Pierre de RONSARD

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.


Le temps s'en va, le temps s'en va Madame
Las le temps ! non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame.
Le temps s'en va, le temps s'en va Madame

Je vous envoie un bouquet, que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanouies ;
Qui ne les eût à ces vêpres cueillies,
Chutes à terre elles fussent demain.

Le temps s'en va, le temps s'en va Madame
Las le temps ! non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame.
Le temps s'en va, le temps s'en va Madame

Ceci vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.

Le temps s'en va, le temps s'en va Madame
Las le temps ! non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame.
Le temps s'en va, le temps s'en va Madame.


Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louanges immortelles.

Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain ;
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Sonnets pour Hélène II, 43


L'an se rajeunissait en sa verte jouvence
Quand je m'épris de vous, ma Sinope cruelle ;
Seize ans étaient la fleur de votre âge nouvelle,
Et votre teint sentait encore son enfance.

Vous aviez d'une infante encor la contenance,
La parole, et le pas ; votre bouche était belle,
Votre front et vos mains dignes d'une Immortelle,
Et votre œil, qui me faisait trépasser quand j'y pense.

Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit,
Dans un marbre, en mon cœur d'un trait les écrivit ;
Et si pour le jourd'hui vos beautés si parfaites

Ne sont comme autrefois, je n'en suis moins ravi,
Car je n'ai pas égard à cela que vous êtes,
Mais au doux souvenir des beautés que je vis.
Pièces retranchées, Sonnets

 

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