Cesare PAVESE

La mort viendra et elle aura tes yeux -
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu'au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.

22 mars 1950


You, Wind of march

Tu es la vie et la mort,
Tu es venue en mars
sur la terre nue -
et ton frisson dure.
Sang de printemps
- anémone ou nuage -
ton pas léger
a violé la terre.
La douleur recommence.

Ton pas léger
a rouvert la douleur.
La terre était froide
sous un pauvre ciel,
immobile et fermée
dans la torpeur d'un rêve,
comme après la souffrance.
Et la glace était douce
dans le coeur profond.
Entre vie et mort
l'espoir se taisait.

Maintenant ce qui vit
a une voix et un sang. Maintenant terre et ciel
sont un frisson puissant,
l'espérance les tord,
le matin les bouleverse, ton pas et ton haleine
d'aurore les submergent.
Sang de printemps,
toute la terre tremble

d'un ancien tremblement.

Tu as rouvert la douleur.
Tu es la vie et la mort.
Sur la terre nue,
tu es passée légère,
hirondelle ou nuage,
et le torrent du coeur
s'est réveillé, déferle,
se reflète dans le ciel
et reflète les choses -
et les choses, dans le ciel, dans le coeur,
souffrent et se tordent
dans l'attente de toi.
C'est le matin, l'aurore,
sang de printemps,
tu as violé la terre.

L'espérance se tord,
et t'attend et t'appelle.
Tu es la vie et la mort.
Ton pas est léger.

25 mars 1950.

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