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                Synopsis 
               
                Au début des années cinquante, le petit Gaëtan 
                Vella a 8 ans. Il est le fils d' Esperanza Mifsud et de Rosaire 
                Vella. A la mort prématurée de sa mère, Gaëtan 
                est recueilli et élevé par sa tante Jousa, la femme 
                de Camille Vella. Lorsque son père se remarie avec Nina, 
                il est enlevé à Jousa et à sa cousine Gracieuse, 
                pour Gaëtan c'est le déchirement.  
              L'image 
                de sa mère le réconforte, elle représente 
                à ses yeux un ange du ciel, elle est parée de toutes 
                les vertus. Il ne peut l'imaginer comme les autres femmes du quartier. 
                Sa marâtre par contre semble incarner le mal absolu.  
              Gaëtan 
                se destine au métier de patron-Karrozin (cocher). Lorsque 
                tante Jousa le confie à Ménouna, sa maîtresse 
                du soir, dit-il à ses copains, Gaëtan comprend l'importance 
                de l'instruction. Le désir d'honorer sa mère le 
                soutiendra dans ses efforts pour la conquête du savoir et 
                les années de travail finiront par porter leurs fruits. 
              Ménouna 
                est une vieille fille qui sent le tabac et la lavande. Le ciel 
                lui a jadis accordé un présent inestimable : une 
                mère cultivée. Ménouna cache un secret : 
                un fiancé, Antoine, qui est mort dans les Balkans, dans 
                une guerre oubliée. A la suite de ce grand chagrin Ménouna 
                est entrée au couvent des Carmélites où elle 
                y a vécu une part de sa vie comme chaperon du couvent. 
                 
              Ménouna 
                veut armer cet enfant pour la vie, le rendre fort, afin qu'il 
                domine un destin peu disposé à lui accorder son 
                meilleur profil. Tueuse de légende, elle lui ouvre les 
                yeux sur la réalité et sur les différends 
                qui opposent Jousa et sa belle-sur Nina. Elle finira par 
                rapprocher Gaëtan de sa marâtre et sa demi-sur 
                Rosette, en choisissant Jousa comme marraine pour sa confirmation, 
                réconciliera les familles. 
              Avec 
                Ménouna, Gaëtan apprend que ses ancêtres ont 
                immigré à Tunis à la fin du XVIIIe et au 
                début du XIXe siècle, bien avant l'arrivée 
                des Français et l'établissement du protectorat. 
                Le soir après le travail, Ménouna le gratifie d'une 
                page de l'histoire de Malte et de ses chevaliers, leur héroïsme 
                le touche dans sa chair. 
              Un 
                jour, " la ville des lendemains assurés " découvre 
                la violence, les grèves, les manifestations et les attentats. 
                La Tunisie pacifique et fraternelle a changé de visage. 
                Une grande tristesse tombe sur la ville. 
              Mais 
                finalement Tunisiens et Français unissent leurs forces 
                pour gérer au mieux le pays. Des siècles de paix 
                s'ouvrent devant lui. 
              Lorsque 
                Dieu rappelle à lui tante Ménouna, Gaëtan se 
                sent orphelin pour la seconde fois et cependant, fort des connaissance 
                acquises il est désormais prêt à affronter 
                les difficultés que l'avenir lui réserve.  
              Résumé 
              (Afin 
                de mieux préserver le style de l'auteur et de restituer 
                l'originalité et la vivacité de son ton, la précision 
                de son vocabulaire, ce texte a été conçu 
                à partir d'extraits du roman. Ce résumé n'est 
                qu'un fugitif aperçu du talent de Claude Rizzo et ne prétend 
                en aucun cas se substituer à la lecture du texte intégral 
                qui seule rend hommage à l'écrivain ).  
              Le 
                match du jour, comme tous les jeudis, allait opposer le clan de 
                la Petite Sicile aux Maltais de la place de Bab el-Khadra. La 
                rencontre aurait lieu sur une terre maltaise, bien que le quartier 
                comptât de nombreux Italiens. Mais l'église du Sacré-Cur, 
                gérée par les Maltais, amenait la preuve que l'on 
                se trouvait chez ces derniers. 
              Aucun 
                des membres du clan ne se distinguait à l'école. 
                Leurs parents ne se traumatisaient pas pour si peu. Tous auraient 
                leur avenir assuré, en reprenant la calèche du père, 
                le commerce de paille et d'avoine dans le cas de Tony Zammit, 
                ou en continuant le métier de maréchal-ferrant pratiqué 
                par les Xuereb de la rue Chanzy. Et lui, le chef de bande Gaétan 
                Vella, trouverait bien à s'occuper avec son oncle Camille, 
                dans l'élevage et l'entraînement des chevaux de course. 
                Il pourrait aussi récupérer la karrozzin qui dormait 
                sous sa bâche, au fond de l'écurie.  
              Zia 
                Jousa, la sur de sa pauvre mère, avait eu une drôle 
                d'idée en allant voir tante Ménouna de faire un 
                peu travailler Gaëtan, de contrôler ses devoirs et 
                ses leçons. Une démarche qu'ici personne n'aurait 
                pu comprendre. 
              Contre 
                toute attente, Ménouna avait accepté de s'occuper 
                de Gaëtan et elle l'attendait en fin d'après-midi 
                pour leur première séance. Comment un chef pouvait-il 
                raconter à sa bande qu'il paniquait à l'idée 
                de se retrouver devant une femme d'un mètre cinquante-cinq 
                ?  
              Le 
                cinéma était entré dans leur vie. Bousculant 
                la hiérarchie, il occupait désormais la première 
                place au plus haut des passions. Même le foot ne possédait 
                plus la même saveur. Mais le cinéma, le vrai, avec 
                un écran géant, en technicolor, coûtait les 
                yeux de la tête. L'assemblée générale 
                se donnait une autre ambition ce jeudi-là : trouver les 
                moyens de se payer ce plaisir le plus souvent possible, et pourquoi 
                pas tous les dimanches. 
              - 
                Bon je sais comment on va trouver l'argent qu'on a besoin. On 
                va le trouver en travaillant. En récupérant des 
                sous pour tous les services qu'on exige tout le temps de nous, 
                et que nous on rend à l'il, sans presque rien obtenir 
                en échange.  
              L'assemblée 
                avait bien travaillé. Stratégie arrêtée, 
                tarifs établis en fonction du pouvoir d'achat de la clientèle, 
                la bande pouvait à nouveau penser aux plaisir. Et Gaëtan 
                se rendit chez Ménouna. 
              Pour 
                Gaëtan, l'ouverture d'un livre figurait parmi les événements 
                ennuyeux de l'existence. Ce soir-là Tante Ménouna 
                mit de côté devoirs et leçons.  
              Pour 
                leur première séance, il n'y aurait que lecture 
                au menu. Et l'on entra de plain-pied dans Walter Scott.  
              Deux 
                portes, séparées par le minaret de la mosquée, 
                se tenaient compagnie. La plus grande, située à 
                gauche, avait mérité son nom. Bab el-Khadra : la 
                porte verte. Les habitants de Bab el-Khadra, Tunisiens par leurs 
                papiers, Arabes, Français ou Maltais par le cur - 
                nul ne reniait sa double appartenance - étaient fiers de 
                leurs deux portes pars lesquelles on accédait aux vieux 
                quartiers, témoins de l'histoire, avec leurs ruelles qui 
                dévoilaient l'influence arabe, turque et andalouse.  
              Comme 
                prévu, la bande et sa brouette, peinte en bleu roi grâce 
                à un troc avec Spiteri le carrossier, se dirigèrent 
                vers le quartier de la Médina où les fruits et le 
                légumes étaient plus avantageux. On en était 
                pas encore au cinéma pour tous, chaque dimanche. Mais la 
                bande comptabilisait malgré tout une poignée de 
                péplums italiens et quelques films de " coverboys 
                " de série B. 
              Sa 
                seule paire de souliers, des espadrilles en toile à semelles 
                d'alpha, avait rendu l'âme voilà quelques semaines. 
                Gaëtan détestait les histoires ; aussi, en secret, 
                découpait-il des morceaux de carton qui lui servaient de 
                semelles de rechange.  
              Tante 
                Jousa s'en était rendu compte et invectivait la seconde 
                épouse de son beau-frère, Rosaire Vella. Celle du 
                haut était la fautive, pour les chaussures du petit, pour 
                la pauvreté de sa famille, pour l'air qu'elle respirait, 
                et surtout pour se prélasser dans les draps d'Esperanza. 
                Que Dieu la conserve en son paradis. 
              Gaëtan 
                pensait qu'il n'existait pas pour sa marâtre, qu'il n'existait 
                plus pour son père. Il en voulait au monde entier les jours 
                où l'humiliation le désignait du doigt. Gaëtan 
                devait mélanger ses rêves de bonheur et une réalité 
                avare de ses bienfaits depuis la mort de sa mère. Gaëtan 
                savait que Zia Jousa l'aimait beaucoup. Mais sa tante, tel un 
                grand arbre, le protégeait des tempêtes du haut de 
                sa rudesse et de sa fermeté.  
              Le 
                départ de sa cousine, l'aînée des Vella, le 
                privait de sa seule confidente. Gracieuse s'était mariée, 
                elle vivait à présent à Ferryville, au bout 
                du monde, à soixante kilomètres de Tunis.  
              Mais 
                le spectacle de la place de Bab el-Khadra, la foule, le vacarme, 
                les odeurs de bombalonis et de ftaïri lui faisaient oublier 
                sa solitude. Il avait un quartier, une bande. Il appartenait à 
                une communauté. Gaëtan n'était pas seul.  
              Gaëtan 
                ferma le livre. Le chapitre à son terme, il sortait épuisé 
                du combat qui chaque soir l'opposait à Ivanhoé. 
                 
              - 
                La lecture a ceci de commun avec le sport : elle exige un long 
                entraînement avant d'engendrer un champion, lui disait Ménouna. 
              Mais 
                Gaëtan Vella le savait, le livre et lui n'étaient 
                pas appelés à vivre un long mariage.  
              Le 
                souvenir de sa mère représentait la seule richesse 
                de cet enfant. Un jour tante Ménouna lui apprit que sa 
                mère affectionnait les livres. Gaëtan avait observé 
                la bibliothèque d'un il nouveau, faisant un effort 
                pour tenter de comprendre le plaisir que l'on pouvait tirer de 
                ces objets ennuyeux, surtout quand il fallait déchiffrer, 
                et que ce n'était plus tante Menouna qui les lisait.  
              - 
                Tu tiens à honorer la mémoire de ta mère, 
                reprend donc son rêve à ton compte, deviens un bon 
                élève à l'école, distingue-toi par 
                ton travail et ton sérieux.  
              
              Six 
                mois de travail avec tante Menouna vous changent un Maltais de 
                Bab el-Khadra en profondeur. A chacun son destin. Le sien désormais, 
                était de devenir un bon élève au CE2 ; et 
                ça, il le voulait surtout pour sa mère.  
              Sa 
                seconde ambition s'attachait à la qualité et à 
                la réputation de leur petit commerce. Gaëtan y puisait 
                un orgueil, une reconnaissance qui le vengeaient des vexations 
                quotidiennes que connaissent les orphelins : celles de ne pas 
                disposer d'un siège de titulaire dans la distribution légale 
                des tendresses.  
              Chaque 
                soir, Ménouna s'installait dans son fauteuil, posait la 
                boîte à tabac sur ses genoux, croisait les bras et 
                l'écoutait. Et lui devait raconter sa page de lecture, 
                la suite de l'histoire.  
              Gaëtan 
                ne s'attardait jamais une minute de trop auprès de son 
                père et de Nina. Repas expédié, il retrouvait 
                son salon de lecture et de travail : la table libre et la mieux 
                éclairée du café maure de M. Boualeg.  
              Pendant 
                ce temps les accords de protectorat signés avec la France 
                en 1881, n'avaient pas mis fin à l'Etat tunisien. Au début 
                de ces années cinquante, dans le grand mouvement de réveil 
                des nationalités, la contestation était entrée 
                dans une phase active. L'étoile de Bourghiba montait un 
                peu chaque jour.  
              Gaëtan 
                aurait préféré avoir un demi-frère. 
                Mais la bonne Vierge en décida autrement. Ce fut une fille. 
              La 
                vieille tante vivait depuis trop longtemps loin des réalités, 
                enfermée dans son monde, entre le couvent et ses tas de 
                livres qui l'étoffaient. Comment pouvait-elle suggérer 
                à Gaëtan d'établir une relation avec sa marâtre 
                ? Aucun événement, désormais ne pouvait changer 
                le destin d'une famille détruite par la mort de la mère. 
                Un autre bonheur, autour d'une étrangère s'était 
                installé au premier étage de l'immeuble des Vella. 
                On avait oublié de lui réserver une place de titulaire 
                sous ce toit qui avait été le sien.  
              Tante 
                Menouna disposait d'une autre version des faits et lui raconta 
                l'arrivée de Nina à Bab el-Khadra, la guerre ouverte 
                entre Jousa et la jeune épouse qui s'installa dès 
                les premiers jours, et lui, Gaëtan, au centre de la bataille, 
                chacune le voulant dans son camp.  
              Mais 
                Nina n'était pas sa mère et jamais elle ne pourrait 
                se battre contre une morte, jamais elle ne pourrait rivaliser 
                avec Jousa, ni l'affronter en ayant le moindre espoir de sortir 
                victorieuse du combat. 
              Le 
                dictionnaire n'avait sans doute jamais servi, pourtant, il ne 
                dégageait pas l'odeur du neuf, comme un ouvrage qui sort 
                de la librairie Saliba.  
                Gaëtan resta devant le paquet, sans oser le toucher 
              - 
                C'est le premier cadeau que je reçois depuis la mort de 
                ma mère -  
              -- 
                Nous sommes quitte mon petit, c'et le premier cadeau que je fais 
                depuis la mort de la mienne, lui répondit Menouna.  
                 
              En 
                ce début d'année scolaire on ne vit jamais Gaëtan 
                Vella dans le peloton menant au tableau d'honneur. Juste la moyenne, 
                arrachée dans la souffrance à une hérédité 
                qui l'avait programmé pour devenir patron-karrozin.  
              Puis 
                ce fut le premier sept sur dix de sa scolarité. Gaëtan 
                courut au cimetière, l'annonça à sa mère, 
                à tous les morts de la famille par la même galopade. 
                Il le raconta à ses copains, ses cousins, au boucher et 
                aux marchands de légumes de la rue de la Verdure. Quelques 
                félicitations, mais aucune médaille en retour. Les 
                sept de moyenne n'ont jamais occupé le haut de la cotation 
                à la Bourse de Bab el-Khadra.  
              Ménouna 
                décida d'offrir à son élève le premier 
                chapitre de l'épopée des fameux Chevaliers de Malte. 
                Ménouna ouvrit son atlas, posa le doigt au beau milieu 
                de la Méditerranée, où deux points minuscules 
                se perdaient entre Italie et Libye, puis annonça, d'un 
                ton emphatique : 
              - 
                Voici Malte et Gozo, terre de tes ancêtres. 
              Depuis 
                plusieurs mois la situation s'était durcie. L'échec 
                des négociations en cours précipitait le pays dans 
                l'épreuve de force. On ne parlait plus que de terrorisme 
                et de contre-terrorisme. Les attentas reprirent de plus belle. 
                 
              La 
                volonté de Menouna, le désir d'honorer sa mère 
                avaient porté Gaëtan durant toutes ces années. 
                Les bonnes notes, ces douces caresses sur l'amour-propre, avaient 
                aussi joué leur rôle dans sa conquête de l'instruction. 
                Dans quelques mois il entrerait au lycée. Cette pensée 
                l'exaltait et l'effrayait à la fois. Une nouvelle compétition 
                se préparait. Un match à jouer contre une majorité 
                de métropolitains. Et le métropolitain ne montrait 
                aucune compassion à l'endroit du français indigène. 
                 
              Il 
                le dominait de son savoir, lui faisait mesurer dans l'humiliation 
                la distance qui séparait un rejeton de Bab el-Khadra d'un 
                fils de directeur des Postes, lui enseignait dans le camouflet 
                quotidien ce que signifiait " carences culturelles ". 
              Gaëtan 
                s'était classé douzième aux dernières 
                compositions. Il partirait à Ferryville à la fin 
                de la semaine suivante. Leur première séparation 
                depuis quatre ans.  
              Quatre 
                années durant lesquelles tante Menouna et son élève 
                avaient travaillé ensemble tous les jours réservés 
                aux hommes, ceux n'appartenant pas au Bon Dieu ou à ses 
                saints. 
              Tante 
                Menouna avait promis à Gaëtan qu'à son retour 
                elle lui révélerait le contenu de sa fameuse boîte 
                à chaussures. Menouna lui avait raconté comment 
                un jour, dans un mur de l'écurie, en faisant des travaux, 
                le mari de Jousa avait trouvé une malle dans laquelle parmi 
                les livres de prières, les certificats de baptême 
                et de mariage, des titres de propriété divers, elle 
                avait découvert un vrai trésor : une histoire de 
                la famille, écrite par plusieurs mains, qui commençait 
                au XIVe siècle. 
              L'histoire 
                des chevaliers touchait Gaëtan à ses fibres, à 
                son sang. 
              A 
                Ferryville Gaëtan découvrit la ville la plus française 
                de toute l'Afrique du Nord. Ferryville comptait bien plus de communautés 
                que Bab el-Khadra, mais ici les  
                 
              Indochinoises 
                se mettaient des jupes comme tout le monde, les Juifs n'avaient 
                pas de barbe et les Arabes s'habillaient sans burnous ni chéchia. 
                A Ferryville, on ne trouvait qu'une seule espèce, qui avait 
                oublié ses racines et se la jouait à la métropolitaine. 
                 
              Gaëtan 
                se fit de nouveaux copains et copines dont l'une s'appelait Véronique. 
                Aux premiers regards, se fiant à son instinct de chasseur 
                de belles, Gaëtan eut l'impression que Véronique le 
                trouvait à son goût. Lui n'avait jamais croisé 
                de rouquine aussi flamboyante. Ainsi l'exotisme aidant, il la 
                trouva irrésistible.  
              Gaëtan 
                avait, en quelques jours, effacé tous ses complexes " 
                métropolitains ". Une découverte considérable, 
                que Gaëtan analysa ainsi : si l'on peut s'amuser, rire avec 
                des Français de France, et embrasser une de leur bande, 
                une qui arrive en droite ligne de Normandie, alors tante Menouna 
                a raison, leur supériorité n'est que le fruit de 
                mon imagination. Et Gaëtan se sentit de taille à affronter 
                tous les métropolitains de la terre.  
              Le 
                jour de la fête des apprentis, Gaëtan se rendait au 
                premier rendez-vous sensuel lorsque la rafale, claire, proche, 
                suivie d'un sifflement avait donné à la fuite générale 
                un air de panique. Les ultra-nationalistes avaient frappé 
                au cur du symbole. Sept morts, plusieurs dizaines de blessés, 
                alors que le traité d'autonomie interne laissait entrevoir 
                la sortie du tunnel. Salah Ben Youssef et sa triste compagnie 
                voulaient l'indépendance totale, sans délai, et 
                poursuivaient la lutte armée à cette fin. 
              On 
                enterra les victimes. La population européenne se retrouva 
                au grand complet. Les Arabes s'étaient enfermés 
                à double tour. La majorité d'entre eux condamnaient 
                l'attentat, se montraient hostiles à toute idée 
                d'indépendance. Mais qu'importe. Depuis quelques jours, 
                mieux valait ne pas être arabe à Ferryville.  
              Une 
                grande tristesse tomba sur la ville. On ne s'embrassait plus à 
                Ferryville depuis le drame. Gaëtan espérait, en égoïste, 
                que l'interdit serait levé avant la fin de son séjour. 
                 
              En 
                rentrant ce soir-là il se rendit compte que sa cousine 
                avait pleuré. Gracieuse avait une âme de loukoum. 
                La tragédie la secouait un peu plus que de raison. Puis 
                elle finit par lui annoncer que Dieu avait rappelé à 
                lui tante Ménouna.  
              Cette 
                nuit-là Gaëtan avait pleuré autant qu'il l'avait 
                pu. Orphelin pour la seconde fois il ne pouvait imaginer la vie 
                sans la vieille tante, privé de sa présence, de 
                ses conseils. Son destin semblait peint en noir, toujours en noir. 
                Il reprit le car le lendemain matin. Jousa lui avait annoncé 
                que Ménouna lui avait laissé tout ce qu'elle possédait, 
                l'écurie, l'appartement avec ses meubles et ses livres. 
                 
              La 
                boîte, la fameuse boîte à chaussures avait 
                disparu. Tante Jouse croyant bien faire avait fait le ménage 
                dans l'appartement. Les vieux papiers, partis à la poubelle, 
                condamnés par la sottise et le peu de culture de tout un 
                quartier. Il était écrit que l'histoire des Vella 
                garderait ses mystères et la vieille tante ne lui raconterait 
                jamais la fin de l'épopée des chevaliers de Malte. 
                 
              
              Ménouna 
                lui avait laissé une longue lettre qui se terminait par 
                ces mots : mon véritable héritage, tu le sais, se 
                trouve ailleurs. Je suis certaine que tu en prendras soin et le 
                feras fructifier. Je suis sûre qu'il produira d'autres richesses, 
                bien plus valorisantes qu'une écurie insignifiante et un 
                minuscule appartement. Je te laisse également une mission 
                : tu iras à la recherche de notre passé à 
                retrouver nos racines, à établir des liens avec 
                notre parenté vivant encore à Malte. Que la grâce 
                de Dieu t'accompagne. 
              Gaëtan 
                se disait qu'il entrerait au lycée comme un champion dans 
                la compétition. Esperanza et la vielle tante parleraient 
                de lui avec la vanités des mères juives. Il se battrait 
                avec plus de fougue encore que les années passées, 
                et surprendrait ainsi tous ceux qui habitaient son paradis. 
              Bientôt 
                l'autonomie de la Tunisie fut définitivement acquise. Et 
                la fraternité, un instant écorchée, avait 
                retrouvé ses jambes de vingt ans. Tunisiens et Français 
                uniraient leurs forces pour gérer au mieux le pays.  
              Avec 
                les premiers signes de convalescence, Gaëtan retrouva l'image 
                de Véronique. Quand Carmelo lui apporta la lettre ; Gaëtan 
                se trouvait dans l'écurie de Ménouna, entouré 
                par ses copains. 
              Véronique 
                lui annonçait qu'elle l'attendait pour Noël. Il était 
                riche. On l'aimait. Il était amoureux. Alors Gaëtan 
                Vella, Maltais de Bab el-Khadra, orphelin par la grâce de 
                Dieu, décida d'être heureux. 
              - 
                Bon les gars, on se remet sérieusement au travail. Dimanche 
                on passe Ben Hur au Parnasse. Et ce n'est pas le moment de rater 
                un film pareil, dit-il en retrouvant sa bande. 
              Commentaires 
              Avec 
                une simplicité du propos et une grande chaleur humaine, 
                Claude Rizzo nous raconte l'histoire de Gaëtan. Avec courage 
                et détermination, l'enfant, pauvre et orphelin subit les 
                humiliations et les vexations quotidiennes auxquelles l'hérédité 
                semble l'avoir condamné. 
              Alors 
                qu'il pleure une mère dont il n'a qu'un vague souvenir, 
                oublié par son père et nourrissant envers sa marâtre 
                des sentiments hostiles, Gaëtan semble condamné à 
                un destin peint en noir.  
              Mais 
                malgré sa solitude apparente Gaëtan n'est pas vraiment 
                malheureux, il a son quartier, il a sa bande, le cinéma 
                et le petit commerce qui lui procurent les gratifications simples 
                auxquelles il aspire. Il n'en demande pas plus.  
              Gaëtan 
                est un enfant de l'Afrique par sa naissance, un gosse de Malte 
                par son sang et sa race, un fils de France par la volonté 
                de Dieu.  
              Lorsqu'il 
                fait la connaissance de tante Ménouna ses carences culturelles 
                sont considérables. Mais Ménouna a décelé 
                chez l'enfant l'intelligence et la sensibilité.  
              Ménouna 
                va tout lui apprendre : le goût de la lecture, de l'histoire, 
                le goût de l'effort qui va le diriger vers un destin pour 
                lequel il n'était pas programmé. 
              Elle 
                lui enseigne également à ne pas avoir honte de ses 
                ancêtres poussés à l'exil par la misère, 
                à ne pas avoir honte de son quartier, de sa pauvreté 
                et de sa rusticité et surtout pas de sa famille. Elle lui 
                cite les paroles de la Bible " Quand tu renieras tes parents, 
                je te rappelle qu'ils sont les racines de ta vie ". 
              Et 
                pour conclure le véritable héritage que lui laissera 
                sa tante Ménouna, l'immense richesse à laquelle 
                elle l'aura préparé, se trouve être celui 
                de son éducation.  
              Le 
                roman nous plonge au cur même de la vie à Tunis. 
                L'auteur nous révèle les murs, les conditions 
                humaines, les pratiques religieuses de Bab el-Khadra où 
                les diverses communautés vivent en harmonie et partagent 
                leurs rites et leur indigence. Ainsi on voit comment " à 
                l'occasion de L'Aïd al Kebir ou de l'Achoura, pour Pessah 
                et le Kippour, quand arrivait Noël ou Pâques, selon 
                que vous portiez la main de Fatima, l'étoile de David ou 
                la croix en pendentif, vous receviez un gigot de l'agneau  
              du 
                sacrifice, un plat de couscous, une douzaine de bragiolis, une 
                assiette de pâtisseries orientales. [
]  
              Bab 
                el-Khadra semble vivre dans la paix et le respect d'autrui. Le 
                même Dieu semble les regarder de là-haut, tout le 
                monde en est convaincu.  
              Clochers, 
                synagogues et minarets se côtoient. Fêtes arabes, 
                juives et chrétiennes se succèdent. 
              Il 
                monte de cet ouvrage des odeurs de cuisine. Fiançailles, 
                mariages, communions, ceux de la famille comme les réjouissances 
                des voisins donnent lieu à des ripailles qui n'en finissent 
                plus. Toujours plats maltais, juifs, tunisiens, les spécialités 
                de toutes les communautés se trouvent rassemblées 
                sur une grande table.  
              Le 
                cadre est vivant et des moments d'histoire surgissent devant nous 
                à un détour d'une rue, d'une place, d'une porte 
                de Tunis. L'époque des années cinquante sur fond 
                de contestations politiques fait revivre les moments de tension 
                qui ont amené la Tunisie vers son autonomie. 
              Et 
                nous revivons les évènements de cette période 
                difficile à travers le regard neutre et innocent d'un enfant 
                de 8 ans.  
              Histoire, 
                atmosphère de l'époque, murs et langage pittoresque 
                nous plongent au cur d'une vie foisonnante, tour à 
                tour tragique et comique. 
              Actuellement 
                Claude Rizzo écrit l'adaptation du Maltais de Bab el-Khadra 
                car une société de production voudrait en tirer 
                un film.  
                
              Biographie 
              Claude 
                Rizzo est né à Tunis le 8 juillet 1943, sur la place 
                de Bab el-Khadra, où il vit jusqu'à l'âge 
                de 18 ans. Sa famille maltaise, installée en Tunisie depuis 
                quatre générations, est arrivée bien avant 
                l'instauration du Protectorat. Comme bien des Maltais, ses parents 
                étaient cochers et habitaient au-dessus de l'écurie. 
              Il 
                fréquente l'école de la rue Hoche, le lycée 
                de Mutuelleville, puis le lycée Carnot à Tunis. 
                 
               
                En 1961 il obtient le bac. La famille quitte la Tunisie. Il fait 
                ensuite des Études de lettres à Aix-en-Provence. 
                 
               
                Il enseigne dans les Bouches-du-Rhône, durant quatre ans. 
                 
               
                En 1966, Il épouse à Marseille la petite-fille du 
                boulanger de Laveline-du-Houx, Christiane Claudel, enseignante 
                elle aussi. Depuis, il passe chaque année le mois d'août 
                dans les Vosges. 
                 
               
                Il quitte l'enseignement pour diriger une entreprise, avant de 
                créer en 1976 une société spécialisée 
                dans le bâtiment, à Nice. 
               
                En 1996, il vend sa société et se consacre désormais 
                à l'écriture, chez lui, à Nice. Et l'écriture, 
                qui n'était qu'une occupation de vacances (toujours dans 
                les Vosges), est devenue son nouveau métier. Bien qu'ils 
                transportent les lecteurs sous des cieux différents, ses 
                romans plaident toujours pour les mêmes causes : la fraternité, 
                la générosité, l'amitié entre les 
                hommes et le combat contre l'ignorance et sa fille aînée 
                - l'intolérance. Il donne également des conférences 
                et participe à des actions sociales tournant autour de 
                la lecture et de l'écriture. 
               
                Claude Rizzo a également publié les romans 
                : 
                Au temps du jasmin chez Michel Lafon 
                Et les arbres chuchotaient chez France Europe Editions 
                Je croyais que tout était fini chez Michel Lafon 
               
                La 
                Tunisie et son histoire  
              La 
                population primitive est formée de berbères, nomades 
                ou sédentaires. Point de croisement de la seule route terrestre 
                unissant l'Egypte au Magreb occidental et des piste caravanières 
                conduisant au Sahara, la Tunisie attire successivement des populations 
                diverses venue généralement de la mer. 
              A 
                la fin du IIe millénaire, les Phéniciens s'installent 
                et au IXe ou au VIIIe siècle av. J.C. fondent Carthage 
                qui finit par imposer son hégémonie aux autres cités 
                phéniciennes et domine le commerce méditerranéen. 
              Les 
                Berbères de l'intérieur sont refoulés vers 
                le sud et l'ouest ; certains, cependant se sédentarisent 
                et son influencé par la civilisation punique : tel est, 
                en particulier, le cas du royaume de Numidie. 
              Aux 
                prises avec les Grecs, puis avec les Romains, Carthage soutient 
                contre ceux-ci les dures guerres puniques (264-146 av. J.C.) avant 
                d'être détruite par Scipion Emilien. (146 av. J.C.). 
                La future Tunisie devient le cur de l'Afrique proconsulaire. 
                Sous le contrôle de l'annone, elle est l'un des greniers 
                de Rome en grains, elle lui fournit huile et vin. En même 
                temps elles s'urbanise et se romanise profondément.  
              Jules 
                César en 46 av. J.C. annexe la Numidie qui devient l'Africa 
                Nova. 
              Sous 
                l'Empire romain le pays connaît une grande prospérité. 
                Le christianisme trouve là l'un de ses bastions occidentaux, 
                avec des docteurs comme saint Augustin, saint Cyprien, Tertullien. 
              La 
                Tunisie romaine atteint son apogée avec les Sévères, 
                d'origine africaine.  
              Le 
                pays subit ensuite l'invasion destructrice des Vandales, peuple 
                germanique qui envahit la Gaule, puis l'Afrique romaine. Ce royaume 
                disparut en 533 lors de la conquête byzantine. Berbères 
                et Byzantins s'affrontent et c'est une province affaiblie que 
                vont affronter au VIIe siècle les Arabes musulmans. 
              Le 
                christianisme et la latinité sont peu à peu submergé 
                par l'islamisation et l'arabisation.  
              Les 
                dynasties des Abbassides, Arhlabides, Fatimides, Zirides, Hilaliens, 
                Normands, Hafsides, plus tard les Marinides, se succèdent. 
                 
              Plus 
                tard les républiques italiennes, la Sicile et l'Aragon 
                entretiennent des colonies marchandes à Tunis, tandis qu'une 
                forte immigration andalouse (Musulmans et Juifs) contribue à 
                enrichir le patrimoine artistique, littéraire et religieux 
                du pays.  
              En 
                1270 la Tunisie repousse l'armée de Saint Louis (Louis 
                IX), qui meurt sous les murs de Tunis.  
              En 
                1535 Charles Quint impose sa suzeraineté aux Hafsides ce 
                qui provoque l'intervention des corsaires turcs. La Tunisie devient 
                un pachalik ottoman.  
              
              En 
                1881, le traité du Bardo établit un protectorat 
                français responsable de la diplomatie et de l'armée. 
                Ce régime laisse au bey (chef de l'armée) de Tunis 
                une apparence de souveraineté. 
              Auprès 
                du bey et du premier ministre un secrétaire général 
                est chargé de contrôler leurs décisions. Des 
                directeurs techniques se substituent en fait aux ministres tunisiens. 
              L'occupation 
                de la Régence met l'élite tunisienne en contact 
                plus étroit avec l'Europe et avive le courant réformiste. 
                C'est dans cet esprit que deux associations tunisiennes se transforment 
                en mouvements politiques. Devenues le lieu de rencontre de jeunes 
                Tunisiens de formation traditionaliste, elles contribuent à 
                la prise de conscience nationale de l'élite tunisienne. 
                 
              Après 
                la Première Guerre Mondiale, le parti des jeunes Tunisiens 
                se transforme occultement en parti tunisien qui va engager une 
                action en faveur d'une Constitution : Le Destour (1920) suivie 
                du Néo-Destour (1934) dont Ali Bourguiba est le secrétaire 
                général.  
              Contrairement 
                au Vieux-Destour, qui s'appuie essentiellement sur la bourgeoisie 
                conservatrice et l'aristocratie tunisienne, le Néo-Destour 
                recrute ses adeptes parmi la petite bourgeoisie, les fonctionnaires 
                et les petits employés. Ses cadres sont pour la plupart, 
                des intellectuels d'origine modeste, nourris, sur les bancs des 
                facultés françaises, des grand principes de la révolution 
                de 1789. 
              Alors 
                que le Vieux-Destour est panarabe et musulman, au sein du néo-Destour 
                le nationalisme l'emporte sur le panarabisme et la laïcité 
                sur l'esprit religieux. Il fonde sa propagande sur la souveraineté 
                populaire, la neutralité confessionnelle et la séparation 
                des pouvoirs. C'est sur cette base qu'il engage dès sa 
                naissance la lutte contre le protectorat.  
              La 
                tension subsiste lorsque les troupes allemandes occupent la Tunisie 
                le 11 novembre 1942.  
              Après 
                la défaite de l'Axe, le Néo-Destour, fort de son 
                loyalisme pendant la guerre et la participation de nombreux Tunisiens 
                à la libération de la France, place ses espoirs 
                dans le gouvernement du général de Gaulle. 
              Malgré 
                la volonté d'apaisement du résident Jean Mons en 
                1947, à Sfax, une grève prend le caractère 
                d'une protestation politique.  
              Mais 
                ce ne sera qu'en 1952, que le président du Conseil, Edgar 
                Faure, parlera de la nécessité de réformes 
                en Tunisie. Pierre Mendès France, devenu président 
                du Conseil en 1954, décide d'agir : Bourguiba est autorisé 
                à résider près de Montargis. Le 30 juillet, 
                Mendès France fait approuver par le gouvernement le régime 
                d'autonomie interne pour la Tunisie.  
              En 
                1964, le président Bourguiba est triomphalement réélu 
                à la présidence de la république pour 5 ans. 
                En 1965, il prêche le réalisme et la modération 
                envers Israël au cours d'un périple dans les pays 
                arabes.  
              Mais 
                ses initiatives seront vivement critiquées dans le monde 
                arabe, et une rupture des relations diplomatiques se produira 
                entre Tunis et Le Caire d'octobre 1966 à juin 1967. 
              A 
                En 1975 est élu président à vie.  
               
                Bibliographie  du résumé de l'histoire de 
                la Tunisie : La grande encyclopédie Larousse. 
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