"Je
suis fait véritablement, mon ami, d'un malheureux esprit
qui n'est jamais bien sûr d'avoir compris ce qu'il a
compris sans s'en apercevoir. Je discerne fort mal ce qui
est clair sans réflexion de ce qui est positivement
obscur.... Cette faiblesse, sans doute, est le principe de
mes ténébres. Je me méfie de tous les
mots, car la moindre méditation rend absurde que l'on
s'y fie. J'en suis venu, hélas, à comparer ces
paroles par lesquelles on traverse si lestement l'espace d'une
pensée à des planches légères
jetées sur un abîme, qui souffrent le passage
et point la station. L'homme en vif mouvement les emprunte
et se sauve ; mais qu'il insiste le moins du monde, ce peu
de temps les rompt et tout s'en va dans les profondeurs. Qui
se hâte à compris ; il ne faut point s'appesantir
: on trouverait bientôt que les plus clairs discours
sont tissus de termes obscurs".
"Paris
enferme et combine, et consomme ou consume la plupart des
brillants infortunés que leurs destins ont appelés
aux professions délirantes.... Je nomme ainsi
tous ces métiers dont le principal instrument est l'opinion
que l'on a de soi-même, et dont la matière première
est l'opinion que les autres ont de vous. Les personnes qui
les exercent, vouées à une éternelle
candidature, sont nécessairement toujours affligées
d'un certain délire des grandeurs qu'un certain délire
de la persécution traverse et tourmente sans répit.
Chez ce peuple d'uniques règne la loi de faire ce que
nul n'a jamais fait, et que nul jamais ne fera. C'est du moins
la loi des meilleurs, cest à dire de ceux qui
ont le coeur de vouloir nettement quelque chose d'absurde....
Ils ne vivent que pour obtenir et rendre durable l'illusion
d'être seuls, - car la supériorité n'est
qu'une solitude située sur les limites actuelles d'une
espèce. Ils fondent chacun son existence sur l'inexistance
des autres, mais auxquels il faut arracher leur consentement
qu'ils n'existent pas ...."