VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
A
Madame du Châtelet
Si vous voulez que j'aime encore,
Rendez-moi l'âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s'il se peut, l'aurore
Des
beaux lieux où le dieu du vin
Avec l'Amour tien son empire,
Le temps, qui me prend par la main,
M'avertit que je me retire.
De
son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.
Qui n'a pas l'esprit de son âge,
De son âge a tout le malheur.
Laissons
à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements.
Nous ne vivons que deux moments :
Qu'il en soit un pour la sagesse.
Quoi
! pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel, qui me consoliez
Des amertumes de la vie !
On
meurt deux fois, je le vois bien :
Cesser d'aimer et d'être aimable,
C'est une mort insupportable ;
Cesser de vivre ce n'est rien.
Ainsi
je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme aux désirs ouverte,
Regrettait ses égarements.
Du
ciel alors daignant descendre,
L'Amitié vint à mon secours ;
Elle était peut-être aussi tendre,
Mais moins vive que les Amours.
Touché
de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis ; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu'elle.
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