer
à l'hôtel, quitter San Remo avant la nuit, regagner Mongibello.
Et là-bas trouver une histoire plausible à raconter.
Le lendemain
à 11 heures il était à Mongibello.
- Dickie a décidé de s'installer à Rome, expliqua-t-il
à Marge. Il me demande de reprendre toutes ses affaires, tout
ce que je pourrai emporter. Il veut sans doute passer l'hiver à
Rome. Il dit qu'il va vous écrire.
Marge
semblait complètement abattue. Tom savait qu'elle arrivait
probablement à la conclusion qu'il allait certainement habiter
avec Tom. Le lendemain il était à Rome où il
s'installa dans un hôtel modeste près de la via Veneto.
Il avait donné le passeport de Dickie et avait passé
la soirée à imiter sa signature pour les chèques
bancaires.
Chaque
instant était un plaisir pour Tom, qu'il fût seul où
qu'il marchât dans les rues de Rome. " Il ne pourrait pas
se sentir seul ou s'ennuyer, se dit-il, aussi longtemps qu'il serait
Dickie Greenleaf. "
Avec
la machine à écrire de Dickie il avait adressé
une lettre à Mr et Mme Greenleaf et une à Marge, il
avait signé Dickie. Quelques jours plus tard il partait pour
Paris en avion. A Orly l'inspecteur des douanes tamponna son passeport
après avoir seulement jeté un coup d'il sur lui;
Tom avait fait légèrement éclaircir ses cheveux,
les avait forcés à onduler un peu, il avait arboré
l'expression vaguement tendue, vaguement soucieuse qu'avait Dickie
sur la photo de son passeport. Son expression même était
maintenant celle de Dickie.
C'était
merveilleux d'être assis dans un café célèbre,
et de penser que demain, et demain et demain encore, il serait Dickie
Greenleaf. C'était la véritable annihilation de son
passé et de lui-même, Tom Ripley, qui appartenait à
son passé, et sa renaissance sous une enveloppe absolument
nouvelle.
Après
son voyage, un matin que Tom faisait ses bagages, on sonna à
la porte. Freddie Miles, un ami de Dickie, entra, tournant de tous
côtés d'un air inquisiteur son vilain visage criblé
de tâches de rousseurs.
- Qu'est-il arrivé à Dickie ?
Freddie arpentait la pièce
- vous habitez ici n'est-ce pas ? Je vois que Dickie vous a couvert
de ses bijoux.
Tom fut incapable de rien trouver à répondre. Puis Freddie
sortit, sur le palier il questionnât la signora Buffi, enfin
il revint sur ses pas. Freddie frappa à la porte. Tom s'empara
d'un lourd cendrier de cristal. Pendant deux secondes encore il se
demanda " Y a-t-il une autre solution ? " mais il était
incapable de réfléchir. C'était la seule solution.
Il ouvrit
la porte de la main gauche. Sa main droite qui tenait le cendrier
était en retrait. Freddie entra " Dites donc, voudriez
vous m'expliquer . ".
Le rebord arrondi du cendrier le frappa au milieu du front. Il frappa
encore et encore. Tom lui assena sur la tête un coup en oblique
et le sang jaillit. Maintenant Tom contemplait le corps massif de
Freddie et il se disait que c'était là un crime bien
stupide, bien dangereux et bien gratuit.
Il attendit
jusqu'à près de 8 heures. En trébuchant il transporta
Freddie jusqu'à la voiture que celui-ci avait garée
devant la maison. Personne ne sortit ni entra par la grande porte
en bas. Il semblait bénéficier d'une sorte de protection
magique et de glisser comme dans un rêve malgré le fardeau
qui pesait sur son épaule. Sur la via Appia il abandonna le
corps de Freddie derrière un fragment de voûte qui devait
être tout ce qui restait d'un tombeau. patricien. Tom remonta
le col de son manteau et hâta le pas.
A midi
il sortit acheter les journaux. Toute la presse parlait de l'affaire.
Tom se sentait déprimé, traqué. Puis la police
était venue le questionner : Dickie était le dernier
à avoir vu Freddie. Le lendemain dans la dernière page
du dernier quotidien du soir il lut : Barca affondata con macchie
di sangue trovata nell'acqua poco profonda vicino a San Remo.
Il lut
l'article rapidement, plus terrorisé que lorsqu'il avait descendu
le corps de Freddie dans l'escalier ou que quand la police était
venue l'interroger. C'était comme un cauchemar qui devenait
réalité.
La police
était maintenant sur les traces de Tom Ripley qui semblait
avoir mystérieusement disparu, Dickie semblait être soupçonné
du meurtre de Freddie et de Ripley. C'était la fin de Dickie
Greenleaf, il le savait. Il était navré de redevenir
Thomas Ripley, navré d'être de nouveau un pauvre type,
de reprendre ses habitudes et de sentir que les gens le regardaient
de haut, qu'il les ennuyait sauf quand il faisait le clown pour eux.
Il était désolé de se retrouver comme il aurait
eu horreur de remettre un complet râpé, sale, mal repassé,
qui n'était déjà pas très réussi
quand il était neuf.
Tom fit
ses bagages et partit pour Venise. Il y était depuis quelques
jours lorsque un article dans un journal avait attiré son attention
: " La police recherche l'américain disparu. Dickie Greenleaf,
l'ami de Freddie Miles assassiné sur la Via Appia, a disparu
après un voyage en Sicile. Tant qu'il ne se serait pas présenté
à la police pour se laver de tout soupçon, on pouvait
considérer qu'il avait les apparences contre lui. La police
de Rome l'avait également convoqué pour répondre
à certaines questions concernant la disparition de Tom Ripley,
depuis sa convocation Mr Greenleaf semblait s'être volatilisé.
"
Tom pensait
qu'il devrait se présenter sans tarder à la police.
Il n'avait pas peur, mais il se disait que se présenter sous
l'identité de Thomas Ripley allait être une des choses
les plus attristantes qu'il eût faites dans sa vie.
Tout se passait comme il avait espéré dans ses moments
de plus fol optimisme : la police n'avait rien contre lui, aucun soupçon.
Tom se sentit soudain innocent et fort. Il avait envie de s'envoler
tant il était content Les idiots ! Dire qu'ils avaient
sans cesse tourné autour du pot, sans jamais deviner.
Et puis,
le matin du 4 avril, il reçut un coup de téléphone
de Marge. Elle était à Venise, à la gare. Tom
l'installa dans sa propre chambre et Marge referma sa porte pour faire
la sieste après le déjeuner.
Tom téléphona
à Mr Greenleaf qui était arrivé à Rome.
Celui-ci se montra plus aimable que Tom ne l'avait escompté.
" Je commence à croire que Dickie est mort. Je ne sais
pas pourquoi mais ces italiens n'ont pas l'air de vouloir admettre
cette possibilité. Ils se comportent comme des amateurs de
vieilles dames jouant aux détectives. Je n'ai jamais considéré
mon fils comme très équilibré, Tom. "
Marge
et Mr Greenleaf avaient accepté la thèse du suicide.
Tom savait que, suicide ou fuite, dans l'un comme dans l'autre cas
la conduite de Dickie paraîtrait également répréhensible
aux yeux de Mr. Greenleaf.
Cher
Mr. Greenleaf,
En faisant ma valise hier, je suis tombé sur une enveloppe
que Richard m'avait remise à Rome et dont j'avais oublié
l'existence. L'enveloppe contenait le testament de Richard, et il
me laisse tout ce qu'il possède.
Je regrette seulement de ne plus avoir pensé à cette
enveloppe car cela nous aurait prouvé depuis bien longtemps
que Dickie avait l'intention d'attenter à ses jours. Que dois-je
faire ? Ma prochaine adresse sera : c/o American Express Athènes
Grèce.
Bien
sûr c'était un peu jouer avec le feu, se dit Tom. Le
risque même qu'il prenait en essayant de mettre le grappin sur
tout ce que possédait Dickie, le danger de l'entreprise l'attirait
irrésistiblement. Il s'ennuyait tant après les mornes
semaines passées à Venise où chaque jour semblait
mieux asseoir sa sécurité et souligner la monotonie
de son existence.
Tom s'embarqua
pour la Grèce. La police attendait sur les quais. Les policiers
les bras croisés, le regardaient s'approcher. Tom esquissa
un faible sourire. Tom se trouvait maintenant presque entre deux policiers,
juste en face du Kiosque, et les deux hommes regardaient toujours
droit devant eux, sans lui prêter la moindre attention.
A l'American
Express il trouva une lettre de Mr Greenleaf
Mon cher Tom,
Comme vous le faites remarquer, ce testament semble hélas !
indiquer que Richard s'est suicidé. C'est une conclusion à
laquelle nous avons fini par nous résigner. Ma femme estime
comme moi que, quoi qu'ait pu faire Richard, nous devons respecter
ses volontés. En ce qui concerne le testament, vous avez donc
mon appui sans réserve. Avec tous nos meilleurs vux.
Etait-ce
une plaisanterie ? Ce n'était pas une farce !C'était
bien à lui ! L'argent de Dickie, la liberté ! Et comme
tout le reste, c'était une double liberté, la sienne
et celle de Dickie.
"
A donda, a donda ? demandait le chauffeur de taxi, essayant de parler
italien.
- A l'hôtel, s'il vous plaît, dit Tom. Il meglio albergo.
Il meglio, il meglio ! "
Commentaires
Ce roman
a été défini par le The Times comme " superbement
amoral " et a reçu le Grand Prix de littérature
policière en 1957.
Patricia
Highsmith écrit : "Si un auteur de romans à suspense
écrit sur des meurtriers et des victimes, ces gens pris dans
le tourbillon vertigineux d'événements terribles, il
doit faire mieux que décrire la brutalité et l'horreur.
Il doit s'intéresser à la justice, à sa présence
dans ce monde et aussi à son absence. Il doit s'intéresser
au bien et au mal, à la lâcheté et au courage.
Il doit s'intéresser à ces forces autrement que pour
faire avancer son intrigue dans la bonne direction. En un mot, ses
personnages inventés doivent paraître réels. "
Tom Ripley
est quelqu'un qui n'a pas réussi sa vie. Depuis qu'il est petit
la malchance est au rendez-vous. Orphelin il a été élevé
par sa tante Dottie qui ne l'aime guère et le traite de fillette.
A 17ans il s'enfouit de la maison et il est ramené, il recommencé
à 20 ans et cette fois il réussit. Et pourtant Tom a
toujours besoin de sa tante et de ses chèques minables. Patricia
Highsmith écrit " Il avait passé tant de temps
à haïr tante Dottie et à chercher comment lui échapper
qu'il n'avait plus eu assez de temps pour devenir adulte ".
Ripley
manque d'identité. Il veut être quelqu'un, même
s'il doit tricher ou voler. Ambitieux, il manque de remords. Très
tôt il éprouve un sentiment d'injustice. Il se sait intelligent
mais il n'arrive pas à mettre à profit ses multiples
talents. Lorsque l'occasion lui est donnée de changer de vie
il sait qu'il recommence à zéro.
Tom Ripley
est malheureux et ressemble à ces psychopathes qui ont des
accents récurrents de dépression et d'hypocondrie, mais
il maîtrise l'aliénation et la dérive. Tom s'ennuie
avec sa propre vie et a une envie explosive de chance et de puissance.
Il occupe une position faible dans le grand jeu de la vie. C'est pourquoi
il se sent justifié lorsqu'il adopte les moyens qu'il considère
nécessaires pour poursuivre son but. Psychologiquement inhumain
dans le sens le plus profond, ses émotions et sa conscience
ont été amputées et remplacées par des
imitations fantômes. Impossible de percer sa façade.
Son identité
sexuelle n'est pas entièrement formée. Patricia Highsmith
fait dire à son personnage " Je n'arrive pas à
décider si je préfère les hommes ou les femmes,
alors je songe à renoncer aux deux. ".
Tom est
également à la recherche d'une famille. En Dickie il
aperçoit le frère qu'il n'a jamais eu. Tom éprouve
tout d'abord pour Dickie Greenleaf une sorte de sentiment mêlé
d'affection et de haine. Mais Dickie est cruel et ne cache pas à
Tom son soulagement de le voir partir et décommande avec désinvolture
des plans qu'ils ont fait ensemble. Lorsque Tom se sent exclu de sa
vie et lorsque Marge et Dickie le laissent peu à peu en dehors
de leurs préparatifs de départ il sent qu'il est tout
seul. Alors un sentiment furieux de jalousie s'empare de lui. Puisque
Dickie ne veut pas partager sa vie avec lui, il va s'emparer de la
sienne et prendre son identité, il va devenir lui-même
Dickie Greenleaf et faire tout ce que fait Dickie.
Il s'identifie
à tel point à Dickie qu'il échange l'expression
timide et un peu affolée de Tom Ripley contre l'assurance,
l'humeur et le tempérament de son ami.
Il répète
soigneusement ce rôle et il a l'impression qu'il a le monde
entier pour public et c'est une impression qui le stimule car la moindre
erreur peut être catastrophique. " Cela donnait à
son existence une atmosphère particulièrement délicieuse
de pureté, un peu comme ce qu'éprouve un bon comédien
quand il joue un rôle important sur une scène, avec la
conviction que personne d'autre ne pourrait mieux que lui le tenir.
Et pourtant
il est seul, et le jeu qu'il joue est un jeu solitaire. Tom ne perd
jamais le sens des réalités. Tandis qu'il fusionne graduellement
avec l'objet de son émulation admirative, il peut toujours
faire la différence. Et alors qu'il assume le nom de son ami,
qu'il porte ses vêtements, encaisse ses chèques, il sait
que ses actes sont illégaux.
Patricia
Highsmith a exploré la psychologie, la culpabilité et
le comportement anormal d'un individu dans un monde sans terre morale
ferme Par un réseau d'observations minutieuses, souvent cruelles,
Patricia Highsmith met en place un scénario étouffé
qui conduit à un dénouement d'une logique implacable.
Le propos est centré sur le comportement et la psychologie
du coupable, vu comme une victime. La violence ne se déclenche
que lorsque la folie gagne le héros menacé de perdre
ses repères.
Mr
Ripley sort en 1955, et ses aventures devaient séduire
des cinéastes comme René Clément (Plein
Soleil en 1956 avec Alain Delon et Marie Laforêt).
Dans cette version la fin est " morale ", car il se fait
prendre, contrairement à ce qui se passe dans le roman. Un
remake de ce succès a été tourné en l'an
2000, Le talentueux Mr. Ripley,
avec Matt Damon et Gwyneth Paltrow. Le film a été dirigé
par Antony Minghella.
Ripley
a inspiré le film de Wim Wenders Friend.(1977)
Biographie
Cet écrivain classé, à son corps
défendant, comme auteur de romans policiers, revendique pour
maîtres Henry James et Dostoïevski. Débouchant souvent
sur le fantastique (L'Amateur d'escargot,
1975, ou Catastrophes, 1987), le récit peut
atteindre l'horreur, comme dans Le Journal
d'Edith (1977) qui relate la lente décomposition
d'une Américaine ordinaire. Ce texte, qu'elle qualifie de "
livre sur le métier de femme", contient une phrase que
Patricia Highsmith a faite sienne : " Ne pense pas, mais avance.
" Autre livre à part, publié sous le pseudonyme
de Claire Morgan, Les Eaux dérobées
(1952) est un plaidoyer en faveur des lesbiennes."
Patricia
Highsmith est une femme d'angoisse et de mystères. La reine
américaine du polar habitait à Locarno, dans le Tessin.
Elle est née Mary Patricia Plangman en 1921, à Fort
Worth dans le Texas. Ses parents, deux créateurs publicitaires,
se sont séparés avant sa naissance. Son père
était de descendance allemande et elle ne l'a rencontré
qu'à l'âge de douze ans, le nom de famille Highsmith
était de son beau père. Sa mère n'étant
pas particulièrement aimante, Patricia est en fait élevée
par sa grand-mère, à New York. Elle manifeste très
tôt de réels talents pour la peinture et la sculpture.
Mais plus que tout, la jeune fille veut écrire. C'est à
cette époque qu'elle commence à écrire des nouvelles.
Elle
étudie à la Julia Richmond Highschool de New York et
obtient sa licence en latin, anglais et grec en 1942. Elle en termine
avec ses études en 1942 pour gagner sa vie, d'abord dans une
agence de publicité, puis comme scénariste de bandes
dessinées.
En 1944,
elle place sa première nouvelle,L'Héroïne,
dans la prestigieuse revue Harper's Bazaar. Puis elle s'attaque avec
acharnement à son premier roman.L'Inconnu
du Nord-Express paraît en 1950, immédiatement
salué par la critique.
Ce récit
a donné la tonalité à ses romans, dans lesquels
deux mondes différents se mêlent et la frontière
entre les personnes normales et anormales est vague et peut-être
inexistante. "N'importe qui peut assassiner. C'est une question
de circonstances, cela n'a rien à voir avec le tempérament!.
Quiconque. Même votre grand-mère ".
Alfred
Hitchcock en acquiert les droits pour le cinéma (le bougre
a caché son nom dans la transaction pour ne payer que 7 500
dollars !) Le succès du film assure la notoriété
à la demoiselle de 29 ans. Le livre et le film sont considérés
classique dans le domaine de suspens.
C'est
lors d'un voyage en Europe en 1951 que naît son futur grand
personnage et double de fiction : Tom Ripley, dandy bisexuel, amateur
d'art et faussaire, criminel cynique mais attirant.
Le cinéma
s'est en tout cas régalé de ses romans d'angoisse et
de ses puzzles psychologiques Wim Wenders adapte Ripley
s'amuse pour L'Ami américain; Michel Deville
(Eaux profondes) et d'autres cinéastes
s'inspirent de ses uvres, Claude Chabrol adapte Le
Cri du Hibou. S'ils sont tous européens, est-ce
parce que cette Américaine est plus appréciée
de ce côté de l'Atlantique, où elle vit depuis
1952 ?
Sous
le pseudonyme de Claire Morgan, elle édite en 1953 Carol,
qui se vend à presque un million d'exemplaires.
Le ton
cruel et mystérieux des romans de l'écrivain américain
a séduit le grand public. Souvent dans ses romans il est question
d'identité, d'effacement et double personnalité. Patricia
Highsmith poursuit la série des Ripley avec notamment Rypley
et les ombres en 1970, Sur
les pas de Ripley en 1980 et Ripley
entre deux eaux en 1991.
A partir
de 1963, Patricia Highsmith parcourt l'Europe, se pose un temps en
Cornouailles, puis en France dans les années 1970. L'écrivain
- admirée par Graham Greene - se retire alors dans une maison
isolée proche de Locarno, dans le canton du Tessin au climat
méditerranéen. Elle poursuit son uvre, vivant
toujours seule car elle ne supporte pas la moindre présence
humaine quand elle écrit (elle se passionne en revanche pour
les animaux), fouillant toujours plus profond les tourments de l'âme
de ses êtres de fiction apparemment ordinaires, mais plus sûrement
effroyables.
Cette
exploration l'intéresse bien plus que les intrigues criminelles.
"Je n'ai aucun goût pour les romans de détection",
rappelait celle qui jamais ne lut Conan Doyle ou Agatha Christie.
Highsmith s'est éteinte le 4 février 1995, à
74 ans. La romancière, qui a publié 22 romans et 7 nouvelles
a légué aux Archives littéraires suisses une
collection de plus de 250 textes inédits.
Dans
l'histoire des femmes, année après année de 1900
à 1989, intitulée le XXe siècle des femmes, Florence
Montreynaud présente l'écrivain américain Patricia
Highsmith dans un article titré "Meurtres
anglais" :
Elle
a réussi à créer son propre univers, un univers
où nous pénétrons chaque fois avec un sentiment
personnel de danger " Graham Greene.
Il y
a en effet un sentiment de menace derrière la plupart des romans
de Highsmith. Parfois ses histoire courtes, puissantes et refroidissantes
laissent percer l'idée que le monde est plus dangereux que
ce qu'on avait imaginé. Russel Harrison a suggéré
que la fiction de Highsmith démontre des éléments
d'existentialisme comme liés à Sartre et à Camus.
Origine
du roman policier
Polar,
suspense, thriller, roman noir à quelques nuances près,
derrière ces appellations se cache un genre bien à part,
et à part entière, de la littérature : celle
dite policière.
Si son
origine remonte à la nuit des temps avec des réminiscences
d'enquêtes dans la tragédie grecque et les légendes
arabes, et bien plus tard dans le Zadig de Voltaire, la naissance
du genre date du milieu du XIXe siècle, dans le sillage du
roman gothique et des romans-feuilletons.
L'invention
de la littérature policière est attribuée à
Edgar Allan Poe aux États-Unis, tandis qu'à la même
époque, en France, les uvres d'Alexandre Dumas, Paul
Féval, Victor Hugo, Eugène Sue et, bien sûr, Honoré
de Balzac et Émile Gaboriau, font figure de référence
pour annoncer l'effort d'une littérature qui emprunte aux faits
divers d'une société en ébullition.
Littérature
populaire par excellence, elle s'est considérablement développée
en un siècle et demi et nous laisse aujourd'hui une abondante
bibliothèque noire où les noms de Sherlock Holmes (A.
Conan Doyle) et de Philip Marlowe (R. Chandler), d'Hercule Poirot
(A. Christie) et de Fantômas (M. Allain et P. Souvestre), d'Arsène
Lupin (M. Leblanc) et de Nestor Burma (L. Malet), de Sam Spade (D.
Hammet) et de Jules Maigret (G. Simenon) jusqu'aux héros contemporains
du néo-polar.
Edgar Allan Poe (1809-1849), poète, journaliste et écrivain
américain, a été découvert en France grâce
aux traductions de Baudelaire et de Mallarmé. Il publie ses
premiers contes dans The Courrier à partir de 1832 et devient
critique et rédacteur, puis directeur pour plusieurs journaux.
En avril 1841, il fait paraître dans le Graham's Magazine de
Philadelphie une nouvelle intitulée Double assassinat dans
le rue Morgue dont chacun s'accorde à dire qu'il s'agit du
premier récit de détection criminelle mettant en scène,
avec le Chevalier Dupin, le premier archétype du détective
privé amateur. Un Sherlock Holmes avant la lettre !
Mais
c'est en France qu'Edgar Poe a trouvé ses influences en s'inspirant
du personnage de Vidocq (ancien bagnard devenu chef de la Sûreté
à partir de 1811) et des récits d'Honoré de Balzac
(1799-1850), s'appuyant eux-mêmes sur les mémoires de
Vidocq (parues en 1828). Dès le Père Goriot (1833),
en effet, c'est sous son nom de Vautrin que Vidocq apparaît
dans l'uvre de Balzac.
Edgar
Poe, lui, en nommant son héros Charles-Auguste Dupin, puise
également dans l'histoire réelle de Vidocq en lui empruntant
le nom d'un mathématicien français cité par le
chef de la Police dans ses "mémoires".
1841
est également l'année où Balzac publie, dès
le mois de janvier, en feuilleton dans le journal Le Commerce, Une
ténébreuse affaire. Ce récit, pour autant peu
considéré comme le premier du genre, est donc antérieur
au Double assassinat. Laissons les exégètes se disputer
sur la paternité du polar pour n'en retenir qu'une seule certitude
: le genre est bien né en l'an 1841, parallèlement sur
l'Ancien et le Nouveau Continent !
Dès
lors l'exercice de style intéresse de nombreux écrivains
du XIXe, à commencer par Émile Gaboriau (1832-1873)
qui le développera comme un genre à part entière.
Pour la petite histoire, Gaboriau avait été dans sa
jeunesse le secrétaire de Paul Féval (auteur des romans
de cape et d'épée Le Bossu, Les Habits noirs ).
Le Crime d'Orcival, Le Dossier 113, La Corde au cou, mettent en scène
l'inspecteur Lecocq, premier policier de la littérature policière
à utiliser la déduction logique et l'examen des indices,
avec moulage d'empreintes, élaboration des plans des lieux
du crime Le véritable enquêteur est né.
Tout
est fait alors pour annoncer la naissance du génie de l'intuition
et de la déduction : Sherlock Holmes. Arthur Conan Doyle (1859-1930),
médecin et romancier écossais, invente son célèbre
détective en 1887 avec Une étude en rouge, roman publié,
comme il était coutume à l'époque, en feuilleton
dans un journal.
Après
quelques aventures et seulement six années d'existence, Conan
Doyle décide de faire mourir son héros dans Le Dernier
problème (1893), mais il est contraint de le ressusciter dix
ans plus tard (avec La Maison vide, 1903), les lecteurs anglais ayant
considéré cette mort prématurée comme
une catastrophe nationale !
Gaston
Leroux (1838-1927) et son fameux reporter-détective Rouletabille
illustre brillamment le propos avec Le Mystère de la chambre
jaune (1907) et Le Parfum de la dame en noir (1909).
Mais
c'est surtout Agatha Christie (1890-1976) qui a porté l'exercice
jusqu'à en faire une spécialité anglaise.
Avec
elle, le roman policier devient un jeu cérébral dans
lequel le lecteur est appelé à participer. À
lui de décortiquer l'intrigue et de relever les moindres indices
afin de découvrir la clef de l'énigme avant le terme
de l'ouvrage.
À
la même époque, Arsène Lupin, sous la plume de
Maurice Leblanc (1864-1941), séduit avec sa personnalité
de gentleman cambrioleur, narguant la police et détroussant
les riches, tout en dénouant des intrigues à la place
de la Justice.
Il déchiffre
avec une extrême aisance les messages codés et excelle
dans l'art du déguisement et des intrusions les plus discrètes.
Ses méfaits sont toujours pleins d'inventivité et ne
manquent jamais d'élégance.
En 1911,
deux journalistes sportifs, Pierre Souvestre et Marcel Allain, vont
créer un anti-Lupin : Fantômas, le génie du mal,
qui deviendra très vite populaire jusqu'à connaître
un succès sans précédent et qui séduira
les milieux littéraires. Apollinaire, Cendras, Cocteau, Artaud,
et plus tard Queneau, furent des inconditionnels.
Les premières
années du XXe siècle sont décidément riches
en événements littéraires pour l'essor du roman
policier. En 1927, Albert Pigasse crée la collection Le Masque
-première collection policière française- en
commençant par traduire les romans d'A. Christie.
Comme
en France avec les romans-feuilletons, les États-Unis ont connu
leurs publications de romans populaires avec les dime-novels, fascicules
vendus au prix unique de 10 cents, soit un dime, qui proposaient chaque
semaine un récit d'aventure.
Les dime-novels
sont les ancêtres des fameux pulps qui apparaissent au début
des années 1920. C'est au sein de ces magazines aux couvertures
aguichantes, et plus particulièrement du pulp Black Mask que
va émerger, dans un climat social propice, l'école du
roman noir américain, avec Dashiell Hammet pour père
fondateur.
Hammett
inaugure une longue série de détectives légendaires,
comme ce sera le cas plus tard dans Le Faucon de Malte avec Sam Spade.
Raymond Chandler (1888-1959), lui aussi issu de Black Mask, publie
son premier roman en 1939, Le Grand sommeil, avec l'apparition du
détective Philip Marlowe.
L'Amérique
des années 20 à 40 est celle de la crise, de la Prohibition,
de la corruption, des gangsters, de la violence au quotidien. C'est
dans ce climat sordide et cynique que le roman noir ne pose plus ou
peu la question " Qui a tué ? " mais plutôt
celle de savoir pourquoi y a-t-il eu un meurtre.
Comme
aux États-Unis une vingtaine d'années plus tôt,
c'est bien évidemment le contexte politico-social qui inspire
l'évolution de la littérature policière, du genre
" à énigme " à celui de " roman
noir ".
Au cours
de la période sombre de l'Occupation, un jeune homme de 34
ans, issu du mouvement des surréalistes, publie 120, rue de
la Gare. Avec cette première aventure de Nestor Burma, Léo
Malet (1909-1996) ouvrait alors la porte d'une nouvelle forme d'enquête
policière, davantage ancrée dans la réalité
brute.
Après
la Libération, en 1945, Marcel Duhamel -un autre surréaliste
! - crée la Série Noire aux éditions Gallimard
pour traduire des auteurs anglo-saxons.).
Dans
les années 50, des auteurs tels que Albert Simonin, Auguste
Le Breton ou encore José Giovanni, amènent au roman
noir le langage argotique emprunté au " milieu ",
lequel est abondamment présent dans leurs uvres.
C'est
la grande époque des malfrats et des tractions-avant, des casses
et des évasions, celle de Touchez pas au grisbi !, Le Cave
se rebiffe, Le Rouge set mis, Du rififi chez les hommes, Razzia sur
la chnouf, Le Trou, Le Doulos qui inspirent aussi le cinéma
de l'époque.
Enfin,
on ne peut pas parler de littérature policière francophone
sans évoquer le Belge Georges Simenon (1903-1989) dont le nom,
ainsi que celui de son commissaire Maigret restent, dans la mémoire
populaire, indissociablement liés au polar, au sens générique
du terme.
De même,
l'inclassable Frédéric Dard et son personnage fétiche
San-Antonio tient une place à part dans le paysage de la littérature
policière. Créée en 1952 avec Réglez lui
son compte en pastichant les polars de Peter Cheyney, la série
devient vite très populaire et compte aujourd'hui plus de 150
titres. En marge de la série San-Antonio, Frédéric
Dard est également l'auteur de quelques excellents titres dans
la veine du roman noir (Les Salauds vont en enfer, Coma, Le Bourreau
pleure ).
C'est
au début des années 70 qu'apparaît le néo-polar
avec pour chef de file Jean-Patrick Manchette (1942-1995).
Dans
les années 68 le roman noir devient politiquement militant
et socialement engagé.
Dès
le début du cinéma la littérature policière
a inspiré les tourneurs de manivelle et l'histoire du septième
art a toujours suivi l'évolution du genre dans chacune de ses
époques.
Aux États-Unis
également les nouveaux cinéastes empruntent à
la richesse de la production littéraire du genre. La liste
est longue et en constante évolution, prouvant bien que la
littérature policière et cinéma font bon ménage.
Vidéos
Adaptation
cinématographique
Plein
Soleil est un film réalisé par
René Clément, sorti sur les écrans le 10
mars 1960 d'après le roman de Patricia Highsmith The Talented
Mr. Ripley
Alain
Delon : Tom Ripley/Philippe Greenleaf Maurice Ronet : Philippe Greenleaf Marie Laforêt : Marge Duval
Musique : Nino Rota
Le Talentueux
Mr Ripley (The Talented Mr. Ripley) est un film américain
réalisé par Anthony Minghella, sorti en 1999.
Quarante ans après le film de René Clément,
avec Alain Delon, Anthony Minghella adapte le roman de Patricia Highsmith,
Mr Ripley, plus connu en France sous le nom de Plein soleil. Au final,
on retrouve un thriller machiavélique avec le trio Matt Damon,
Jude Law et Gwyneth Paltrow, ainsi qu'une bande originale exceptionnelle
emmenée par les plus grands noms du jazz. A noter également
que l'adaptation de Minghella est plus proche du roman d'Highsmith,
notamment en ce qui concerne l'ambiguïté de l'orientation
sexuelle du personnage joué par Matt Damon.
Musique
: Gabriel Yared
Matt
Damon : Tom Ripley Gwyneth Paltrow : Marge Sherwood Jude Law : Dickie Greenleaf