Boris PASTERNAK

La nuit d'hiver

La neige volait, inlassable,
Partout volait,
La chandelle sur notre table
Brûlait, brûlait…

Comme en été les éphémères,
Les flocons blancs
A la fenêtre de lumière
Venaient volant.

Ils la décoraient d'innombrables
Traits étoilés ;
La chandelle sur notre table
Brûlait, brûlait…

Sur le plafond couraient des ombres
De pieds, de mains,
Qui se croisaient dans la pénombre,
Tels nos destins.

Puis, de petits souliers tombaient
Sur le plancher ;
Un pleur de cire sur ta robe
Qui s'épanchait…

Dans la rafale impénétrable
Tout basculait,
La chandelle sur notre table
Brûlait, brûlait…

Sur sa flamme soufflait un vent
D'ardeur étrange,
De grandes ailes se croisant,
Comme un ange.

En février d'interminables
Flocons volaient,
La chandelle sur notre table
Brûlait, brûlait…

(La nuit d'hiver, Docteur Jivago)

La neige est drue et forte,
Il neige sur les toits.
Je sors devant la porte.
Devant moi je te vois.

Dans un manteau d'automne,
Sans chapeau, sans sabots,
Tu trembles, tu t'étonnes,
Mâchant des flocons d'eau.

Les arbres, les clôtures
Se noient dans le brouillard.
Seule, au coin du mur,
Tu te tiens à l'écart.

De ton fichu l'eau glisse
Lentement jusqu'aux gants,
Et sur tes cheveux lisses
L'eau scintille en tremblant.

Et une blonde mèche
Eclaire ton fichu,
Ta figure si fraîche,
Ton petit pardessus.

Sur tes cils fond la neige,
Tes yeux sont attristés.
Ton visage, pensé-je,
D'un seul bloc est sculpté.

Ton visage en épure
Comme par de l'airain
Marqué de noircissure
Et mon cœur est empreint.

Il garde en souvenance
La douceur de ces traits,
Aussi quelle importance
Si le monde est mal faits ?

Aussi la nuit de neige
Paraît scindée en deux ;
Des frontières n'osé-je
Tracer entre nous deux.

Mais qui donc sommes-nous
Quand il ne restera de ces temps que ragots
Et de nous que les cendres ?
(Vers du Docteur Jivago).

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