Claude RIZZO

"Le Maltais de Bab el-Khadra"

 




S
ynopsis


Au début des années cinquante, le petit Gaëtan Vella a 8 ans. Il est le fils d' Esperanza Mifsud et de Rosaire Vella. A la mort prématurée de sa mère, Gaëtan est recueilli et élevé par sa tante Jousa, la femme de Camille Vella. Lorsque son père se remarie avec Nina, il est enlevé à Jousa et à sa cousine Gracieuse, pour Gaëtan c'est le déchirement.

L'image de sa mère le réconforte, elle représente à ses yeux un ange du ciel, elle est parée de toutes les vertus. Il ne peut l'imaginer comme les autres femmes du quartier. Sa marâtre par contre semble incarner le mal absolu.

Gaëtan se destine au métier de patron-Karrozin (cocher). Lorsque tante Jousa le confie à Ménouna, sa maîtresse du soir, dit-il à ses copains, Gaëtan comprend l'importance de l'instruction. Le désir d'honorer sa mère le soutiendra dans ses efforts pour la conquête du savoir et les années de travail finiront par porter leurs fruits.

Ménouna est une vieille fille qui sent le tabac et la lavande. Le ciel lui a jadis accordé un présent inestimable : une mère cultivée. Ménouna cache un secret : un fiancé, Antoine, qui est mort dans les Balkans, dans une guerre oubliée. A la suite de ce grand chagrin Ménouna est entrée au couvent des Carmélites où elle y a vécu une part de sa vie comme chaperon du couvent.

Ménouna veut armer cet enfant pour la vie, le rendre fort, afin qu'il domine un destin peu disposé à lui accorder son meilleur profil. Tueuse de légende, elle lui ouvre les yeux sur la réalité et sur les différends qui opposent Jousa et sa belle-sœur Nina. Elle finira par rapprocher Gaëtan de sa marâtre et sa demi-sœur Rosette, en choisissant Jousa comme marraine pour sa confirmation, réconciliera les familles.

Avec Ménouna, Gaëtan apprend que ses ancêtres ont immigré à Tunis à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, bien avant l'arrivée des Français et l'établissement du protectorat. Le soir après le travail, Ménouna le gratifie d'une page de l'histoire de Malte et de ses chevaliers, leur héroïsme le touche dans sa chair.

Un jour, " la ville des lendemains assurés " découvre la violence, les grèves, les manifestations et les attentats. La Tunisie pacifique et fraternelle a changé de visage. Une grande tristesse tombe sur la ville.

Mais finalement Tunisiens et Français unissent leurs forces pour gérer au mieux le pays. Des siècles de paix s'ouvrent devant lui.

Lorsque Dieu rappelle à lui tante Ménouna, Gaëtan se sent orphelin pour la seconde fois et cependant, fort des connaissance acquises il est désormais prêt à affronter les difficultés que l'avenir lui réserve.

Résumé

(Afin de mieux préserver le style de l'auteur et de restituer l'originalité et la vivacité de son ton, la précision de son vocabulaire, ce texte a été conçu à partir d'extraits du roman. Ce résumé n'est qu'un fugitif aperçu du talent de Claude Rizzo et ne prétend en aucun cas se substituer à la lecture du texte intégral qui seule rend hommage à l'écrivain ).

Le match du jour, comme tous les jeudis, allait opposer le clan de la Petite Sicile aux Maltais de la place de Bab el-Khadra. La rencontre aurait lieu sur une terre maltaise, bien que le quartier comptât de nombreux Italiens. Mais l'église du Sacré-Cœur, gérée par les Maltais, amenait la preuve que l'on se trouvait chez ces derniers.

Aucun des membres du clan ne se distinguait à l'école. Leurs parents ne se traumatisaient pas pour si peu. Tous auraient leur avenir assuré, en reprenant la calèche du père, le commerce de paille et d'avoine dans le cas de Tony Zammit, ou en continuant le métier de maréchal-ferrant pratiqué par les Xuereb de la rue Chanzy. Et lui, le chef de bande Gaétan Vella, trouverait bien à s'occuper avec son oncle Camille, dans l'élevage et l'entraînement des chevaux de course. Il pourrait aussi récupérer la karrozzin qui dormait sous sa bâche, au fond de l'écurie.

Zia Jousa, la sœur de sa pauvre mère, avait eu une drôle d'idée en allant voir tante Ménouna de faire un peu travailler Gaëtan, de contrôler ses devoirs et ses leçons. Une démarche qu'ici personne n'aurait pu comprendre.

Contre toute attente, Ménouna avait accepté de s'occuper de Gaëtan et elle l'attendait en fin d'après-midi pour leur première séance. Comment un chef pouvait-il raconter à sa bande qu'il paniquait à l'idée de se retrouver devant une femme d'un mètre cinquante-cinq ?

Le cinéma était entré dans leur vie. Bousculant la hiérarchie, il occupait désormais la première place au plus haut des passions. Même le foot ne possédait plus la même saveur. Mais le cinéma, le vrai, avec un écran géant, en technicolor, coûtait les yeux de la tête. L'assemblée générale se donnait une autre ambition ce jeudi-là : trouver les moyens de se payer ce plaisir le plus souvent possible, et pourquoi pas tous les dimanches.

- Bon je sais comment on va trouver l'argent qu'on a besoin. On va le trouver en travaillant. En récupérant des sous pour tous les services qu'on exige tout le temps de nous, et que nous on rend à l'œil, sans presque rien obtenir en échange.

L'assemblée avait bien travaillé. Stratégie arrêtée, tarifs établis en fonction du pouvoir d'achat de la clientèle, la bande pouvait à nouveau penser aux plaisir. Et Gaëtan se rendit chez Ménouna.

Pour Gaëtan, l'ouverture d'un livre figurait parmi les événements ennuyeux de l'existence. Ce soir-là Tante Ménouna mit de côté devoirs et leçons.

Pour leur première séance, il n'y aurait que lecture au menu. Et l'on entra de plain-pied dans Walter Scott.

Deux portes, séparées par le minaret de la mosquée, se tenaient compagnie. La plus grande, située à gauche, avait mérité son nom. Bab el-Khadra : la porte verte. Les habitants de Bab el-Khadra, Tunisiens par leurs papiers, Arabes, Français ou Maltais par le cœur - nul ne reniait sa double appartenance - étaient fiers de leurs deux portes pars lesquelles on accédait aux vieux quartiers, témoins de l'histoire, avec leurs ruelles qui dévoilaient l'influence arabe, turque et andalouse.

Comme prévu, la bande et sa brouette, peinte en bleu roi grâce à un troc avec Spiteri le carrossier, se dirigèrent vers le quartier de la Médina où les fruits et le légumes étaient plus avantageux. On en était pas encore au cinéma pour tous, chaque dimanche. Mais la bande comptabilisait malgré tout une poignée de péplums italiens et quelques films de " coverboys " de série B.

Sa seule paire de souliers, des espadrilles en toile à semelles d'alpha, avait rendu l'âme voilà quelques semaines. Gaëtan détestait les histoires ; aussi, en secret, découpait-il des morceaux de carton qui lui servaient de semelles de rechange.

Tante Jousa s'en était rendu compte et invectivait la seconde épouse de son beau-frère, Rosaire Vella. Celle du haut était la fautive, pour les chaussures du petit, pour la pauvreté de sa famille, pour l'air qu'elle respirait, et surtout pour se prélasser dans les draps d'Esperanza. Que Dieu la conserve en son paradis.

Gaëtan pensait qu'il n'existait pas pour sa marâtre, qu'il n'existait plus pour son père. Il en voulait au monde entier les jours où l'humiliation le désignait du doigt. Gaëtan devait mélanger ses rêves de bonheur et une réalité avare de ses bienfaits depuis la mort de sa mère. Gaëtan savait que Zia Jousa l'aimait beaucoup. Mais sa tante, tel un grand arbre, le protégeait des tempêtes du haut de sa rudesse et de sa fermeté.

Le départ de sa cousine, l'aînée des Vella, le privait de sa seule confidente. Gracieuse s'était mariée, elle vivait à présent à Ferryville, au bout du monde, à soixante kilomètres de Tunis.

Mais le spectacle de la place de Bab el-Khadra, la foule, le vacarme, les odeurs de bombalonis et de ftaïri lui faisaient oublier sa solitude. Il avait un quartier, une bande. Il appartenait à une communauté. Gaëtan n'était pas seul.

Gaëtan ferma le livre. Le chapitre à son terme, il sortait épuisé du combat qui chaque soir l'opposait à Ivanhoé.

- La lecture a ceci de commun avec le sport : elle exige un long entraînement avant d'engendrer un champion, lui disait Ménouna.

Mais Gaëtan Vella le savait, le livre et lui n'étaient pas appelés à vivre un long mariage.

Le souvenir de sa mère représentait la seule richesse de cet enfant. Un jour tante Ménouna lui apprit que sa mère affectionnait les livres. Gaëtan avait observé la bibliothèque d'un œil nouveau, faisant un effort pour tenter de comprendre le plaisir que l'on pouvait tirer de ces objets ennuyeux, surtout quand il fallait déchiffrer, et que ce n'était plus tante Menouna qui les lisait.

- Tu tiens à honorer la mémoire de ta mère, reprend donc son rêve à ton compte, deviens un bon élève à l'école, distingue-toi par ton travail et ton sérieux.

Six mois de travail avec tante Menouna vous changent un Maltais de Bab el-Khadra en profondeur. A chacun son destin. Le sien désormais, était de devenir un bon élève au CE2 ; et ça, il le voulait surtout pour sa mère.

Sa seconde ambition s'attachait à la qualité et à la réputation de leur petit commerce. Gaëtan y puisait un orgueil, une reconnaissance qui le vengeaient des vexations quotidiennes que connaissent les orphelins : celles de ne pas disposer d'un siège de titulaire dans la distribution légale des tendresses.

Chaque soir, Ménouna s'installait dans son fauteuil, posait la boîte à tabac sur ses genoux, croisait les bras et l'écoutait. Et lui devait raconter sa page de lecture, la suite de l'histoire.

Gaëtan ne s'attardait jamais une minute de trop auprès de son père et de Nina. Repas expédié, il retrouvait son salon de lecture et de travail : la table libre et la mieux éclairée du café maure de M. Boualeg.

Pendant ce temps les accords de protectorat signés avec la France en 1881, n'avaient pas mis fin à l'Etat tunisien. Au début de ces années cinquante, dans le grand mouvement de réveil des nationalités, la contestation était entrée dans une phase active. L'étoile de Bourghiba montait un peu chaque jour.

Gaëtan aurait préféré avoir un demi-frère. Mais la bonne Vierge en décida autrement. Ce fut une fille.

La vieille tante vivait depuis trop longtemps loin des réalités, enfermée dans son monde, entre le couvent et ses tas de livres qui l'étoffaient. Comment pouvait-elle suggérer à Gaëtan d'établir une relation avec sa marâtre ? Aucun événement, désormais ne pouvait changer le destin d'une famille détruite par la mort de la mère. Un autre bonheur, autour d'une étrangère s'était installé au premier étage de l'immeuble des Vella. On avait oublié de lui réserver une place de titulaire sous ce toit qui avait été le sien.

Tante Menouna disposait d'une autre version des faits et lui raconta l'arrivée de Nina à Bab el-Khadra, la guerre ouverte entre Jousa et la jeune épouse qui s'installa dès les premiers jours, et lui, Gaëtan, au centre de la bataille, chacune le voulant dans son camp.

Mais Nina n'était pas sa mère et jamais elle ne pourrait se battre contre une morte, jamais elle ne pourrait rivaliser avec Jousa, ni l'affronter en ayant le moindre espoir de sortir victorieuse du combat.

Le dictionnaire n'avait sans doute jamais servi, pourtant, il ne dégageait pas l'odeur du neuf, comme un ouvrage qui sort de la librairie Saliba.
Gaëtan resta devant le paquet, sans oser le toucher

- C'est le premier cadeau que je reçois depuis la mort de ma mère -

-- Nous sommes quitte mon petit, c'et le premier cadeau que je fais depuis la mort de la mienne, lui répondit Menouna.

En ce début d'année scolaire on ne vit jamais Gaëtan Vella dans le peloton menant au tableau d'honneur. Juste la moyenne, arrachée dans la souffrance à une hérédité qui l'avait programmé pour devenir patron-karrozin.

Puis ce fut le premier sept sur dix de sa scolarité. Gaëtan courut au cimetière, l'annonça à sa mère, à tous les morts de la famille par la même galopade. Il le raconta à ses copains, ses cousins, au boucher et aux marchands de légumes de la rue de la Verdure. Quelques félicitations, mais aucune médaille en retour. Les sept de moyenne n'ont jamais occupé le haut de la cotation à la Bourse de Bab el-Khadra.

Ménouna décida d'offrir à son élève le premier chapitre de l'épopée des fameux Chevaliers de Malte. Ménouna ouvrit son atlas, posa le doigt au beau milieu de la Méditerranée, où deux points minuscules se perdaient entre Italie et Libye, puis annonça, d'un ton emphatique :

- Voici Malte et Gozo, terre de tes ancêtres.

Depuis plusieurs mois la situation s'était durcie. L'échec des négociations en cours précipitait le pays dans l'épreuve de force. On ne parlait plus que de terrorisme et de contre-terrorisme. Les attentas reprirent de plus belle.

La volonté de Menouna, le désir d'honorer sa mère avaient porté Gaëtan durant toutes ces années. Les bonnes notes, ces douces caresses sur l'amour-propre, avaient aussi joué leur rôle dans sa conquête de l'instruction. Dans quelques mois il entrerait au lycée. Cette pensée l'exaltait et l'effrayait à la fois. Une nouvelle compétition se préparait. Un match à jouer contre une majorité de métropolitains. Et le métropolitain ne montrait aucune compassion à l'endroit du français indigène.

Il le dominait de son savoir, lui faisait mesurer dans l'humiliation la distance qui séparait un rejeton de Bab el-Khadra d'un fils de directeur des Postes, lui enseignait dans le camouflet quotidien ce que signifiait " carences culturelles ".

Gaëtan s'était classé douzième aux dernières compositions. Il partirait à Ferryville à la fin de la semaine suivante. Leur première séparation depuis quatre ans.

Quatre années durant lesquelles tante Menouna et son élève avaient travaillé ensemble tous les jours réservés aux hommes, ceux n'appartenant pas au Bon Dieu ou à ses saints.

Tante Menouna avait promis à Gaëtan qu'à son retour elle lui révélerait le contenu de sa fameuse boîte à chaussures. Menouna lui avait raconté comment un jour, dans un mur de l'écurie, en faisant des travaux, le mari de Jousa avait trouvé une malle dans laquelle parmi les livres de prières, les certificats de baptême et de mariage, des titres de propriété divers, elle avait découvert un vrai trésor : une histoire de la famille, écrite par plusieurs mains, qui commençait au XIVe siècle.

L'histoire des chevaliers touchait Gaëtan à ses fibres, à son sang.

A Ferryville Gaëtan découvrit la ville la plus française de toute l'Afrique du Nord. Ferryville comptait bien plus de communautés que Bab el-Khadra, mais ici les

Indochinoises se mettaient des jupes comme tout le monde, les Juifs n'avaient pas de barbe et les Arabes s'habillaient sans burnous ni chéchia. A Ferryville, on ne trouvait qu'une seule espèce, qui avait oublié ses racines et se la jouait à la métropolitaine.

Gaëtan se fit de nouveaux copains et copines dont l'une s'appelait Véronique. Aux premiers regards, se fiant à son instinct de chasseur de belles, Gaëtan eut l'impression que Véronique le trouvait à son goût. Lui n'avait jamais croisé de rouquine aussi flamboyante. Ainsi l'exotisme aidant, il la trouva irrésistible.

Gaëtan avait, en quelques jours, effacé tous ses complexes " métropolitains ". Une découverte considérable, que Gaëtan analysa ainsi : si l'on peut s'amuser, rire avec des Français de France, et embrasser une de leur bande, une qui arrive en droite ligne de Normandie, alors tante Menouna a raison, leur supériorité n'est que le fruit de mon imagination. Et Gaëtan se sentit de taille à affronter tous les métropolitains de la terre.

Le jour de la fête des apprentis, Gaëtan se rendait au premier rendez-vous sensuel lorsque la rafale, claire, proche, suivie d'un sifflement avait donné à la fuite générale un air de panique. Les ultra-nationalistes avaient frappé au cœur du symbole. Sept morts, plusieurs dizaines de blessés, alors que le traité d'autonomie interne laissait entrevoir la sortie du tunnel. Salah Ben Youssef et sa triste compagnie voulaient l'indépendance totale, sans délai, et poursuivaient la lutte armée à cette fin.

On enterra les victimes. La population européenne se retrouva au grand complet. Les Arabes s'étaient enfermés à double tour. La majorité d'entre eux condamnaient l'attentat, se montraient hostiles à toute idée d'indépendance. Mais qu'importe. Depuis quelques jours, mieux valait ne pas être arabe à Ferryville.

Une grande tristesse tomba sur la ville. On ne s'embrassait plus à Ferryville depuis le drame. Gaëtan espérait, en égoïste, que l'interdit serait levé avant la fin de son séjour.

En rentrant ce soir-là il se rendit compte que sa cousine avait pleuré. Gracieuse avait une âme de loukoum. La tragédie la secouait un peu plus que de raison. Puis elle finit par lui annoncer que Dieu avait rappelé à lui tante Ménouna.

Cette nuit-là Gaëtan avait pleuré autant qu'il l'avait pu. Orphelin pour la seconde fois il ne pouvait imaginer la vie sans la vieille tante, privé de sa présence, de ses conseils. Son destin semblait peint en noir, toujours en noir. Il reprit le car le lendemain matin. Jousa lui avait annoncé que Ménouna lui avait laissé tout ce qu'elle possédait, l'écurie, l'appartement avec ses meubles et ses livres.

La boîte, la fameuse boîte à chaussures avait disparu. Tante Jouse croyant bien faire avait fait le ménage dans l'appartement. Les vieux papiers, partis à la poubelle, condamnés par la sottise et le peu de culture de tout un quartier. Il était écrit que l'histoire des Vella garderait ses mystères et la vieille tante ne lui raconterait jamais la fin de l'épopée des chevaliers de Malte.

Ménouna lui avait laissé une longue lettre qui se terminait par ces mots : mon véritable héritage, tu le sais, se trouve ailleurs. Je suis certaine que tu en prendras soin et le feras fructifier. Je suis sûre qu'il produira d'autres richesses, bien plus valorisantes qu'une écurie insignifiante et un minuscule appartement. Je te laisse également une mission : tu iras à la recherche de notre passé à retrouver nos racines, à établir des liens avec notre parenté vivant encore à Malte. Que la grâce de Dieu t'accompagne.

Gaëtan se disait qu'il entrerait au lycée comme un champion dans la compétition. Esperanza et la vielle tante parleraient de lui avec la vanités des mères juives. Il se battrait avec plus de fougue encore que les années passées, et surprendrait ainsi tous ceux qui habitaient son paradis.

Bientôt l'autonomie de la Tunisie fut définitivement acquise. Et la fraternité, un instant écorchée, avait retrouvé ses jambes de vingt ans. Tunisiens et Français uniraient leurs forces pour gérer au mieux le pays.

Avec les premiers signes de convalescence, Gaëtan retrouva l'image de Véronique. Quand Carmelo lui apporta la lettre ; Gaëtan se trouvait dans l'écurie de Ménouna, entouré par ses copains.

Véronique lui annonçait qu'elle l'attendait pour Noël. Il était riche. On l'aimait. Il était amoureux. Alors Gaëtan Vella, Maltais de Bab el-Khadra, orphelin par la grâce de Dieu, décida d'être heureux.

- Bon les gars, on se remet sérieusement au travail. Dimanche on passe Ben Hur au Parnasse. Et ce n'est pas le moment de rater un film pareil, dit-il en retrouvant sa bande.

Commentaires

Avec une simplicité du propos et une grande chaleur humaine, Claude Rizzo nous raconte l'histoire de Gaëtan. Avec courage et détermination, l'enfant, pauvre et orphelin subit les humiliations et les vexations quotidiennes auxquelles l'hérédité semble l'avoir condamné.

Alors qu'il pleure une mère dont il n'a qu'un vague souvenir, oublié par son père et nourrissant envers sa marâtre des sentiments hostiles, Gaëtan semble condamné à un destin peint en noir.

Mais malgré sa solitude apparente Gaëtan n'est pas vraiment malheureux, il a son quartier, il a sa bande, le cinéma et le petit commerce qui lui procurent les gratifications simples auxquelles il aspire. Il n'en demande pas plus.

Gaëtan est un enfant de l'Afrique par sa naissance, un gosse de Malte par son sang et sa race, un fils de France par la volonté de Dieu.

Lorsqu'il fait la connaissance de tante Ménouna ses carences culturelles sont considérables. Mais Ménouna a décelé chez l'enfant l'intelligence et la sensibilité.

Ménouna va tout lui apprendre : le goût de la lecture, de l'histoire, le goût de l'effort qui va le diriger vers un destin pour lequel il n'était pas programmé.

Elle lui enseigne également à ne pas avoir honte de ses ancêtres poussés à l'exil par la misère, à ne pas avoir honte de son quartier, de sa pauvreté et de sa rusticité et surtout pas de sa famille. Elle lui cite les paroles de la Bible " Quand tu renieras tes parents, je te rappelle qu'ils sont les racines de ta vie ".

Et pour conclure le véritable héritage que lui laissera sa tante Ménouna, l'immense richesse à laquelle elle l'aura préparé, se trouve être celui de son éducation.

Le roman nous plonge au cœur même de la vie à Tunis. L'auteur nous révèle les mœurs, les conditions humaines, les pratiques religieuses de Bab el-Khadra où les diverses communautés vivent en harmonie et partagent leurs rites et leur indigence. Ainsi on voit comment " à l'occasion de L'Aïd al Kebir ou de l'Achoura, pour Pessah et le Kippour, quand arrivait Noël ou Pâques, selon que vous portiez la main de Fatima, l'étoile de David ou la croix en pendentif, vous receviez un gigot de l'agneau

du sacrifice, un plat de couscous, une douzaine de bragiolis, une assiette de pâtisseries orientales. […]

Bab el-Khadra semble vivre dans la paix et le respect d'autrui. Le même Dieu semble les regarder de là-haut, tout le monde en est convaincu.

Clochers, synagogues et minarets se côtoient. Fêtes arabes, juives et chrétiennes se succèdent.

Il monte de cet ouvrage des odeurs de cuisine. Fiançailles, mariages, communions, ceux de la famille comme les réjouissances des voisins donnent lieu à des ripailles qui n'en finissent plus. Toujours plats maltais, juifs, tunisiens, les spécialités de toutes les communautés se trouvent rassemblées sur une grande table.

Le cadre est vivant et des moments d'histoire surgissent devant nous à un détour d'une rue, d'une place, d'une porte de Tunis. L'époque des années cinquante sur fond de contestations politiques fait revivre les moments de tension qui ont amené la Tunisie vers son autonomie.

Et nous revivons les évènements de cette période difficile à travers le regard neutre et innocent d'un enfant de 8 ans.

Histoire, atmosphère de l'époque, mœurs et langage pittoresque nous plongent au cœur d'une vie foisonnante, tour à tour tragique et comique.

Actuellement Claude Rizzo écrit l'adaptation du Maltais de Bab el-Khadra car une société de production voudrait en tirer un film.

 

Biographie

Claude Rizzo est né à Tunis le 8 juillet 1943, sur la place de Bab el-Khadra, où il vit jusqu'à l'âge de 18 ans. Sa famille maltaise, installée en Tunisie depuis quatre générations, est arrivée bien avant l'instauration du Protectorat. Comme bien des Maltais, ses parents étaient cochers et habitaient au-dessus de l'écurie.

Il fréquente l'école de la rue Hoche, le lycée de Mutuelleville, puis le lycée Carnot à Tunis.

En 1961 il obtient le bac. La famille quitte la Tunisie. Il fait ensuite des Études de lettres à Aix-en-Provence.

Il enseigne dans les Bouches-du-Rhône, durant quatre ans.

En 1966, Il épouse à Marseille la petite-fille du boulanger de Laveline-du-Houx, Christiane Claudel, enseignante elle aussi. Depuis, il passe chaque année le mois d'août dans les Vosges.

Il quitte l'enseignement pour diriger une entreprise, avant de créer en 1976 une société spécialisée dans le bâtiment, à Nice.


En 1996, il vend sa société et se consacre désormais à l'écriture, chez lui, à Nice. Et l'écriture, qui n'était qu'une occupation de vacances (toujours dans les Vosges), est devenue son nouveau métier. Bien qu'ils transportent les lecteurs sous des cieux différents, ses romans plaident toujours pour les mêmes causes : la fraternité, la générosité, l'amitié entre les hommes et le combat contre l'ignorance et sa fille aînée - l'intolérance. Il donne également des conférences et participe à des actions sociales tournant autour de la lecture et de l'écriture.


Claude Rizzo a également publié les romans :
Au temps du jasmin chez Michel Lafon
Et les arbres chuchotaient chez France Europe Editions
Je croyais que tout était fini chez Michel Lafon


La Tunisie et son histoire

La population primitive est formée de berbères, nomades ou sédentaires. Point de croisement de la seule route terrestre unissant l'Egypte au Magreb occidental et des piste caravanières conduisant au Sahara, la Tunisie attire successivement des populations diverses venue généralement de la mer.

A la fin du IIe millénaire, les Phéniciens s'installent et au IXe ou au VIIIe siècle av. J.C. fondent Carthage qui finit par imposer son hégémonie aux autres cités phéniciennes et domine le commerce méditerranéen.

Les Berbères de l'intérieur sont refoulés vers le sud et l'ouest ; certains, cependant se sédentarisent et son influencé par la civilisation punique : tel est, en particulier, le cas du royaume de Numidie.

Aux prises avec les Grecs, puis avec les Romains, Carthage soutient contre ceux-ci les dures guerres puniques (264-146 av. J.C.) avant d'être détruite par Scipion Emilien. (146 av. J.C.). La future Tunisie devient le cœur de l'Afrique proconsulaire. Sous le contrôle de l'annone, elle est l'un des greniers de Rome en grains, elle lui fournit huile et vin. En même temps elles s'urbanise et se romanise profondément.

Jules César en 46 av. J.C. annexe la Numidie qui devient l'Africa Nova.

Sous l'Empire romain le pays connaît une grande prospérité. Le christianisme trouve là l'un de ses bastions occidentaux, avec des docteurs comme saint Augustin, saint Cyprien, Tertullien.

La Tunisie romaine atteint son apogée avec les Sévères, d'origine africaine.

Le pays subit ensuite l'invasion destructrice des Vandales, peuple germanique qui envahit la Gaule, puis l'Afrique romaine. Ce royaume disparut en 533 lors de la conquête byzantine. Berbères et Byzantins s'affrontent et c'est une province affaiblie que vont affronter au VIIe siècle les Arabes musulmans.

Le christianisme et la latinité sont peu à peu submergé par l'islamisation et l'arabisation.

Les dynasties des Abbassides, Arhlabides, Fatimides, Zirides, Hilaliens, Normands, Hafsides, plus tard les Marinides, se succèdent.

Plus tard les républiques italiennes, la Sicile et l'Aragon entretiennent des colonies marchandes à Tunis, tandis qu'une forte immigration andalouse (Musulmans et Juifs) contribue à enrichir le patrimoine artistique, littéraire et religieux du pays.

En 1270 la Tunisie repousse l'armée de Saint Louis (Louis IX), qui meurt sous les murs de Tunis.

En 1535 Charles Quint impose sa suzeraineté aux Hafsides ce qui provoque l'intervention des corsaires turcs. La Tunisie devient un pachalik ottoman.

En 1881, le traité du Bardo établit un protectorat français responsable de la diplomatie et de l'armée. Ce régime laisse au bey (chef de l'armée) de Tunis une apparence de souveraineté.

Auprès du bey et du premier ministre un secrétaire général est chargé de contrôler leurs décisions. Des directeurs techniques se substituent en fait aux ministres tunisiens.

L'occupation de la Régence met l'élite tunisienne en contact plus étroit avec l'Europe et avive le courant réformiste. C'est dans cet esprit que deux associations tunisiennes se transforment en mouvements politiques. Devenues le lieu de rencontre de jeunes Tunisiens de formation traditionaliste, elles contribuent à la prise de conscience nationale de l'élite tunisienne.

Après la Première Guerre Mondiale, le parti des jeunes Tunisiens se transforme occultement en parti tunisien qui va engager une action en faveur d'une Constitution : Le Destour (1920) suivie du Néo-Destour (1934) dont Ali Bourguiba est le secrétaire général.

Contrairement au Vieux-Destour, qui s'appuie essentiellement sur la bourgeoisie conservatrice et l'aristocratie tunisienne, le Néo-Destour recrute ses adeptes parmi la petite bourgeoisie, les fonctionnaires et les petits employés. Ses cadres sont pour la plupart, des intellectuels d'origine modeste, nourris, sur les bancs des facultés françaises, des grand principes de la révolution de 1789.

Alors que le Vieux-Destour est panarabe et musulman, au sein du néo-Destour le nationalisme l'emporte sur le panarabisme et la laïcité sur l'esprit religieux. Il fonde sa propagande sur la souveraineté populaire, la neutralité confessionnelle et la séparation des pouvoirs. C'est sur cette base qu'il engage dès sa naissance la lutte contre le protectorat.

La tension subsiste lorsque les troupes allemandes occupent la Tunisie le 11 novembre 1942.

Après la défaite de l'Axe, le Néo-Destour, fort de son loyalisme pendant la guerre et la participation de nombreux Tunisiens à la libération de la France, place ses espoirs dans le gouvernement du général de Gaulle.

Malgré la volonté d'apaisement du résident Jean Mons en 1947, à Sfax, une grève prend le caractère d'une protestation politique.

Mais ce ne sera qu'en 1952, que le président du Conseil, Edgar Faure, parlera de la nécessité de réformes en Tunisie. Pierre Mendès France, devenu président du Conseil en 1954, décide d'agir : Bourguiba est autorisé à résider près de Montargis. Le 30 juillet, Mendès France fait approuver par le gouvernement le régime d'autonomie interne pour la Tunisie.

En 1964, le président Bourguiba est triomphalement réélu à la présidence de la république pour 5 ans. En 1965, il prêche le réalisme et la modération envers Israël au cours d'un périple dans les pays arabes.

Mais ses initiatives seront vivement critiquées dans le monde arabe, et une rupture des relations diplomatiques se produira entre Tunis et Le Caire d'octobre 1966 à juin 1967.

A En 1975 est élu président à vie.


Bibliographie du résumé de l'histoire de la Tunisie : La grande encyclopédie Larousse.

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