Synopsis
Au début des années cinquante, le petit Gaëtan
Vella a 8 ans. Il est le fils d' Esperanza Mifsud et de Rosaire
Vella. A la mort prématurée de sa mère, Gaëtan
est recueilli et élevé par sa tante Jousa, la femme
de Camille Vella. Lorsque son père se remarie avec Nina,
il est enlevé à Jousa et à sa cousine Gracieuse,
pour Gaëtan c'est le déchirement.
L'image
de sa mère le réconforte, elle représente
à ses yeux un ange du ciel, elle est parée de toutes
les vertus. Il ne peut l'imaginer comme les autres femmes du quartier.
Sa marâtre par contre semble incarner le mal absolu.
Gaëtan
se destine au métier de patron-Karrozin (cocher). Lorsque
tante Jousa le confie à Ménouna, sa maîtresse
du soir, dit-il à ses copains, Gaëtan comprend l'importance
de l'instruction. Le désir d'honorer sa mère le
soutiendra dans ses efforts pour la conquête du savoir et
les années de travail finiront par porter leurs fruits.
Ménouna
est une vieille fille qui sent le tabac et la lavande. Le ciel
lui a jadis accordé un présent inestimable : une
mère cultivée. Ménouna cache un secret :
un fiancé, Antoine, qui est mort dans les Balkans, dans
une guerre oubliée. A la suite de ce grand chagrin Ménouna
est entrée au couvent des Carmélites où elle
y a vécu une part de sa vie comme chaperon du couvent.
Ménouna
veut armer cet enfant pour la vie, le rendre fort, afin qu'il
domine un destin peu disposé à lui accorder son
meilleur profil. Tueuse de légende, elle lui ouvre les
yeux sur la réalité et sur les différends
qui opposent Jousa et sa belle-sur Nina. Elle finira par
rapprocher Gaëtan de sa marâtre et sa demi-sur
Rosette, en choisissant Jousa comme marraine pour sa confirmation,
réconciliera les familles.
Avec
Ménouna, Gaëtan apprend que ses ancêtres ont
immigré à Tunis à la fin du XVIIIe et au
début du XIXe siècle, bien avant l'arrivée
des Français et l'établissement du protectorat.
Le soir après le travail, Ménouna le gratifie d'une
page de l'histoire de Malte et de ses chevaliers, leur héroïsme
le touche dans sa chair.
Un
jour, " la ville des lendemains assurés " découvre
la violence, les grèves, les manifestations et les attentats.
La Tunisie pacifique et fraternelle a changé de visage.
Une grande tristesse tombe sur la ville.
Mais
finalement Tunisiens et Français unissent leurs forces
pour gérer au mieux le pays. Des siècles de paix
s'ouvrent devant lui.
Lorsque
Dieu rappelle à lui tante Ménouna, Gaëtan se
sent orphelin pour la seconde fois et cependant, fort des connaissance
acquises il est désormais prêt à affronter
les difficultés que l'avenir lui réserve.
Résumé
(Afin
de mieux préserver le style de l'auteur et de restituer
l'originalité et la vivacité de son ton, la précision
de son vocabulaire, ce texte a été conçu
à partir d'extraits du roman. Ce résumé n'est
qu'un fugitif aperçu du talent de Claude Rizzo et ne prétend
en aucun cas se substituer à la lecture du texte intégral
qui seule rend hommage à l'écrivain ).
Le
match du jour, comme tous les jeudis, allait opposer le clan de
la Petite Sicile aux Maltais de la place de Bab el-Khadra. La
rencontre aurait lieu sur une terre maltaise, bien que le quartier
comptât de nombreux Italiens. Mais l'église du Sacré-Cur,
gérée par les Maltais, amenait la preuve que l'on
se trouvait chez ces derniers.
Aucun
des membres du clan ne se distinguait à l'école.
Leurs parents ne se traumatisaient pas pour si peu. Tous auraient
leur avenir assuré, en reprenant la calèche du père,
le commerce de paille et d'avoine dans le cas de Tony Zammit,
ou en continuant le métier de maréchal-ferrant pratiqué
par les Xuereb de la rue Chanzy. Et lui, le chef de bande Gaétan
Vella, trouverait bien à s'occuper avec son oncle Camille,
dans l'élevage et l'entraînement des chevaux de course.
Il pourrait aussi récupérer la karrozzin qui dormait
sous sa bâche, au fond de l'écurie.
Zia
Jousa, la sur de sa pauvre mère, avait eu une drôle
d'idée en allant voir tante Ménouna de faire un
peu travailler Gaëtan, de contrôler ses devoirs et
ses leçons. Une démarche qu'ici personne n'aurait
pu comprendre.
Contre
toute attente, Ménouna avait accepté de s'occuper
de Gaëtan et elle l'attendait en fin d'après-midi
pour leur première séance. Comment un chef pouvait-il
raconter à sa bande qu'il paniquait à l'idée
de se retrouver devant une femme d'un mètre cinquante-cinq
?
Le
cinéma était entré dans leur vie. Bousculant
la hiérarchie, il occupait désormais la première
place au plus haut des passions. Même le foot ne possédait
plus la même saveur. Mais le cinéma, le vrai, avec
un écran géant, en technicolor, coûtait les
yeux de la tête. L'assemblée générale
se donnait une autre ambition ce jeudi-là : trouver les
moyens de se payer ce plaisir le plus souvent possible, et pourquoi
pas tous les dimanches.
-
Bon je sais comment on va trouver l'argent qu'on a besoin. On
va le trouver en travaillant. En récupérant des
sous pour tous les services qu'on exige tout le temps de nous,
et que nous on rend à l'il, sans presque rien obtenir
en échange.
L'assemblée
avait bien travaillé. Stratégie arrêtée,
tarifs établis en fonction du pouvoir d'achat de la clientèle,
la bande pouvait à nouveau penser aux plaisir. Et Gaëtan
se rendit chez Ménouna.
Pour
Gaëtan, l'ouverture d'un livre figurait parmi les événements
ennuyeux de l'existence. Ce soir-là Tante Ménouna
mit de côté devoirs et leçons.
Pour
leur première séance, il n'y aurait que lecture
au menu. Et l'on entra de plain-pied dans Walter Scott.
Deux
portes, séparées par le minaret de la mosquée,
se tenaient compagnie. La plus grande, située à
gauche, avait mérité son nom. Bab el-Khadra : la
porte verte. Les habitants de Bab el-Khadra, Tunisiens par leurs
papiers, Arabes, Français ou Maltais par le cur -
nul ne reniait sa double appartenance - étaient fiers de
leurs deux portes pars lesquelles on accédait aux vieux
quartiers, témoins de l'histoire, avec leurs ruelles qui
dévoilaient l'influence arabe, turque et andalouse.
Comme
prévu, la bande et sa brouette, peinte en bleu roi grâce
à un troc avec Spiteri le carrossier, se dirigèrent
vers le quartier de la Médina où les fruits et le
légumes étaient plus avantageux. On en était
pas encore au cinéma pour tous, chaque dimanche. Mais la
bande comptabilisait malgré tout une poignée de
péplums italiens et quelques films de " coverboys
" de série B.
Sa
seule paire de souliers, des espadrilles en toile à semelles
d'alpha, avait rendu l'âme voilà quelques semaines.
Gaëtan détestait les histoires ; aussi, en secret,
découpait-il des morceaux de carton qui lui servaient de
semelles de rechange.
Tante
Jousa s'en était rendu compte et invectivait la seconde
épouse de son beau-frère, Rosaire Vella. Celle du
haut était la fautive, pour les chaussures du petit, pour
la pauvreté de sa famille, pour l'air qu'elle respirait,
et surtout pour se prélasser dans les draps d'Esperanza.
Que Dieu la conserve en son paradis.
Gaëtan
pensait qu'il n'existait pas pour sa marâtre, qu'il n'existait
plus pour son père. Il en voulait au monde entier les jours
où l'humiliation le désignait du doigt. Gaëtan
devait mélanger ses rêves de bonheur et une réalité
avare de ses bienfaits depuis la mort de sa mère. Gaëtan
savait que Zia Jousa l'aimait beaucoup. Mais sa tante, tel un
grand arbre, le protégeait des tempêtes du haut de
sa rudesse et de sa fermeté.
Le
départ de sa cousine, l'aînée des Vella, le
privait de sa seule confidente. Gracieuse s'était mariée,
elle vivait à présent à Ferryville, au bout
du monde, à soixante kilomètres de Tunis.
Mais
le spectacle de la place de Bab el-Khadra, la foule, le vacarme,
les odeurs de bombalonis et de ftaïri lui faisaient oublier
sa solitude. Il avait un quartier, une bande. Il appartenait à
une communauté. Gaëtan n'était pas seul.
Gaëtan
ferma le livre. Le chapitre à son terme, il sortait épuisé
du combat qui chaque soir l'opposait à Ivanhoé.
-
La lecture a ceci de commun avec le sport : elle exige un long
entraînement avant d'engendrer un champion, lui disait Ménouna.
Mais
Gaëtan Vella le savait, le livre et lui n'étaient
pas appelés à vivre un long mariage.
Le
souvenir de sa mère représentait la seule richesse
de cet enfant. Un jour tante Ménouna lui apprit que sa
mère affectionnait les livres. Gaëtan avait observé
la bibliothèque d'un il nouveau, faisant un effort
pour tenter de comprendre le plaisir que l'on pouvait tirer de
ces objets ennuyeux, surtout quand il fallait déchiffrer,
et que ce n'était plus tante Menouna qui les lisait.
-
Tu tiens à honorer la mémoire de ta mère,
reprend donc son rêve à ton compte, deviens un bon
élève à l'école, distingue-toi par
ton travail et ton sérieux.
Six
mois de travail avec tante Menouna vous changent un Maltais de
Bab el-Khadra en profondeur. A chacun son destin. Le sien désormais,
était de devenir un bon élève au CE2 ; et
ça, il le voulait surtout pour sa mère.
Sa
seconde ambition s'attachait à la qualité et à
la réputation de leur petit commerce. Gaëtan y puisait
un orgueil, une reconnaissance qui le vengeaient des vexations
quotidiennes que connaissent les orphelins : celles de ne pas
disposer d'un siège de titulaire dans la distribution légale
des tendresses.
Chaque
soir, Ménouna s'installait dans son fauteuil, posait la
boîte à tabac sur ses genoux, croisait les bras et
l'écoutait. Et lui devait raconter sa page de lecture,
la suite de l'histoire.
Gaëtan
ne s'attardait jamais une minute de trop auprès de son
père et de Nina. Repas expédié, il retrouvait
son salon de lecture et de travail : la table libre et la mieux
éclairée du café maure de M. Boualeg.
Pendant
ce temps les accords de protectorat signés avec la France
en 1881, n'avaient pas mis fin à l'Etat tunisien. Au début
de ces années cinquante, dans le grand mouvement de réveil
des nationalités, la contestation était entrée
dans une phase active. L'étoile de Bourghiba montait un
peu chaque jour.
Gaëtan
aurait préféré avoir un demi-frère.
Mais la bonne Vierge en décida autrement. Ce fut une fille.
La
vieille tante vivait depuis trop longtemps loin des réalités,
enfermée dans son monde, entre le couvent et ses tas de
livres qui l'étoffaient. Comment pouvait-elle suggérer
à Gaëtan d'établir une relation avec sa marâtre
? Aucun événement, désormais ne pouvait changer
le destin d'une famille détruite par la mort de la mère.
Un autre bonheur, autour d'une étrangère s'était
installé au premier étage de l'immeuble des Vella.
On avait oublié de lui réserver une place de titulaire
sous ce toit qui avait été le sien.
Tante
Menouna disposait d'une autre version des faits et lui raconta
l'arrivée de Nina à Bab el-Khadra, la guerre ouverte
entre Jousa et la jeune épouse qui s'installa dès
les premiers jours, et lui, Gaëtan, au centre de la bataille,
chacune le voulant dans son camp.
Mais
Nina n'était pas sa mère et jamais elle ne pourrait
se battre contre une morte, jamais elle ne pourrait rivaliser
avec Jousa, ni l'affronter en ayant le moindre espoir de sortir
victorieuse du combat.
Le
dictionnaire n'avait sans doute jamais servi, pourtant, il ne
dégageait pas l'odeur du neuf, comme un ouvrage qui sort
de la librairie Saliba.
Gaëtan resta devant le paquet, sans oser le toucher
-
C'est le premier cadeau que je reçois depuis la mort de
ma mère -
--
Nous sommes quitte mon petit, c'et le premier cadeau que je fais
depuis la mort de la mienne, lui répondit Menouna.
En
ce début d'année scolaire on ne vit jamais Gaëtan
Vella dans le peloton menant au tableau d'honneur. Juste la moyenne,
arrachée dans la souffrance à une hérédité
qui l'avait programmé pour devenir patron-karrozin.
Puis
ce fut le premier sept sur dix de sa scolarité. Gaëtan
courut au cimetière, l'annonça à sa mère,
à tous les morts de la famille par la même galopade.
Il le raconta à ses copains, ses cousins, au boucher et
aux marchands de légumes de la rue de la Verdure. Quelques
félicitations, mais aucune médaille en retour. Les
sept de moyenne n'ont jamais occupé le haut de la cotation
à la Bourse de Bab el-Khadra.
Ménouna
décida d'offrir à son élève le premier
chapitre de l'épopée des fameux Chevaliers de Malte.
Ménouna ouvrit son atlas, posa le doigt au beau milieu
de la Méditerranée, où deux points minuscules
se perdaient entre Italie et Libye, puis annonça, d'un
ton emphatique :
-
Voici Malte et Gozo, terre de tes ancêtres.
Depuis
plusieurs mois la situation s'était durcie. L'échec
des négociations en cours précipitait le pays dans
l'épreuve de force. On ne parlait plus que de terrorisme
et de contre-terrorisme. Les attentas reprirent de plus belle.
La
volonté de Menouna, le désir d'honorer sa mère
avaient porté Gaëtan durant toutes ces années.
Les bonnes notes, ces douces caresses sur l'amour-propre, avaient
aussi joué leur rôle dans sa conquête de l'instruction.
Dans quelques mois il entrerait au lycée. Cette pensée
l'exaltait et l'effrayait à la fois. Une nouvelle compétition
se préparait. Un match à jouer contre une majorité
de métropolitains. Et le métropolitain ne montrait
aucune compassion à l'endroit du français indigène.
Il
le dominait de son savoir, lui faisait mesurer dans l'humiliation
la distance qui séparait un rejeton de Bab el-Khadra d'un
fils de directeur des Postes, lui enseignait dans le camouflet
quotidien ce que signifiait " carences culturelles ".
Gaëtan
s'était classé douzième aux dernières
compositions. Il partirait à Ferryville à la fin
de la semaine suivante. Leur première séparation
depuis quatre ans.
Quatre
années durant lesquelles tante Menouna et son élève
avaient travaillé ensemble tous les jours réservés
aux hommes, ceux n'appartenant pas au Bon Dieu ou à ses
saints.
Tante
Menouna avait promis à Gaëtan qu'à son retour
elle lui révélerait le contenu de sa fameuse boîte
à chaussures. Menouna lui avait raconté comment
un jour, dans un mur de l'écurie, en faisant des travaux,
le mari de Jousa avait trouvé une malle dans laquelle parmi
les livres de prières, les certificats de baptême
et de mariage, des titres de propriété divers, elle
avait découvert un vrai trésor : une histoire de
la famille, écrite par plusieurs mains, qui commençait
au XIVe siècle.
L'histoire
des chevaliers touchait Gaëtan à ses fibres, à
son sang.
A
Ferryville Gaëtan découvrit la ville la plus française
de toute l'Afrique du Nord. Ferryville comptait bien plus de communautés
que Bab el-Khadra, mais ici les
Indochinoises
se mettaient des jupes comme tout le monde, les Juifs n'avaient
pas de barbe et les Arabes s'habillaient sans burnous ni chéchia.
A Ferryville, on ne trouvait qu'une seule espèce, qui avait
oublié ses racines et se la jouait à la métropolitaine.
Gaëtan
se fit de nouveaux copains et copines dont l'une s'appelait Véronique.
Aux premiers regards, se fiant à son instinct de chasseur
de belles, Gaëtan eut l'impression que Véronique le
trouvait à son goût. Lui n'avait jamais croisé
de rouquine aussi flamboyante. Ainsi l'exotisme aidant, il la
trouva irrésistible.
Gaëtan
avait, en quelques jours, effacé tous ses complexes "
métropolitains ". Une découverte considérable,
que Gaëtan analysa ainsi : si l'on peut s'amuser, rire avec
des Français de France, et embrasser une de leur bande,
une qui arrive en droite ligne de Normandie, alors tante Menouna
a raison, leur supériorité n'est que le fruit de
mon imagination. Et Gaëtan se sentit de taille à affronter
tous les métropolitains de la terre.
Le
jour de la fête des apprentis, Gaëtan se rendait au
premier rendez-vous sensuel lorsque la rafale, claire, proche,
suivie d'un sifflement avait donné à la fuite générale
un air de panique. Les ultra-nationalistes avaient frappé
au cur du symbole. Sept morts, plusieurs dizaines de blessés,
alors que le traité d'autonomie interne laissait entrevoir
la sortie du tunnel. Salah Ben Youssef et sa triste compagnie
voulaient l'indépendance totale, sans délai, et
poursuivaient la lutte armée à cette fin.
On
enterra les victimes. La population européenne se retrouva
au grand complet. Les Arabes s'étaient enfermés
à double tour. La majorité d'entre eux condamnaient
l'attentat, se montraient hostiles à toute idée
d'indépendance. Mais qu'importe. Depuis quelques jours,
mieux valait ne pas être arabe à Ferryville.
Une
grande tristesse tomba sur la ville. On ne s'embrassait plus à
Ferryville depuis le drame. Gaëtan espérait, en égoïste,
que l'interdit serait levé avant la fin de son séjour.
En
rentrant ce soir-là il se rendit compte que sa cousine
avait pleuré. Gracieuse avait une âme de loukoum.
La tragédie la secouait un peu plus que de raison. Puis
elle finit par lui annoncer que Dieu avait rappelé à
lui tante Ménouna.
Cette
nuit-là Gaëtan avait pleuré autant qu'il l'avait
pu. Orphelin pour la seconde fois il ne pouvait imaginer la vie
sans la vieille tante, privé de sa présence, de
ses conseils. Son destin semblait peint en noir, toujours en noir.
Il reprit le car le lendemain matin. Jousa lui avait annoncé
que Ménouna lui avait laissé tout ce qu'elle possédait,
l'écurie, l'appartement avec ses meubles et ses livres.
La
boîte, la fameuse boîte à chaussures avait
disparu. Tante Jouse croyant bien faire avait fait le ménage
dans l'appartement. Les vieux papiers, partis à la poubelle,
condamnés par la sottise et le peu de culture de tout un
quartier. Il était écrit que l'histoire des Vella
garderait ses mystères et la vieille tante ne lui raconterait
jamais la fin de l'épopée des chevaliers de Malte.
Ménouna
lui avait laissé une longue lettre qui se terminait par
ces mots : mon véritable héritage, tu le sais, se
trouve ailleurs. Je suis certaine que tu en prendras soin et le
feras fructifier. Je suis sûre qu'il produira d'autres richesses,
bien plus valorisantes qu'une écurie insignifiante et un
minuscule appartement. Je te laisse également une mission
: tu iras à la recherche de notre passé à
retrouver nos racines, à établir des liens avec
notre parenté vivant encore à Malte. Que la grâce
de Dieu t'accompagne.
Gaëtan
se disait qu'il entrerait au lycée comme un champion dans
la compétition. Esperanza et la vielle tante parleraient
de lui avec la vanités des mères juives. Il se battrait
avec plus de fougue encore que les années passées,
et surprendrait ainsi tous ceux qui habitaient son paradis.
Bientôt
l'autonomie de la Tunisie fut définitivement acquise. Et
la fraternité, un instant écorchée, avait
retrouvé ses jambes de vingt ans. Tunisiens et Français
uniraient leurs forces pour gérer au mieux le pays.
Avec
les premiers signes de convalescence, Gaëtan retrouva l'image
de Véronique. Quand Carmelo lui apporta la lettre ; Gaëtan
se trouvait dans l'écurie de Ménouna, entouré
par ses copains.
Véronique
lui annonçait qu'elle l'attendait pour Noël. Il était
riche. On l'aimait. Il était amoureux. Alors Gaëtan
Vella, Maltais de Bab el-Khadra, orphelin par la grâce de
Dieu, décida d'être heureux.
-
Bon les gars, on se remet sérieusement au travail. Dimanche
on passe Ben Hur au Parnasse. Et ce n'est pas le moment de rater
un film pareil, dit-il en retrouvant sa bande.
Commentaires
Avec
une simplicité du propos et une grande chaleur humaine,
Claude Rizzo nous raconte l'histoire de Gaëtan. Avec courage
et détermination, l'enfant, pauvre et orphelin subit les
humiliations et les vexations quotidiennes auxquelles l'hérédité
semble l'avoir condamné.
Alors
qu'il pleure une mère dont il n'a qu'un vague souvenir,
oublié par son père et nourrissant envers sa marâtre
des sentiments hostiles, Gaëtan semble condamné à
un destin peint en noir.
Mais
malgré sa solitude apparente Gaëtan n'est pas vraiment
malheureux, il a son quartier, il a sa bande, le cinéma
et le petit commerce qui lui procurent les gratifications simples
auxquelles il aspire. Il n'en demande pas plus.
Gaëtan
est un enfant de l'Afrique par sa naissance, un gosse de Malte
par son sang et sa race, un fils de France par la volonté
de Dieu.
Lorsqu'il
fait la connaissance de tante Ménouna ses carences culturelles
sont considérables. Mais Ménouna a décelé
chez l'enfant l'intelligence et la sensibilité.
Ménouna
va tout lui apprendre : le goût de la lecture, de l'histoire,
le goût de l'effort qui va le diriger vers un destin pour
lequel il n'était pas programmé.
Elle
lui enseigne également à ne pas avoir honte de ses
ancêtres poussés à l'exil par la misère,
à ne pas avoir honte de son quartier, de sa pauvreté
et de sa rusticité et surtout pas de sa famille. Elle lui
cite les paroles de la Bible " Quand tu renieras tes parents,
je te rappelle qu'ils sont les racines de ta vie ".
Et
pour conclure le véritable héritage que lui laissera
sa tante Ménouna, l'immense richesse à laquelle
elle l'aura préparé, se trouve être celui
de son éducation.
Le
roman nous plonge au cur même de la vie à Tunis.
L'auteur nous révèle les murs, les conditions
humaines, les pratiques religieuses de Bab el-Khadra où
les diverses communautés vivent en harmonie et partagent
leurs rites et leur indigence. Ainsi on voit comment " à
l'occasion de L'Aïd al Kebir ou de l'Achoura, pour Pessah
et le Kippour, quand arrivait Noël ou Pâques, selon
que vous portiez la main de Fatima, l'étoile de David ou
la croix en pendentif, vous receviez un gigot de l'agneau
du
sacrifice, un plat de couscous, une douzaine de bragiolis, une
assiette de pâtisseries orientales. [
]
Bab
el-Khadra semble vivre dans la paix et le respect d'autrui. Le
même Dieu semble les regarder de là-haut, tout le
monde en est convaincu.
Clochers,
synagogues et minarets se côtoient. Fêtes arabes,
juives et chrétiennes se succèdent.
Il
monte de cet ouvrage des odeurs de cuisine. Fiançailles,
mariages, communions, ceux de la famille comme les réjouissances
des voisins donnent lieu à des ripailles qui n'en finissent
plus. Toujours plats maltais, juifs, tunisiens, les spécialités
de toutes les communautés se trouvent rassemblées
sur une grande table.
Le
cadre est vivant et des moments d'histoire surgissent devant nous
à un détour d'une rue, d'une place, d'une porte
de Tunis. L'époque des années cinquante sur fond
de contestations politiques fait revivre les moments de tension
qui ont amené la Tunisie vers son autonomie.
Et
nous revivons les évènements de cette période
difficile à travers le regard neutre et innocent d'un enfant
de 8 ans.
Histoire,
atmosphère de l'époque, murs et langage pittoresque
nous plongent au cur d'une vie foisonnante, tour à
tour tragique et comique.
Actuellement
Claude Rizzo écrit l'adaptation du Maltais de Bab el-Khadra
car une société de production voudrait en tirer
un film.
Biographie
Claude
Rizzo est né à Tunis le 8 juillet 1943, sur la place
de Bab el-Khadra, où il vit jusqu'à l'âge
de 18 ans. Sa famille maltaise, installée en Tunisie depuis
quatre générations, est arrivée bien avant
l'instauration du Protectorat. Comme bien des Maltais, ses parents
étaient cochers et habitaient au-dessus de l'écurie.
Il
fréquente l'école de la rue Hoche, le lycée
de Mutuelleville, puis le lycée Carnot à Tunis.
En 1961 il obtient le bac. La famille quitte la Tunisie. Il fait
ensuite des Études de lettres à Aix-en-Provence.
Il enseigne dans les Bouches-du-Rhône, durant quatre ans.
En 1966, Il épouse à Marseille la petite-fille du
boulanger de Laveline-du-Houx, Christiane Claudel, enseignante
elle aussi. Depuis, il passe chaque année le mois d'août
dans les Vosges.
Il quitte l'enseignement pour diriger une entreprise, avant de
créer en 1976 une société spécialisée
dans le bâtiment, à Nice.
En 1996, il vend sa société et se consacre désormais
à l'écriture, chez lui, à Nice. Et l'écriture,
qui n'était qu'une occupation de vacances (toujours dans
les Vosges), est devenue son nouveau métier. Bien qu'ils
transportent les lecteurs sous des cieux différents, ses
romans plaident toujours pour les mêmes causes : la fraternité,
la générosité, l'amitié entre les
hommes et le combat contre l'ignorance et sa fille aînée
- l'intolérance. Il donne également des conférences
et participe à des actions sociales tournant autour de
la lecture et de l'écriture.
Claude Rizzo a également publié les romans
:
Au temps du jasmin chez Michel Lafon
Et les arbres chuchotaient chez France Europe Editions
Je croyais que tout était fini chez Michel Lafon
La
Tunisie et son histoire
La
population primitive est formée de berbères, nomades
ou sédentaires. Point de croisement de la seule route terrestre
unissant l'Egypte au Magreb occidental et des piste caravanières
conduisant au Sahara, la Tunisie attire successivement des populations
diverses venue généralement de la mer.
A
la fin du IIe millénaire, les Phéniciens s'installent
et au IXe ou au VIIIe siècle av. J.C. fondent Carthage
qui finit par imposer son hégémonie aux autres cités
phéniciennes et domine le commerce méditerranéen.
Les
Berbères de l'intérieur sont refoulés vers
le sud et l'ouest ; certains, cependant se sédentarisent
et son influencé par la civilisation punique : tel est,
en particulier, le cas du royaume de Numidie.
Aux
prises avec les Grecs, puis avec les Romains, Carthage soutient
contre ceux-ci les dures guerres puniques (264-146 av. J.C.) avant
d'être détruite par Scipion Emilien. (146 av. J.C.).
La future Tunisie devient le cur de l'Afrique proconsulaire.
Sous le contrôle de l'annone, elle est l'un des greniers
de Rome en grains, elle lui fournit huile et vin. En même
temps elles s'urbanise et se romanise profondément.
Jules
César en 46 av. J.C. annexe la Numidie qui devient l'Africa
Nova.
Sous
l'Empire romain le pays connaît une grande prospérité.
Le christianisme trouve là l'un de ses bastions occidentaux,
avec des docteurs comme saint Augustin, saint Cyprien, Tertullien.
La
Tunisie romaine atteint son apogée avec les Sévères,
d'origine africaine.
Le
pays subit ensuite l'invasion destructrice des Vandales, peuple
germanique qui envahit la Gaule, puis l'Afrique romaine. Ce royaume
disparut en 533 lors de la conquête byzantine. Berbères
et Byzantins s'affrontent et c'est une province affaiblie que
vont affronter au VIIe siècle les Arabes musulmans.
Le
christianisme et la latinité sont peu à peu submergé
par l'islamisation et l'arabisation.
Les
dynasties des Abbassides, Arhlabides, Fatimides, Zirides, Hilaliens,
Normands, Hafsides, plus tard les Marinides, se succèdent.
Plus
tard les républiques italiennes, la Sicile et l'Aragon
entretiennent des colonies marchandes à Tunis, tandis qu'une
forte immigration andalouse (Musulmans et Juifs) contribue à
enrichir le patrimoine artistique, littéraire et religieux
du pays.
En
1270 la Tunisie repousse l'armée de Saint Louis (Louis
IX), qui meurt sous les murs de Tunis.
En
1535 Charles Quint impose sa suzeraineté aux Hafsides ce
qui provoque l'intervention des corsaires turcs. La Tunisie devient
un pachalik ottoman.
En
1881, le traité du Bardo établit un protectorat
français responsable de la diplomatie et de l'armée.
Ce régime laisse au bey (chef de l'armée) de Tunis
une apparence de souveraineté.
Auprès
du bey et du premier ministre un secrétaire général
est chargé de contrôler leurs décisions. Des
directeurs techniques se substituent en fait aux ministres tunisiens.
L'occupation
de la Régence met l'élite tunisienne en contact
plus étroit avec l'Europe et avive le courant réformiste.
C'est dans cet esprit que deux associations tunisiennes se transforment
en mouvements politiques. Devenues le lieu de rencontre de jeunes
Tunisiens de formation traditionaliste, elles contribuent à
la prise de conscience nationale de l'élite tunisienne.
Après
la Première Guerre Mondiale, le parti des jeunes Tunisiens
se transforme occultement en parti tunisien qui va engager une
action en faveur d'une Constitution : Le Destour (1920) suivie
du Néo-Destour (1934) dont Ali Bourguiba est le secrétaire
général.
Contrairement
au Vieux-Destour, qui s'appuie essentiellement sur la bourgeoisie
conservatrice et l'aristocratie tunisienne, le Néo-Destour
recrute ses adeptes parmi la petite bourgeoisie, les fonctionnaires
et les petits employés. Ses cadres sont pour la plupart,
des intellectuels d'origine modeste, nourris, sur les bancs des
facultés françaises, des grand principes de la révolution
de 1789.
Alors
que le Vieux-Destour est panarabe et musulman, au sein du néo-Destour
le nationalisme l'emporte sur le panarabisme et la laïcité
sur l'esprit religieux. Il fonde sa propagande sur la souveraineté
populaire, la neutralité confessionnelle et la séparation
des pouvoirs. C'est sur cette base qu'il engage dès sa
naissance la lutte contre le protectorat.
La
tension subsiste lorsque les troupes allemandes occupent la Tunisie
le 11 novembre 1942.
Après
la défaite de l'Axe, le Néo-Destour, fort de son
loyalisme pendant la guerre et la participation de nombreux Tunisiens
à la libération de la France, place ses espoirs
dans le gouvernement du général de Gaulle.
Malgré
la volonté d'apaisement du résident Jean Mons en
1947, à Sfax, une grève prend le caractère
d'une protestation politique.
Mais
ce ne sera qu'en 1952, que le président du Conseil, Edgar
Faure, parlera de la nécessité de réformes
en Tunisie. Pierre Mendès France, devenu président
du Conseil en 1954, décide d'agir : Bourguiba est autorisé
à résider près de Montargis. Le 30 juillet,
Mendès France fait approuver par le gouvernement le régime
d'autonomie interne pour la Tunisie.
En
1964, le président Bourguiba est triomphalement réélu
à la présidence de la république pour 5 ans.
En 1965, il prêche le réalisme et la modération
envers Israël au cours d'un périple dans les pays
arabes.
Mais
ses initiatives seront vivement critiquées dans le monde
arabe, et une rupture des relations diplomatiques se produira
entre Tunis et Le Caire d'octobre 1966 à juin 1967.
A
En 1975 est élu président à vie.
Bibliographie du résumé de l'histoire de
la Tunisie : La grande encyclopédie Larousse.
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