RAOUL MILLE

"Le héros des deux mondes"



 

Synopsis

Maria vit à l'hôtel d'York entourée avec sa petite fille Mathilde qu'elle a élevée. Sa fille légitime Catherine, épouse de Pierre Joseph Arson, vit avec son fils Gonzague dans leur propriété à la villa Arson sur les hauteurs de Saint Barthélemy.

Son fils illégitime, Giovanni, a fui Nice et s'est réfugié à la Nouvelle Orléans. Giovanni et sa demi-sœur Catherine, ignorants leurs liens de parenté, se sont aimés autrefois d'un amour fou et platonique. Catherine n'a jamais rien su de lui, elle ne l'a pas oublié et continue de l'aimer en rêve. Seul Giovanni sait et il est parti pour fuir cet amour impossible. Entre temps Catherine s'est mariée au banquier Pierre-Joseph Arson dont elle a eu Mathilde et Gonzague.

Quant à Giovanni il a rencontré à la Nouvelle Orléans, Jemina, une jeune créole d'une très grande beauté, fragile et capricieuse.

Maria Tordo, la grand-mère fût l'héroïne des deux premiers tomes. Elle représente la femme méditerranéenne, éternelle, ancrée dans la terre du Comté. Maria a eu une vie aventureuse, elle a été au côté de Bonaparte lors des campagnes d'Italie. Jeune femme déterminée au tempérament de feu, elle a aimé plusieurs hommes : Benjamin, le jeune Anglais disciple de Rousseau, le colonel Masséna, le peintre Fragonard, sans oublier Martial Hureau, le capitaine et homme des missions secrètes.

Maria a enfin épousé Vincent Arson, propriétaire de l'hôtel d'York, père de sa fille Catherine.

Lorsque Garibaldi revient à Nice, après des années d'absence, Mathilde le rencontre à l'hôtel d'York et s'éprend de cet homme de 40 ans. Mathilde la romantique aime Garibaldi l'utopiste, le révolutionnaire humaniste.

Une fois Garibaldi parti, Mathilde part à sa recherche, parcourt l'Italie et le retrouve enfin à Rome lors des combats entre les garibaldiens et les Français placés sous le commandement du général Oudinot.

Garibaldi aime Anita, sa femme qui le suit partout. Mathilde souffre de jalousie. Obligés de fuir les Autrichiens, Garibaldi et sa troupe se réfugient dans les roseaux, Anita enceinte, mourra tragiquement au cours de cet exode.

Maria a suivi sa petite-fille sur les routes de l'Italie à sa recherche. Lorsqu'elle apprend qu'elle est prisonnière des Autrichiens, elle implore le général Oudinot d'intervenir en sa faveur. Le violoniste virtuose Monzone sollicite la grâce de Mathilde auprès du Prince Général autrichien qui est mélomane. Monzone obtient la libération de Mathilde qui épouse son sauveur. La société, sa mère, Maria elle-même l'ont poussée à accepter ce mariage, mais Mathilde aime toujours Garibaldi et se refuse à son mari.

Entre temps Giovanni est revenu à Nice en compagnie de sa femme Jemina. Gonzague (qui ne sait pas que Giovanni est son oncle) s'éprend de Jemina et l'enlève lors d'un bal donné en l'honneur de Garibaldi. Giovanni, meurtri dans son amour propre se suicide. Maria ne se remettra jamais tout à fait de cette mort dont elle se sent quelque part un peu responsable.

Mathilde vit deux mois de félicité aux côtés de Garibaldi, mais celui-ci s'ennuie et bientôt embarque pour Londres où l'attend un cutter étincelant et sa nouvelle fiancée Emma Robert.

Bientôt Gonzague s'aperçoit que Jemina n'est qu'une jeune femme frivole et légère, déçu dans son amour il se réfugie dans le travail et fonde le journal la Gazette de Nice. Mathilde collabore au journal et surtout écrit sur Garibaldi qui combat pour l'unité de l'Italie. Garibaldi est celui à qui elle donne naissance dans le labeur, jusqu'à l'épuisement.

Maria mourra un soir d'été, avant de s'éteindre elle confiera à Mathilde une lettre de Giovanni où celui-ci confesse à sa mère les raisons de son suicide.

Résumé

Mathilde aimait la douce rumeur de la librairie Visconti où elle trouvait les journaux et les revues de l'Europe entière. Cette Europe qui enfin bougeait, sortait du long sommeil de l'absolutisme.

Le Romantisme, le Risorgimento… ;les mots adorés, les mots qui font frémir, qui ouvrent la porte des rêves. Hugo, Vigny, Musset, Lamartine, elle les lisait à la lueur secrète et frissonnante d'une bougie.

Sa grand-mère Marie, qui l'avait élevée, avait fait de Mathilde une sauvageonne lettrée. Fille d'une hôtelière et d'un banquier épais, à 18 ans, Mathilde Arson n'avait rien d'une bourgeoise.

Ce jour là elle pénétra dans la grande salle de l'Hôtel d'York où l'on attendait avec espoir l'invité d'honneur de cette soirée de 1848, l'enfant du port, l'homme à la chemise rouge, Giuseppe Garibaldi.

Mathilde avait hâte de connaître cet homme dont les journaux racontaient les exploits là-bas, en Amérique du Sud, ce héros de la liberté brandissant sans cesse les idéaux d'indépendance et de liberté. Garibaldi le condamné à mort de 1834, le républicain, le socialiste, le conspirateur, l'aventurier.

Soudain, il fut là, sans que personne l'ait vu venir. Il était entouré de quelques-uns un de ses légionnaires. Ils portaient le pantalon blanc, la chemise rouge à parements verts. Marchant devant le général, un homme brandissait l'étendard de la légion garibaldienne, noir, avec en son milieu un volcan en flammes. De cet homme se dégageaient de la force et de la douleur, étrange mélange de puissance et de souffrance, du fer lézardé de failles inattendues. Il était là, sous ses yeux, cet homme de quarante ans, beau comme un prince de la Renaissance, vaillant comme un paysan derrière une charrue ou tirant un âne, dans les escarpements d'un chemin de campagne. Elle perçut son regard, jeune et flamboyant comme celui des chevaliers partant pour les croisades.

Des cris, des chants se firent entendre. Ils étaient 67 volontaires à vouloir suivre Garibaldi en Lombardie, au bout du monde s'il le fallait. En tête ; Gonzague, le jeune frère de Mathilde. Bravache, il était tout le contraire de son aînée, cultivant l'insolence, il affichait l'allure d'un jeune dandy. Il y avait chez lui la mélancolie à la Musset et la bravoure folle à la Byron.

Lorsque Garibaldi lui avait proposé de visiter son navire, La Speranza, ancré au large de Villefranche, Mathilde avait osé lui avouer qu'elle l'aimait. A partir de cette déclaration elle ne contrôla plus rien. Il l'accueillit sans un geste, sans fuir non plus. Elle était la petite fille que trop de tourments ont épuisée et qui s'endort près de l'âtre.

Ce soir là Mathilde est parvenue au Vallon du Magnan où s'étendent des mûriers et leurs cocons de vers à soie. Il fait nuit, elle vient ainsi chaque soir observer et s'imprégner de la vue de l'épouse de Garibaldi, Anita. A quoi peut ressembler la femme que le général a aimée ? Brune, avec une démarche de matrone, sa large bouche couleur de cerise, ses lèvres goulue, son menton volontaire et sa voix de jungle mêlant l'espagnol, le français et l'italien, une voix qui tient en laisse ses trois enfants, oh, comme cette Anita, effervescente, loquace, souffleuse de vent, lui ressemble peu !

Le comte Eugène Spitalieri de Cessole organisait chaque année des soirées musicales. Les invités, se pressaient dans le grand salon où conservateurs et libéraux se côtoyaient. Au programme de ce soir un compositeur inconnu : Mozart. André Monzone, un garçon de la bonne société de Turin qui ressemblait à un employé aux écritures, fit vibrer son instrument. Des douceurs et des caresses succédaient aux stridences de viol et de douleur. Un nouveau Paganini était né.

Durant toute la soirée Catherine avait observé sa fille. De voir Mathilde vivre une passion inespérée, ravivait sa plaie. Elle pensait à Giovanni. Ce bel italien mystérieux qui avait flatté ses vingt ans y laissant une marque indélébile avait disparu aussi brusquement qu'il était apparu, sans rien livrer de son secret. Maintenant elle était au déclin de sa jeunesse et Catherine ne pouvait s'empêcher de ressentir un frisson venu de loin, de très loin, un frisson d'injustice.

Garibaldi était à nouveau en ville. La malaria s'était emparée de lui, Anita le soignait. Mathilde lui rendit visite. Ses yeux noirs flamboyaient, il y avait dans le sillon lumineux de ce regard une certitude, une foi, une conviction que rien au monde n'aurait pu ébranler. Garibaldi réalisait que cette femme lui faisait peur, avec elle il se trouvait dans un domaine inconnu, une terre ensorcelée, quelque chose de magiquement incompréhensible. Il lui expliqua qu'à Livourne, en Toscane, en Sicile, à Rome la révolte continuait de gronder. Qu'il devait se mettre au service de la révolution et de la nation italienne. Que son devoir etait là. Où trouver la place pour l'amour dans le courant de ce que doit être sa vie maintenant ?

Une fois Garibaldi parti, Mathilde écrivit une lettre à sa mère " Je pars. J'ai loué un landau, deux chevaux et les services d'un cocher piémontais. Je pars pour cette Italie qui se construit chaque jour, un peu plus. Je pars au pays de l'amour, pour le rencontrer, le connaître et le vivre. J'entre en rébellion. Le peuple en moi s'est révolté, la partie étouffée, contrainte de mon être, cette partie invisible, rampante, muselée. Et tout cela pour un homme ! Certains hommes sont porteurs d'une partie de la grandeur de l'humanité. "

Depuis son départ de Nice, Mathilde marchait sur les traces du Général. De Gênes à Livourne, de Bologne à Ravenne, elle le cherchait. Lorsqu'elle arrivait, elle apprenait qu'il était parti. Elle avait traversé les pluies d'automne, elle avait couché dans les granges, mendié un peu de lait chaud lorsqu'un jour tout s'écroula, la volonté, la fierté, les certitudes, la passion même.

A Rome elle fut réveillée au son du canon. Les Français, le peuple qu'elle aimait le plus au monde, se battaient sur la colline virgilienne. Garibaldi et sa légion attaquaient. " Vive l'Italie ", criaient les garibaldiens. " Vive la République ", rétorquaient les hommes d'Oudinot qui se battaient pour la défense de cette République romaine, tombée aux mains d'aventuriers rebelles.

Mathilde se fit infirmière lorsqu'un jour la chance lui permit enfin de retrouver son Général blessé. Depuis des jours, elle veille, attentive, consolatrice, elle ne demande rien, n'exige rien, elle est là. Puis un jours, à midi, un courrier apporte la nouvelle, la femme du général, Anita, a quitté Nice pour rejoindre son mari. Elle est enceinte de six mois.

Partout le peuple acclamait Garibaldi et aimait Anita, le courage d'Anita, sa présence aux côtés du Général. On la célébrait, Mathilde en souffrait.

Puis les Français les harcelèrent, ils voulaient voir déguerpir les garibaldiens des Etats pontificaux. San Marino offrit une halte provisoire aux fuyards qui maintenant avancent à travers la campagne en direction de la mer. Anita exténuée agonise, toute la petite troupe sait qu'elle va bientôt mourir. Les Autrichiens sont là, ils arrivent dans un gros brigantin, la gueule des canons braquée sur eux. Giuseppe se réfugie dans les roseaux, Anita appuyée à son flanc. Sa respiration n'est plus qu'un faible râle. Giuseppe hurle, sa femme se meurt et il faut partir. Le lendemain on creuse un trou avec les mains et une pelle trop petite et on y fait descendre celle qui fut l'épouse du héros des deux mondes.

Maria avait suivi Mathilde sur les routes de l'Italie à sa recherche. A Rome elle décida de rendre visite au Général Oudinot car elle était convaincue qu'il ne pourrait refuser de recevoir l'ancienne maîtresse de Masséna. Le général lui promit de faire de son mieux. L'intuition de Maria ne fut pas déçue. Un matin elle reçut l'invitation au concert d'André Monzone au Palais du Quirinal. Oudinot l'attendait. " J'ai retrouvé votre petite-fille. Elle se trouve dans une forteresse à Bologne sous la responsabilité des Autrichiens. Elle s'est fourrée dans un guêpier infernal. Elle a été jugée et condamnée à être fusillée. Fort heureusement le Prince Général est mélomane et André Monzone est prêt à solliciter la grâce de votre enfant. "

Le violoniste virtuose qui lui a sauvé la vie a demandé Mathilde en mariage. La société, sa mère, Maria elle-même l'ont mariée avec son sauver, mais cet homme qui dit l'aimer ne peut la posséder. Mathilde s'y refuse. Aurait-elle parcouru les routes, bravé la guerre et la mort pour un homme pour aussitôt s'abandonner à un autre ? Grâce à Dieu le virtuose voyage, Mathilde a fermement refusé de le suivre, prétextant la pérennité des maux féminins. Après bien d'années d'errance à travers les villes du monde, Monzone, atteint de phtisie viendra mourir auprès de sa femme qui le soignera avec compassion.

Giovanni avait fui Nice, l'Europe, pour échapper au poids de la religion, à cette contrainte qui l'avait fait refuser la transgression d'un amour avec Catherine, sa demi-sœur. Aujourd'hui il revenait au pays avec sa jeune femme Jemina qu'il avait rencontrée à la Nouvelle-Orléans. Maria l'attendait. Beau, le visage cuivré, les tempes argentées, son fils, cet homme plein, à la carrure déployée, dans la force de l'âge. Leurs yeux disaient tout. Ils se retrouvaient, blanchis, meurtris, inchangés pourtant.

Gonzague plaisait aux femmes. L'œil charbonneux, le timbre de voix un peu emphatique, le geste théâtral, le regard fiévreux, il ressemblait à un dandy. La vision de Jemina dans le salon de l'hôtel Chauvain, au bras d'un mari plus âgé qu'elle, avait éveillé sa curiosité. Cette créole aux lèvres cerise avait occupé son esprit. Un jour il la chercha, la suivit et l'aborda chez le libraire Visconti. Le lendemain ils se retrouvèrent et prirent l'habitude de se rencontrer parmi les ruines de la colline du Château.

Pendant ce temps Giovanni arpentait les vignobles, passait ses journées dans les collines autour de Nice, parlait avec les paysans. De ces rencontres était née sa passion pour les produits de la terre. Puis l'idée lui était venue de créer une plantation d'œillets américains. Jemina accompagnait parfois Giovanni dans la propriété en chantier. Elle s'asseyait à l'ombre d'un tilleul, lisait un livre d'Alexandre Dumas en boudant. Elle aimait Gonzague, ce presque inconnu, ce jeune homme au visage de gravure romantique.

A la mort du banquier Pierre Joseph Arson, son père, Gonzague avait endossé la responsabilité du notable, il marchait plus raide, il vérifiait dans les miroirs qu'il ressemblait bien à quelqu'un d'important. Soudain il s'était senti honteux de cette liaison avec une femme mariée à un homme charmant, un époux attentionné. Et cependant il savait qu'il la lui fallait, qu'il l'enlèverait, qu'elle deviendrait la nouvelle Mme Arson et que tout serait dit.

Un jour Garibaldi fut une fois de plus de retour. Au bal donné en son honneur dans les salons de la villa des Arson, Jemina et Gonzague se retrouvèrent. Ce soir là Giovanni comprit, il aurait fallu être aveugle pour ne pas s'apercevoir des liens qui existaient entre ces deux jeunes gens. Il revit aussi Catherine, sa demi-sœur. Celle-ci ne l'avait jamais oublié, n'avait pas oublié son seul amour, son malheureux amour. Maria n'avait jamais révélé à sa fille qui il était. Giovanni était le seul à connaître les liens de parenté qui les unissaient.

Pour Mathilde ce furent deux mois de félicité à côté de Giuseppe. Vif, fulgurant, presque brutal, il ne l'aime que dans la précipitation, la hâte. Il évoque l'île qu'il veut acheter, une île perdue, il vivra là-bas avec des ânes, des mules, des poules, il se moquera de la marche du monde, de la médiocrité et de la lâcheté des hommes. Déjà la lassitude pointait chez Giuseppe, il ne prenait pas la peine de la dissimuler. Il se sentait prisonnier d'une prison où les barreaux étaient constitués de répétitions et d'ennui. L'aventure lui manquait.

Bientôt il partira pour Gênes et de là embarquera pour Londres où l'attend un cutter étincelant qu'il baptisera Emma en hommage à sa riche donatrice Lady Emma Robert, sa fiancée. Plus tard ayant rompu avec elle il reviendra à Nice accompagné d'une américaine nommée Jessie Wite.

Maria, depuis l'enlèvement de Jemina s'est enfermée dans un silence de mort d'où elle ne sortira qu'à la mort de Giovanni. Son fils avant de mettre fin à ses jours lui a adressé une lettre où il l'exhorte à sortir de son silence et lui donne les raisons de son acte désespéré. Une femme, Jemina en est la cause.

Bientôt Gonzague s'aperçoit qu'il ne reste que peu de chose de sa furie amoureuse. Lorsqu'il considère raisonnablement Jemina, elle lui paraît tel un oiseau, une sorte de colibri fragile et capricieux. Désormais le journal qu'il a fondé, La Gazette de Nice, est devenu le centre de sa vie. Mathilde collabore au journal, des chroniques, de préférence consacrées à la poésie et aux nouveautés littéraires et surtout elle écrit sur Garibaldi. Parfois l'image se brouille, bascule du côté du héros ou sombre dans les méandres d'un homme incertain. Dans sa solitude, Garibaldi est celui à qui elle donne naissance dans le labeur, jusqu'à l'épuisement.

A la fin de 1860 le traité d'annexion de Nice à la France est voté par le parlement de Turin. Et tandis que la ville s'enfonce dans la France, Garibaldi s'enfonce dans la Sicile à la tête de mille hommes. Garibaldi ne fait plus qu'un avec son rêve, le monde entier voit en lui le héros moderne, le libérateur des opprimés, le père de cette nation italienne dont il a pétri la pâte avec tant de foi et de persévérance.

Commentaires

C'est autour de Garibaldi que se tisse l'épopée du héros des deux mondes. Le héros revient en terre natale après avoir mené la vie d'un véritable Che Guevara en Amérique du Sud où il s'est réfugié après sa condamnation à mort à Gênes en 1834. L'homme à la chemise rouge, révolutionnaire humaniste, contestataire, habité par un idéal universel, est évidemment l'homme idéal pour le projet dont on parle, la réunification de l'Italie. En cette année 1848 où l'Europe est en ébullition, Giuseppe Garibaldi revient donc dans sa ville natale où une réception est donnée en son honneur en l'hôtel d'York près de l'actuelle place du palais de justice appelée alors Place Saint Dominique. Tous les notables et intellectuels sont là, on veut le voir, on veut l'entendre. La fougue utopique de Garibaldi enthousiasme les foules. Dans l'assistance, des personnages forts, nés de l'imagination de Raoul Mille comme Mathilde ou Marie, tellement crédibles que la question se pose tout naturellement : mais n'ont-ils pas réellement vécu ?; et d'autres tout à fait réels dont les noms figurent aujourd'hui sur quelques plaques des rues de Nice, tels Carlone, François Guisol, ou encore Arson….Garibaldi retrouve la langue de son enfance, et en profite pour rencontrer tous ceux qui veulent s'engager sous sa bannière pour cette Italie nouvelle.

Le héros des deux mondes est une fresque historique, un roman populaire. C'est en même temps un tableau de Nice au début du XIXe siècle. Un récit où l'on se promène dans les rues et l'histoire, où l'on côtoie les grands hommes qui ont fait cette ville, au premier rang desquels : Garibaldi.

En arrière plan donc, la vie de Nice et des niçois à cette époque. Erudition et imagination se relient tout au long de ce roman qui nous offre le portrait d'une société, d'une actualité politique des ces années 1848-1855 qui est très riche en événements.

En ce temps là les conservateurs et les libéraux défendent leurs idées qui sont bien partagées. Il y a ceux qui perçoivent le souffle des idées nouvelles et ceux qui les refusent. Au sujet de Garibaldi les opinions aussi sont différentes. Du côté des curés et de leurs amis, on pense que c'est un dangereux aventurier, un franc-maçon sans foi ni Dieu, du côté des bourgeois on ne se prononce pas, on attend.

Les libéraux sont de tout cœur avec lui. Le peuple l'ignore, sauf les habitants du port et quelques marins qui se souviennent de lui.

La société est divisée en des clans bien distincts. D'un côté les nobles comme le comte De Cessole, les Falicon, les Tonduti, les Trinchieri, vieilles familles qui ont servi la Maison de Savoie, conclu des mariages avec la noblesse d'Espagne, de France, de Sicile, de Sardaigne.

De l'autre côté, les Carlone, les Juge, les Avigdor, les Arson ont le poids de l'argent. Tous ont survécu à l'invasion française, à la Révolution, à l'Empire, à Napoléon, et sont revenus à la tête des affaires.

En 1848 on note la présence des garibaldiens qui vont se battre contre les Autrichiens, pour la Lombardie, pour l'unité de l'Italie, pour qu'elle ne soit plus un vœu pieux sur des chiffons de papiers, mais un pays, une nation, un peuple. Des déserteurs de l'armée, évadés des prisons, vieux carbonari fuyant la poigne de fer des Autrichiens, libéraux abasourdis par la folle répression de Ferdinand de Sicile qui s'offre dans le sang le rêve d'un pouvoir grandiose. A ces rebelles, à ces opprimés, se mêlent les utopistes, les mystiques. Aux illuminés viennent se joindre les aventuriers, cortège hirsute, haillonneux.

Les paysans craignent pour leur bétail, regardent avec terreur cette bande de débraillés qui ressemblent plus à des bandits de grand chemin qu'à des militaires. Au seul nom du général, les vieilles se signent plusieurs fois en embrassant la médaille qui pend à leur cou.

La presse, elle aussi est partagée, L'avenir de Nice, le quotidien de Carlone, porteur de certitudes se tourne vers la France. La Gazette, tenue par Gonzague Arson reste fidèle à une tradition, à un terroir. Article après article La Gazette défend des idées d'indépendance, une indépendance républicaine, démocratique capable de défendre la mémoire de Nice, son âme, sa langue. Dans les rues de la cité on a vu se succéder les soldats français, puis ceux du royaume du Piémont. A chaque fois on a vu surgir un monde nouveau mais aussi résister l'âme niçoise. Déjà dans " Le paradis des tempêtes " Raoul Mille écrivait " ….nous autres du Comté, nous avons à préserver notre caractère, nos coutumes. Pour la bonne raison que nous sommes à l'abri du reste du monde…Je préfère la servitude entre nous que la liberté octroyée par des français…).

Déchirée entre la France et l'Italie, Nice est une ville qui cherche son identité. Théâtre de l'agitation et de l'inconstance, creuset d'intrigues, de passions contrariées Nice est une passerelle fragile entre deux mondes. Conteur neutre, Raoul Mille relate la lutte des classes qui opposait la population à ce moment de l'histoire de ce pays et nous brosse l'esquisse d'une société diversifiée et antagoniste. Au moment de son annexion à la France, dont elle était assez éloignée du point de vue culturel, ses habitants ont eu à choisir entre deux nations. Et les raisons du glissement de l'opinion vers la France semblent dues à d'anciennes relations entre Nice et la France, à des intérêts économiques de la cité, négligés par un royaume sarde dont le centre de gravité se déplaçait vers l'Italie centrale.

Il faut savoir que la plus grande partie de la production d'huile d'olive était vendue à la France. Il en était de même pour les oranges, pour les citrons. Nice vendait à la France et lui achetait les meubles, les tissus, les bougies, les allumettes.

Victor Emmanuel avait réduit à rien le port de Nice, préférant transférer l'arsenal de Villefranche à la Spezia, à côté de Gênes, et un chemin de fer était d'ailleurs en construction entre Turin et Gênes, tandis que pour Nice il n'y avait aucun projet, ni route, ni chemin de fer. La France semblait servir les intérêts économiques. De plus chaque Niçois sent au moment du référendum que le sort de la ville est, quel que soit le choix personnel qui va faire, déjà tranché.

En effet une convention secrète entre Cavour et Napoléon III, avait décidé la cession de Nice et la Savoie à la France sous réserve du vote des habitants). Autant alors, puisque c'est le sentiment et l'intérêt général, entériner ce que les Etats ont décidé.

A partir de l'histoire dans son authenticité Raoul Mille a surtout écrit un roman d'amour dans lequel tous les personnages vivent un rêve secret. En premier plan une héroïne, Mathilde, une romantique animée par son amour pour Garibaldi et attirée par ses utopies. Et Mille va suivre ce héros jusqu'en Italie, contant les séquences d'un parcours mouvementé peuplé de grandes heures, d'actions désespérées, de drames, et d'espoirs qui renaissent sans fin. Si le cadre donc est historique, Raoul Mille nous parle de choses permanentes, de sentiments humains et éternels

Dans ce troisième et dernier tome de la saga " Le paradis des tempêtes ", nous retrouvons, Maria, Catherine, Giovanni, personnages attachants qui nous avaient déjà émus dans les tomes précédents.

Il y a Maria, grand-mère de Mathilde qui a été cantinière de l'Empereur Bonaparte. Maria " inchangée, incorruptible au temps ", l'ancienne amoureuse aux amants si dissemblables, riche de ses rencontres. Maria Tordo la fille du peuple au caractère trempé qui avait appris dans sa jeunesse les bonheurs de la lecture avec Benjamin, l'Anglais, disciple de Rousseau et des Encyclopédistes ; avait appris à combattre avec Masséna, le rustre au vigoureux tempérament, le " fils de marchand de vermicelle " qui deviendra général. Sans oublier le peintre Fragonard, l'artiste cloître dans sa maison à Grasse. Giovanni et Catherine, ses enfants, nés de deux relations différentes, enfants amoureux l'un de l'autre, ignorants de leurs liens de parenté.

Les enfants perdus de l'empereur, Le Paradis des tempêtes (prix Baie-des-Anges) nous avaient raconté ces personnages de l'histoire dont la dimension n'a d'égale que leur surprenante complexité, personnages qui ont foulé un jour le sol de la Riviera.

L'histoire du Comté de Nice se prête aux fresques littéraires. Ville en proie aux bouleversements, ville majestueuse et souveraine, ville de brassages, creuset d'intrigues et de conspirations, Nice est une ville tourmentée qui ne se rallie jamais vraiment. Les grands vents de l'histoire l'ont traversée, mais la vie a toujours été la plus forte et ses habitants n'ont été que plus riches de toutes ses influences diverses.

Depuis longtemps une relation mystérieuse s'est instaurée entre l'écrivain et le lieu et ce roman a fourni à Raoul Mille un prétexte pour conter un pays, ses parfums, sa sensualité, sa beauté sauvage, le feu de sa vie. Tel un peintre, Raoul Mille dépeint la beauté du lieu en ajoutant de la couleur dans les mots.

Et c'est ainsi que l'ancienne librairie Visconti, les lavandières du paillon, une recette de cardons, le bonheur d'une polenta, le fracas des vagues donnent vie à des images, venues d'un autre temps et qui cependant nous semblent familières.

Extrait

" C'était jour de lessive, dans le soleil pétillant du matin, le linge se déployait sur la roche et les gravillons du Paillon. Elles étaient déjà des centaines à frotter, à essorer, à étendre, toutes à genoux, leur panier à côté d'elles. De cette foule de femmes s'élevaient des brusques assauts de vie sauvage, sous le fichu jaune ou rouge. Leurs jupons, étalés à perte de vue, formaient une immense corolle mouvante. Les " bugadières ". Gonzague se régalait du spectacle, ce qui le fascinait chaque fois, c'était la mer de mousse qui montait à l'assaut de la moindre pièce d'eau, des plus petits ruisselets, la mousse salvatrice qui emportait à la mer, au large, à l'oubli, la crasse de la cité. Ici, on rendait leurs couleurs et leur propreté aux linges des hôtels, ici, les draps anglais prenaient un coup de soleil, une vapeur immaculée les berçait au grès du vent, ils retrouvaient une jeunesse, une flamme depuis longtemps oubliée, ils respiraient, ils jouaient, gamins espiègles, loin des ténèbres puritaines, ils se livraient à la barbarie méditerranéenne, à l'errance d'un monde sans entraves.

Ployées, les bras plongés dans le courant, le genou reposant sur un carré de tissu, les bugadières riaient, chantaient, s'interpellaient, et leur joie se répandait au-dessus des toits telle une musique d'oiseaux moqueurs. "

Biographie

Passionné, fidèle et clairvoyant, Raoul Mille c'est d'abord une image, celle d'un fastueux physique que souligne une majestueuse crinière. Des lunettes épaisses et une pipe marquent l'intellectuel débonnaire, l'ample écharpe rouge et la Vespa signalent le côté libertaire. Il est souvent là où il faut se trouver : dans les salles obscures, au festival du jazz, dans les bonnes librairies, aux meilleures tables, dans les bistrots qui s'attardent, dans le tourbillon de la rue, avec les hommes et les femmes qui font Nice, le cinéma et la littérature.

Et pourtant cet homme dont on vante l'écriture puissante est silencieux, discret. Arrivé à Nice sans patrimoine ni racines, il n'avait pas de souvenirs à défendre. Raoul Mille écrit " Cela fait vingt ans exactement, je débarquais par le train de nuit avec les bagages de la famille, tout notre bien, ma mère serrait bien fort son sac à main, dedans il y avait les économies d'une vie. Tous les trois, ma mère, mon père et moi, nous étions enfin arrivés dans ce pays de légende qu'il me semblait déjà connaître tant j'en avais entendu parler. Nous étions là, avec nos valises, sans logement, sans travail, sans idée sur ce que nous allions bien pouvoir fabriquer avec pour seule certitude celle de mon père en son éternelle bonne étoile.

Nice est devenu mon pays par hasard, j'aurais pu vivre aussi bien ailleurs, père nordique, mère monégasque, né à Paris, élevé dans le Pas-de-Calais, je suis sans racines, sans terroir. Et, le plus souvent, je m'en félicite. Etre de nulle part, c'est être de partout. […]

Nice n'a rien d'exceptionnel. Rien, sinon que c'est la ville où j'ai fait connaissance avec l'amour, la souffrance et aussi la mort. Rien, sinon que mon père se trouve dans la terre d'ici, que le dernier ciel qu'il ait aperçu était le ciel d'ici. Rien sinon que mes années d'apprentissage sont marquées par le sceau niçois et mes amis passés et présents l'ont été également. Aucune chaîne de sang, aucun lien de chair, seulement un faisceau d'affinités intenses et particulièrement obsédantes. […].

Nice je l'ai aspirée, assimilée, rejetée, vomie, incorporée, faite mienne mille et mille fois en bon exilé, incertain des vérités évidentes pour les autres, les natifs. "

Dans cette ville dont il est devenu l'un des meilleurs témoins, il lui a fallu trimer quelques années avant de vivre de sa plume. Mais Raoul Mille est arrivé au bon moment. Il est de l'aventure des festivals du livre de Nice dès 1968. Il vit intensément sa ville.

En 1973, il publie " Les chiens ivres ", un long cri de révolte. De nombreux niçois grincent des dents, mais ils vont s'habituer… car vingt ans après et une production lui ayant valu quelques prix littéraires d'importance, Raoul Mille est à nouveau de l'aventure des salons du livre de Nice, à titre officiel cette fois.

Léa ou l'opéra sauvage, 1984 lui a obtenu le prix des Quatre-Jurys.. Les amants du paradis, 1987, le prix Interallié. Père et mère, 1993, le prix Paul-Léautaud. Le paradis des Tempêtes, t. 1, 199, le prix Baie-des-Anges.

Quant à sa trilogie romanesque, si l'auteur la situe dans la Nice du XIXe siècle, on y retrouve toujours la violence dans les situations, les caractères et l'expression. Raoul Mille écrit dans Nice-Matin une rubrique doménicale " Ma Riviera " consacrées aux personnages importants qui l'ont illustrée.

Bibliographie :

Biographie extraite du Mémorial du Pays niçois,
Extraits du livre Nice, la vision intime d'un écrivain par Raoul Mille

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