Oh,
je voudrais tant que tu te souviennes,
Des jours heureux quand nous étions amis,
Dans ce temps là, la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Tu vois je n'ai pas oublié.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,
Et le vent du nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
C'est une chanson, qui nous ressemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis...
Jacques
PREVERT / Kosma
Barbara
Rappelle-toi
Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
Dans
un square sur un banc
Il y a un homme qui vous appelle quand on passe
Il a des binocles un vieux costume gris il fume un petit ninas il
est assis
Et il vous appelle quand on passe
Ou simplement il vous fait signe
Il ne faut pas le regarder
Il ne faut pas l'écouter
Il faut passer
Faire comme si on ne le voyait pas
Comme si on ne l'entendait pas
Il faut passer, presser le pas
Si vous le regardez
Si vous l'écoutez
Il vous fait signe et rien, personne
Ne peut vous empêcher d'aller vous asseoir près de lui
Alors il vous regarde et sourit
Et vous souffrez atrocement
Et l'homme continue de sourire
Et vous souriez du même sourire
Exactement
Plus vous souriez plus vous souffrez
Atrocement
Plus vous souffrez plus vous souriez
Irrémédiablement
Et vous restez là
Assis figé
Souriant sur le banc
Des enfant jouent près de vous
Des passant passent
Tranquillement
Des oiseaux s'envolent
Quittant un arbre
Pour un autre
Et vous restez là
Sur le banc
Et vous savez vous savez
Que jamais plus vous ne jouerez
Comme ces enfants
Vous savez que jamais plus vous ne passerez
Tranquillement
Comme ces passants
Que jamais plus vous ne vous envolerez quittant un arbre pour un autre
Comme ces oiseaux
Tant
bien que mal
Ils sont marrants les êtres
Vous tout comme moi
Moi
tout comme vous
Et
c'est pas du théâtre c'est la vie c'est partout
Ils sont marrants les êtres
En
entrant chez les autres il y en a qui tombent bien il y en a qui tombent
mal
A
celui qui tombe bien on dit
Vous
tombez bien et on lui offre à boire et une chaise où s'asseoir
A
celui qui tombe mal personne ne lui dit rien
Ils
sont marrants les êtres qui tombent chez les uns qui tombent chez
les autres ils sont marrants les êtres
Celui
qui tombe mal une fois la porte au nez retombe dans l'escalier et
l'autre passe dessus à grandes enjambées
Quand il regagne la rue après s'être relevé il passe
inaperçu oublié effacé
La
pluie tombe sur lui et tombe aussi la nuit
Ils sont marrants les êtres
Ils
tombent ils tombent toujours ils tombent comme la nuit et se lèvent
comme le jour.
Dans
la nuit de l'hiver
Galope
un grand homme blanc
Dans
la nuit de l'hiver
Galope
un grand homme blanc
C'est
un bonhomme de neige
Poursuivi
par le froid.
Il
arrive au village.
Voyant
de la lumière
Le
voilà rassuré.
Dans
une petite maison
In
entre sans frapper ;
Et
pour se réchauffer,
S'assoit
sur le poêle rouge,
Et
d'un coup disparaît.
Ne
laissant que sa pipe
Au
milieu d'une flaque d'eau,
Ne
laissant que sa pipe,
Et
puis son vieux chapeau.
Le
Miroir brisé
Le
petit homme qui chantait sans cesse
le petit homme qui dansait dans ma tête
le petit homme de la jeunesse
a cassé son lacet de soulier
et toutes les baraques de la fête
tout d'un coup se sont écroulées
et dans le silence de cette fête
dans le désert de cette fête
j'ai entendu ta voix heureuse
ta voix déchirée et fragile
enfantine et désolée
venant de loin et qui m'appelait
et j'ai mis ma main sur mon cur
où remuaient
ensanglantés
les sept éclats de glace de ton rire étoilé.
Les
ombres
Tu
es là
en face de moi
dans la lumière de l'amour
Et moi
je suis là
en face de toi
avec la musique du bonheur
Mais ton ombre
sur le mur
guette tous les instants
de mes jours
et mon ombre à moi
fait de même
épiant ta liberté
Et pourtant je t'aime
et tu m'aimes
comme on aime le jour et la vie ou l'été
Mais comme les heures qui se suivent
et ne sonnent jamais ensemble
nos deux ombres se poursuivent
comme deux chiens de la même portée
détachés de la même chaîne
mais hostiles tous deux à l'amour
uniquement fidèles à leur ma^tre
a leur maîtresse
et qui attendent patiemment
mais tremblants de détresse
la séparation des amants
qui attendent
que notre vie s'achève
et notre amour
et que nos os leur soient jetés
pour s'en saisir
et le cacher et les enfouir
et s'enfouir
et s'enfouir en même temps
sous les cendres du désir
dans les débris du temps
Les
enfants qui s'aiment
Les
enfants qui s'aiment s'embrassent debout
Contre les portes de la nuit
Et les passants qui passent les désignent du doigt
Mais les enfants qui s'aiment
Ne sont là pour personne
Et c'est seulement leur ombre
Qui tremble dans la nuit
Excitant la rage des passants
Leur rage leur mépris leurs rires et leur envie
Les enfants qui s'aiment ne son là pour personne
Ils sont ailleurs bien plus loin que la nuit
Bien plus haut que le jour
Dans l'éblouissante clarté de leur premier amour.
Sanguine
La
fermeture éclair a glissé sur tes reins
Et tout l'orage heureux de ton corps amoureux
Au beau milieu de l'ombre
A éclaté soudain
Et ta robe en tombant sur le parqué ciré
N'a pas fait plus de bruit
Qu'une écorce d'orange tombant sur un tapis
Mais sous nos pieds
Ses petits boutons de nacre craquaient comme des pépins
Sanguine
Joli fruit
La pointe de ton sein
A tracé une nouvelle ligne de chance
Dans le creux de ma main
Sanguine
Joli fruit
Soleil de nuit
Chanson
des escargots qui vont à l'enterrement
A
l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpes autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dis
Ca noircit le blanc de l'il
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors
toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vraie chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un p'tit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
Démons
et merveilles
Démons
et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.
Sables
mouvants
Démons
et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Démons et merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement carressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.
Chanson
de l'oiseleur
L'oiseau
qui vole si doucement
L'oiseau rouge et tiède comme le sang
L'oiseau si tendre l'oiseau moqueur
L'oiseau qui soudain prend peur
L'oiseau qui soudain se cogne
L'oiseau qui voudrait s'enfuir
L'oiseau seul et affolé
L'oiseau qui voudrait vivre
L'oiseau qui voudrait chanter
L'oiseau qui voudrait crier
L'oiseau rouge et tiède comme le sang
L'oiseau qui vole si doucement
C'est ton coeur jolie enfant
Ton coeur qui bat de l'aile si tristement
Contre ton sein si dur si blanc
Osiris
ou la fuite en Égypte
C'est
la guerre c'est l'été
Déjà l'été encore la guerre
Et la ville isolée désolée
Sourit sourit encore
Sourit sourit quand même
De son doux regard d'été
Sourit doucement à ceux qui s'aiment
C'est la guerre c'est l'été
Un homme avec une femme
Marchent dans un musée désert
Ce musée c'est le Louvre
Cette ville c'est Paris
Et la fraicheur du monde
Est là tout endormie
Un gardien se réveille en entendant les pas
Appuie sur un bouton et retombe dans son rêve
Cependant qu'apparaît dans sa niche de pierre
La merveille de l'Égypte debout dans sa lumière
La statue d'Osiris vivante dans le bois mort
Vivante à faire mourir une nouvelle fois de plus
Toutes les idoles mortes des églises de Paris
Et les amants s'embrassent
Osiris les marie
Et puis rentre dans l'ombre
De sa vivante nuit.