Georges BRASSENS

Il est morne il est taciturne
Il préside aux choses du temps
Il porte un joli nom Saturne
Mais c'est un dieu fort inquiétant

En allant son chemin morose
Pour se désennuyer un peu
Il joue à basculer les roses
Le temps tue le temps comme il peut


SATURNE


Cette saison c'est toi ma belle
Qui a fait les frais de son jeu
Toi qui as payé la gabelle
Un grain de sel dans tes cheveux

C'est pas vilain les fleurs d'automne
Et tous les poètes l'ont dit
Je te regarde et je te donne
Mon billet qu'ils n'ont pas menti

Viens encore viens ma favorite
Descendons ensemble au jardin
Viens effeuiller la marguerite
De l'été de la Saint-Martin

Je sais par coeur toutes tes grâces
Et pour me les faire oublier
Il faudra que Saturne en fasse
Des tours d'horloge de sablier

Et la petit'pisseus' d'en face
Peut bien aller se rhabiller

(1962)

Le temps passé

Dans les comptes d'apothicaire
Vingt ans, c'est un' somm' de bonheur
Mes vingt ans sont morts à la guerre
De l'autr' côté du champ d'honneur
Si j'connus un temps de chien, certes
C'est bien le temps de mes vingt ans
Cependant, je pleure sa perte
Il est mort, c'était le bon temps

Il est toujours joli, le temps passé
Un' fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types

Dans ta petit' mémoire de lièvre
Bécassine, il t'est souvenu
De notre amour du coin des lèvres
Amour nul et non avenu
Amour d'un sou qui n'allait, certes
Guèr' plus loin que le bout d'son lit
Cependant, nous pleurons sa perte
Il est mort, il est embelli

Il est toujours joli, le temps passé
Un' fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types

J'ai mis ma tenue la plus sombre
Et mon masque d'enterrement
Pour conduire au royaum' des ombres
Un paquet de vieux ossements
La terr' n'a jamais produit, certes
De canaille plus consommée
Cependant, nous pleurons sa perte
Elle est morte, elle est embaumée

Il est toujours joli, le temps passé
Un' fois qu'ils ont cassé leur pipe
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés
Les morts sont tous des braves types

J'ai rendez-vous avec vous

Monseigneur l'astre solaire
Comm' je n'l'admir' pas beaucoup
M'enlèv' son feu, oui mais, d'son feu, moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
La lumièr' que je préfère
C'est cell' de vos yeux jaloux
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous !

Monsieur mon propriétaire
Comm' je lui dévaste tout
M'chass' de son toit, oui mais, d'son toit, moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
La demeur' que je préfère
C'est votre robe à froufrous
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous !

Madame ma gargotière
Comm' je lui dois trop de sous
M'chass' de sa tabl', oui mais, d'sa tabl', moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
Le menu que je préfère
C'est la chair de votre cou
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous !

Sa Majesté financière
Comm' je n'fais rien à son goût
Garde son or, or, de son or, moi j'm'en fous
J'ai rendez-vous avec vous
La fortun' que je préfère
C'est votre cœur d'amadou
Tout le restant m'indiffère
J'ai rendez-vous avec vous !

Les amoureux des bancs publics

Les gens qui voient de travers Pensent que les bancs verts
Qu'on voit sur les trottoirs
Sont faits pour les impotents ou les ventripotents
Mais c'est une absurdité
Car à la vérité
Ils sont là, c'est notoire,
Pour accueillir quelques temps les amours débutantes

Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'foutant pas mal du r'gard oblique
Des passants honêtes.
Les amoureux qui s'bécotent sur les bancs publics
Bancs publics, bancs publics
En s'disant des "je t'aime" pathétiques
Ont des p'tites gueules bien sympathiques.

Ils se tiennent par la main
Parlent du lendemain
Du papier bleu d'azur
Que revêtiront les murs de leur chambre à coucher
Ils se voient déjà douc'ment
Ell' cousant lui fumant
Dans un bien être sûr
Et choisissent les prénoms de leur premier bébé.

Quand la saint'famille Machin
Croise sur son chemin deux de ces malapris
Elle leur décoche hardiment des propos venimeux
N'empêch'que toute la famille
Le père, la mère, le fille, le fils le "saint esprit"
Voudrait bien de temps en temps pouvoir s'conduire comme eux.

Quand les mois auront passés
Quand seront apaisés
Leurs beaux rêves flambants
Quand leur ciel se couvrira de gros nuages lourds
Ils s'apercevront émus
Qu'c'est au hasard des rues
Sur un d'ces fameux bancs
Qu'ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour.



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